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Des milliards de visages

Jean-Michel Decroly

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Bihua Yang. CC BY-NC-ND.

Faut-il faire moins d’enfants pour sauver la planète ou plus d’enfants pour sauver nos pensions ? La fécondité est devenue très basse en Belgique et dans de nombreux pays dans le monde, mais la population, belge et mondiale, continue encore d’augmenter. La démographie est un casse-tête politique, économique, environnemental et éthique. Rencontre avec un « géographe de la population ». Tout seul dans son bureau.

« Au fond, qu’est-ce qui vous a poussée à vouloir rencontrer un démographe ? » Jean-Michel Decroly nous a posé cette question, au moment de se quitter. Et c’est peut-être par là qu’il faut commencer… Par un mélange d’impressions, d’infos, d’injonctions qui se contredisent et touchent à une chose fondamentale dans nos vies : avoir – ou non – un enfant. Trois éléments, déjà, pour amorcer la réflexion :

Il y a trop de monde à la piscine. Comme si on était toujours plus nombreux sur les plages, les routes, dans les files des CPAS, les classes de maternelles, les crèches, les caillebotis des Fagnes ou les urgences des hôpitaux. Nos espaces communs et nos services publics semblent saturés. Nous sommes plus de 11 millions d’habitants enregistrés en Belgique. Cela fait, selon Statbel, un million de plus qu’en l’an 2000. Mais les projections des Nations unies laissent penser qu’on arrive à un pic et que la population européenne va commencer à diminuer.

Emmanuel Macron veut des bébés. Plein de bébés. Pas pour lui mais pour la France, qui « sera plus forte par la relance de sa natalité ». Il l’a déclaré en janvier 2024 et en a appelé à un « réarmement démographique ». Chez nous, personne ne réclame une telle armée de gosses. Pourtant, la fécondité y est encore plus basse que chez nos voisines : 1,50 enfant par femme en Belgique pour 1,76 en France (Statbel et Insee). Le seuil de renouvellement des générations se situe à 2,1. C’est donc grâce aux migrations internationales qu’on connaît encore une faible croissance démographique (+0,5 %).

Petits, nous lisions « Cinq milliards de visages ». C’était le titre d’un album pour enfants de Peter Spier, qui mettait en avant la diversité et la richesse des cultures humaines de la planète. Les rééditions successives ont dû s’adapter : d’abord « Six milliards de visages » et aujourd’hui « Sept milliards de visages ». En 2100, selon les projections des Nations unies, nous serons « Dix milliards de visages » sur une Terre qui étouffe déjà sous le poids de l’activité humaine.

Alors, est-on trop nombreux ou pas assez ? Jean-Michel Decroly enseigne la géographie humaine et la démographie à l’ULB. Il étudie les liens entre démographie, environnement et développement. Et ne répondra donc pas à cette question simpliste sans y ajouter des tas de nuances.

Médor

Sentez-vous un regain d’intérêt pour la démographie, en lien avec les préoccupations pour l’environnement ?

Jean-Michel Decroly

Effectivement. J’ai été un peu surpris d’assister, à partir des années 2010, à un retour de la « question démographique » à l’échelle mondiale, par le biais de l’environnement. Ce n’est plus, comme dans les années 1950-1970 : Est-ce que la planète peut nourrir correctement une population de plus en plus nombreuse ? Mais plutôt : Est-ce que la planète peut supporter les dégradations environnementales provoquées par une forte croissance démographique ?

Médor

D’où est venu ce nouveau questionnement ?

Jean-Michel Decroly

Des sciences naturelles. Des chercheurs et intellectuels ont attribué à la croissance démographique un rôle majeur dans la crise environnementale et plaidé pour une réduction rapide de la fécondité. Je pense notamment au manifeste de l’Alliance of World Scientists (AWS), « Warning to Humanity », publié en 1992 puis réédité en 2017 avec plus de 11 000 signataires.

Médor

D’autres scientifiques[39d62e] ont fait un classement des actions individuelles pour diminuer son impact carbone. Bien avant « Abandonner la voiture à essence » ou « Renoncer à un vol transatlantique », il y a « Avoir un enfant en moins ». On ne peut pas nier qu’un être humain a toujours un impact sur la planète…

Jean-Michel Decroly

Non. Évidemment. Chaque être humain supplémentaire, c’est une augmentation de l’impact anthropique sur les écosystèmes, inéluctablement. Mais cette approche est tronquée.

Médor

Pourquoi ?

Jean-Michel Decroly

Elle ne prend pas en compte le fait qu’il y a des profondes inégalités entre les êtres humains, selon les groupes sociaux auxquels ils appartiennent, l’État dans lequel ils vivent ou ils naissent… Or, aujourd’hui, c’est moins la démographie que nos modes de production et de consommation qui augmentent l’empreinte environnementale.

Médor

Mais, quand on constate que nos modes de vie ne vont pas changer radicalement et rapidement, ne vaut-il pas mieux, quand même, tenter de freiner la croissance démographique ?

Jean-Michel Decroly

Aujourd’hui, là où il y a la plus forte croissance démographique, c’est précisément là où les êtres humains supplémentaires ont le plus faible impact environnemental – essentiellement l’Afrique subsaharienne. Pour rappel, 50 % de la population mondiale la plus pauvre n’est responsable que de 10 % des émissions de CO2 liées à la consommation. À l’inverse, les 10 % les plus riches sont responsables de 50 % des émissions[2ff804].

Médor

C’est la situation actuelle, mais peut-on imaginer l’évolution des émissions, si l’on est réellement 10 milliards en 2100 ?

Jean-Michel Decroly

J’ai fait un petit exercice à partir des projections démographiques des Nations unies. Si les émissions de CO2 restent constantes, par personne, par État, on voit en effet que leur volume total augmente un peu, d’ici à 2100, mais moins que la croissance démographique. Cela signifie que les modes de production et de consommation des États les plus riches contribuent plus aux émissions de CO2 que la croissance de la population mondiale. Et donc, que les pollueurs sont plutôt les autos que les bébés.

Médor

Et les super-yachts…

Jean-Michel Decroly

En effet, les 300 super-yachts privés (plus de 60 mètres de long) en service dans le monde génèrent, par an, autant de CO2 que la population du Burundi, rien que par la combustion de l’essence.

Médor

Et si, demain, les Burundais achètent des super-yachts ? Si l’impact carbone des pays pauvres augmente avec l’accroissement des richesses ?

Jean-Michel Decroly

J’ai tenté de développer l’hypothèse d’un scénario de convergence… Si on diminue de moitié les émissions de CO2 des pays où elles sont supérieures à 5 tonnes par habitant par an (c’est-à-dire l’Europe, les États-Unis, les pays du Golfe, le Japon…) et si on a, en même temps, une augmentation par deux des émissions là où elles sont inférieures à 2,5 tonnes, on obtient une diminution de 12 % des émissions totales entre 2014 et 2100.

Médor

Ça ne résout pas encore tout à fait le problème…

Jean-Michel Decroly

Non. Mais ça veut dire qu’il y a moyen de concevoir des dispositifs de planification environnementale qui intègrent la question des inégalités de développement dans le monde et d’aller vers un scénario de diminution des émissions. Mais évidemment, cela aura pour effet de changer assez substantiellement notre propre confort actuel.

Médor

Et ce, sans passer par des politiques pour limiter la natalité ?

Jean-Michel Decroly

En effet. Je crois par ailleurs que ça ne marche pas. Prenons l’exemple de la politique de l’enfant unique en Chine, qui a été mise en place en 1979. On croit que c’est ce qui a fait baisser la fécondité chinoise. Mais pas du tout ! Celle-ci a diminué de moitié (de 5 à 2,5 enfants par femme), durant la décennie précédente (1970-1980). Malgré son caractère violent, la politique de l’enfant unique n’a fait que renforcer les effets d’un mouvement initié par les couples et les familles elles-mêmes.

Médor

Vous voulez dire qu’avoir plus ou moins d’enfants est avant tout un choix culturel, individuel, qui ne peut pas être fondamentalement orienté par les politiques ?

Jean-Michel Decroly

En effet. Les populations sont dans des logiques d’adaptation. Dans un certain contexte normatif, les couples s’adaptent à une évolution, à une transformation de leurs conditions économiques et sociales, en tenant compte aussi de ce qu’ils projettent pour leurs enfants. Pour moi, c’est un point clé. Dès lors qu’il existe un minimum de possibilité d’ascension sociale, la tendance est à réduire la fécondité. Ce faisant, les couples investissent dans la « qualité » plus que dans la quantité des enfants : ils accordent de l’importance à leur santé et à leur éducation pour leur donner une chance d’avoir une vie meilleure.

Médor

L’accès à la contraception n’est pas primordial ?

Jean-Michel Decroly

Les mouvements néomalthusiens des années 1950 et 1960 (basés sur la crainte que la surpopulation n’épuise les ressources naturelles, NDLR) ont beaucoup milité pour diffuser la pilule dans les pays en développement. Il ne faut pas surestimer l’effet que ça a eu. En Europe, entre 1870 et 1930, il y a une baisse massive de la fécondité – on passe de 5 à 2 enfants par femme ! Et ça s’est fait sans pilule, sans stérilet et bien souvent sans capote. Les gens ont bricolé parce qu’il y avait, je crois, une nécessité pour eux de s’adapter à un contexte tout à fait nouveau. Notamment le fait que la mortalité des enfants en bas âge avait considérablement baissé.

Médor

Selon les projections des Nations unies, la croissance démographique mondiale va se stabiliser d’elle-même et diminuer à partir de 2086. La fécondité est déjà inférieure à deux enfants par femme au Brésil, en Iran ou en Belgique, et même inférieure à un en Corée du Sud.

Jean-Michel Decroly

Oui. Et dans les États où la fécondité est encore haute, on peut s’attendre à ce qu’elle diminue avec la croissance de la scolarisation des jeunes femmes, les possibilités progressives de mobilité sociale ou même l’urbanisation. On constate que le fait d’aller vivre en ville change la donne sur le plan de la reproduction, ne serait-ce que parce que le coût du logement y est plus élevé.

Médor

Aucune projection ne peut intégrer la question des migrations internationales, notamment pour des raisons environnementales. Cela peut pourtant bouleverser tous les scénarios démographiques.

Jean-Michel Decroly

C’est vrai. Les 15 ou 20 dernières années nous montrent qu’en Belgique, on est chaque fois surpris par l’évolution des migrations internationales. Dans ce qu’on a appelé la « crise migratoire » de 2015, il y a eu un défaut d’anticipation mais on ne pouvait pas supposer que les printemps arabes auraient de tels effets. De la même manière, même si c’est moins massif, l’arrivée des Ukrainiens a surpris. Et cela impacte quand même les dynamiques démographiques.

Médor

La population belge a d’ailleurs connu une augmentation presque deux fois plus forte en 2022 (+ 0,98 %) qu’à la normale (+ 0,5 %), avec l’arrivée des Ukrainiens.

Jean-Michel Decroly

Oui. Mais j’aime bien rappeler ceci : aujourd’hui, à l’échelle mondiale, à peu près 3,5 % de la population est constituée de ce qu’on appelle des « migrants internationaux », c’est-à-dire des personnes qui vivent dans un État différent de celui dans lequel elles sont nées. Ce n’est pas négligeable, mais près de deux fois moins élevé en part de la population mondiale qu’au début du XXᵉ siècle(environ 6 %).

Médor

Quelle était la situation au XIXe siècle ?

Jean-Michel Decroly

L’Europe a connu une croissance démographique assez forte au XIXᵉ siècle et a pu, en quelque sorte, exporter une partie de son « trop-plein démographique », vers le continent américain, la Nouvelle-Zélande ou l’Australie. C’étaient des mouvements migratoires extrêmement importants. Et aujourd’hui, l’Europe ne voudrait pas être impactée par les « excès de croissance démographique » des pays d’Afrique subsaharienne ? Il faut admettre que la migration internationale est un mouvement structurel, qui va vraisemblablement croître. Imaginer que l’Europe va continuer à être une forteresse, ce n’est pas possible.

Les enfants tard

Médor

À l’échelle mondiale, il y a donc une augmentation de la population dans les décennies à venir. Mais à l’échelle belge ou européenne, c’est plutôt la baisse de la fécondité qui est frappante.

Jean-Michel Decroly

En 2022, c’est la première fois qu’on était à un niveau de fécondité aussi faible en Belgique : 1,5 enfant par femme. On est vraiment dans une tendance de baisse. Depuis 2010, la fécondité a fortement chuté chez les 20-24 ans. C’est tout à fait étonnant : elle est désormais plus faible dans cette tranche d’âge, qui est pourtant celle où la capacité biologique à faire des enfants est la plus élevée, que chez les 35-39 ans, où elle a beaucoup augmenté.

Médor

Et qu’est-ce qu’il faut voir derrière cela ?

Jean-Michel Decroly

D’abord, un effet dit de « calendrier ». Ça veut dire que les femmes qui n’ont pas fait d’enfants à 25-29 les ont faits plus tard. C’est un élément clé de la compréhension de la démographie européenne : on reporte de plus en plus l’âge moyen de la maternité. En Belgique, on est ainsi passé de 26 ans en 1980 à presque 31 ans aujourd’hui.

Médor

Cette baisse de la fécondité serait, elle aussi, liée à des changements profonds de la société.

Jean-Michel Decroly

Aujourd’hui, la transition entre l’adolescence et l’âge adulte est devenue de plus en plus compliquée, en particulier dans le milieu urbain. Les différentes étapes pour atteindre la stabilité au niveau affectif, professionnel ou par rapport au logement sont reportées dans le temps. Or, c’est une norme qui persiste : on ne fait pas d’enfant tant qu’on n’a pas une certaine stabilité. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’enfants en bas âge dans les colocations… On voit aussi que les jeunes adultes, en ville, vivent longtemps chez leurs parents, notamment dans les quartiers populaires.

Médor

En 2017, Drieu Godefridi, candidat francophone N-VA, désignait l’avortement comme l’une des causes du déclin démographique occidental[e24e82]. Que disent les chiffres ?

Jean-Michel Decroly

Que l’impact de l’avortement est assez modeste. Des recherches à ce propos, notamment celles réalisées par l’Institut national d’études démographiques (INED) en France, montrent que pour l’essentiel des femmes qui avortent, ce n’est pas un renoncement à devenir mères. Elles ont souvent encore des enfants après.

Médor

Donc cet argument ne tient pas la route…

Jean-Michel Decroly

Non. Dans le contexte actuel, les partis politiques d’extrême droite et de droite conservatrice mobilisent à qui mieux mieux la thématique démographique pour nourrir leur discours anti-immigration. Le procédé rhétorique est simple : arrêtons l’immigration extra-européenne et relançons la fécondité des « nationaux » par tous les moyens possibles, y compris des limitations sur le droit à l’avortement.

La tentation populiste

Médor

Pensez-vous que la fécondité pourrait remonter dans un avenir proche ?

Jean-Michel Decroly

Je crois qu’on est très durablement engagé dans un régime de fécondité faible, voire très faible. Mais bon, méfiez-vous, parce que j’ai déjà fait des projections démographiques et je me suis planté royalement !

Médor

C’est génial que vous disiez ça…

Jean-Michel Decroly

C’est juste de l’honnêteté.

Médor

Vous vous êtes planté sur quoi ?

Jean-Michel Decroly

Dans les années 1980, j’ai cru que le sida n’aurait pas d’incidence sur les dynamiques démographiques en Afrique subsaharienne. Or, le sida a fait baisser l’espérance de vie au Zimbabwe de 19 ans.

Médor

Et donc, si on voulait « relancer » la fécondité en Belgique…

Jean-Michel Decroly

Je ne vois pas comment parce que les politiques natalistes, par exemple l’augmentation des allocations familiales, n’ont pas beaucoup plus d’effet pour relancer la fécondité que pour la freiner. Ce qui aurait plus d’impact, ce sont des politiques familiales. Par exemple, la mise en place des structures d’accueil pour la petite enfance où on peut mettre facilement ses enfants et à un prix décent, calculé en fonction de son revenu.

Médor

Comment analysez-vous la sortie de Macron qui plaide pour un « réarmement démographique » ?

Jean-Michel Decroly

Il instrumentalise lui aussi un phénomène démographique à des fins politiques. Ce qu’il veut dire par là, c’est : faisons des enfants français pour qu’on ait une masse de jeunes actifs suffisante pour financer les retraites sans faire appel aux migrants. C’est une manière de masquer une politique anti-immigration.

Médor

La fécondité est plus basse chez nous qu’en France. Pourtant, même la droite conservatrice s’exprime peu sur ces questions…

Jean-Michel Decroly

La France a une histoire nataliste particulièrement vivace, notamment parce qu’elle a vécu deux traumatismes démographiques majeurs. Sa natalité a baissé dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, soit un siècle plus tôt que partout ailleurs en Europe. Malgré les nombreuses recherches consacrées à la question, les raisons restent difficiles à expliquer. Mais le résultat, c’est qu’au lieu d’être un pays en croissance démographique au XIXe siècle, comme l’étaient l’Allemagne, l’Angleterre ou la Russie, la France a connu une stagnation. Ça a conduit au développement d’un mouvement nataliste.

Médor

Et l’autre traumatisme ?

Jean-Michel Decroly

C’est la Première Guerre mondiale. Après la guerre, la France a adopté des législations terribles par rapport à la contraception et à l’avortement. Vraiment terribles. C’était le pays le plus réactionnaire qui soit en Europe sur ces questions. C’est seulement en 1967 que la loi Neuwirth a autorisé l’usage des contraceptifs. Donc, qu’un président français dise des sornettes pareilles, c’est grave mais ça ne m’étonne pas.

Médor

Est-ce qu’on ne pourrait d’ailleurs pas plutôt se réjouir d’avoir une fécondité basse ? Dans la lignée du Mouvement pour l’extinction volontaire de l’humanité, par exemple, de jeunes Occiden­taux[66ca81] disent ne pas vouloir d’enfant pour moins peser sur l’environnement.

Jean-Michel Decroly

J’ai encadré un mémoire qui interrogeait des femmes qui n’avaient pas d’enfants et d’autres qui comptaient fermement ne pas en avoir, pour savoir si cet argument écologique jouait. En fait, pas tellement. On est plus dans ce que j’appellerais une infécondité émancipatrice.

Médor

C’est-à-dire ?

Jean-Michel Decroly

Il semble bien qu’il y ait, chez certains jeunes adultes, une envie de se consacrer à d’autres choses qu’à des enfants. Mais c’est vrai qu’il en ressort aussi une volonté de ne pas leur faire vivre un monde qui part à la dérive. Et ça, c’est encore un peu différent.

Million dollar papy

Médor

Derrière la logique de Macron, il y a quand même un élément fondamental : le vieillissement de la population.

Jean-Michel Decroly

Oui. Jusque dans les années 1970-1980, l’espérance de vie augmente parce que la mortalité infantile et juvénile diminue. L’écrasante majorité de la population atteint l’âge adulte et meurt non plus de maladies infectieuses, provoquées par des virus ou des bactéries, mais de maladies dégénératives (cancer et maladies cardiovasculaires). Ensuite, l’espérance de vie se met à augmenter grâce à ce qu’on a appelé la « révolution cardiovasculaire » : on est parvenu peu à peu à soigner les problèmes cardiovasculaires.

Médor

Et l’espérance de vie en Belgique atteint aujourd’hui 83,8 ans pour une femme et 79,5 pour un homme.

Jean-Michel Decroly

Ça nous renvoie à une question très difficile, celle de la prise en charge des personnes très âgées, dès lors qu’elles font face à des incapacités.

Médor

Tout notre système social, notamment les pensions, repose sur la solidarité entre les générations. Cela nous oblige-t-il à courir sans fin derrière la croissance démographique ?

Jean-Michel Decroly

La question du financement des retraites est terriblement complexe. J’aime bien rappeler que certains économistes ou hommes politiques, dans les années 1950, se demandaient comment on allait pouvoir nourrir la population, avec une diminution des actifs agricoles. En fait, cette diminution s’est accompagnée d’une augmentation proportionnellement plus forte de la productivité agricole – la production par actif occupé –, ce qui a permis une croissance sans précédent de la production de nourriture. Des collègues démographes de la VUB, Patrick Deboosere et Hadewijch Vandenheede, ont montré que le constat que je viens d’évoquer pouvait être transposé au financement des retraites.

Médor

Moins de personnes pourraient alors financer plus de retraites ?

Jean-Michel Decroly

Oui. Même si le rapport entre le nombre de personnes actives et le nombre de retraités diminue à l’avenir, les gains de productivité des actifs pourraient permettre de pérenniser notre système de retraite sans augmenter l’âge auquel on y accède.

Médor

Cela reste un pari sur la productivité…

Jean-Michel Decroly

Oui. Mais, par ailleurs, des économistes hétérodoxes comme le Français Jean-Marie Harribey défendent l’idée de mettre en place d’autres systèmes de financement des retraites qui, actuellement, reposent exclusivement sur les revenus du travail. Il existe potentiellement d’autres sources, à commencer par les revenus du capital. Cette réorientation, qui à titre personnel me paraît nécessaire, semble toutefois difficile à mettre en place à court terme, en particulier en Belgique : quelle coalition au niveau fédéral serait prête à la mettre en œuvre ?

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  1. World population prospects, 2022.

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