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Une piscine à la maison

Quatre raisons de se jeter à l’eau

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Chez nous, pour arrêter de souffrir à chaque canicule, il y a un truc fastoche à faire : se construire une piscine ! En 2021, le secteur a même fait un bond en avant. N’hésitez plus, plongez…

Les piscinistes ne s’en cachent pas : le réchauffement climatique et la pandémie, en interdisant les voyages à l’étranger, ont été une véritable opportunité pour booster la vente de piscines privées. Au plus fort de l’explosion, en 2021, on en a construit plus de 6 000 en Belgique, d’après la fédération des piscinistes. Alors, faites comme de nombreux Belges, laissez-vous tenter… On vous explique « pourquoi les propriétaires de piscines ne devraient pas (autant) culpabiliser ».

Un rêve qui se démocratise

« Posséder une piscine, qui n’en a jamais rêvé ? Elle devient un incontournable de la construction. Pourquoi va-t-on y succomber aussi ? » Disposer d’une piscine chez soi s’est largement popularisé. Les raisons de cet engouement ? « La crise sanitaire et les restrictions de voyage à l’étranger, les étés plus longs et chauds », répètent à l’envi les piscinistes. Pour eux, l’image du riche propriétaire détenteur d’une piscine à domicile est révolue. « Aujourd’hui, il y a moins cet aspect moral et inquisiteur dans l’imaginaire collectif », affirme Patrice Dresse, directeur général de la Fédération belge des professionnels de la piscine et du bien-être (FBP).

Pour continuer à grandir, le marché a dû élargir son panel de clients potentiels. « Notre nouvelle cible, ce sont les classes moyennes. On est tout public désormais », avançait même Jean-Louis Desjoyaux, PDG du leader mondial du secteur, sur France Info en 2022.

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Laura Conant. CC BY-NC-ND

Si la situation est incomparable avec la France, championne européenne des piscines, la Belgique se défend bien. L’industrie y a connu une explosion inédite au cœur de la crise du Covid. 6 150 nouvelles installations en 2021, soit une augmentation de 50 % par rapport à 2020, qui était elle-même déjà en hausse de plus de 30 % par rapport à 2019.

Ces chiffres impressionnants émanent du secteur lui-même – qui ne représente qu’une partie des professionnels –, aucune donnée publique n’existant sur le nombre de piscines en Belgique. La plupart n’étant pas soumises à permis, aucune administration, régionale ou fédérale, n’a pu nous fournir de chiffres réalistes.

Patrice Dresse estime que de nombreuses parts de marché sont encore à conquérir. « Tant qu’il y aura de la place dans les jardins, on construira. En Wallonie, il y a énormément d’endroits où on n’aurait jamais envisagé d’en construire avant, faute de place. » Surtout qu’aujourd’hui, un jardin riquiqui n’est plus une excuse. Pour ne laisser personne sur le carreau, les piscinistes proposent des bassins toujours plus petits.

Se faire inviter

Le contexte climatique catastrophique est par ailleurs favorable au développement du business. Ce réchauffement mondial, c’est carrément une aubaine. « Ces périodes de grosses chaleurs jouent en notre faveur, avoue Patrice Dresse. Il y a vingt ans, vous aviez trois jours par an où on dépassait les trente degrés. Aujourd’hui, c’est trois semaines et, dans X années, ce sera peut-être six semaines. » Merci la fin du monde : la piscine (re)devient très tendance !

Une étude commandée par la Fédération des professionnels de la piscine, la fédération en France – où le marché est plus « mûr » –, montre que la part des propriétaires de piscines enterrées chez les employés, ouvriers et agriculteurs atteint désormais 24,7 % (+ 10,6 % en quatre ans).

« J’ai grandi dans un village où une famille, devenue riche, avait acquis une piscine couverte. Pour nous, enfants, tout l’enjeu était de se faire inviter dans la piscine. Et quand on l’était, on avait l’impression de monter d’un cran, se remémore Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. C’est peut-être un peu moins vrai aujourd’hui, mais ça reste un symbole de différenciation sociale, qu’on le veuille ou non. Le modèle de la piscine privée imprime une vision dans la manière de vivre ses loisirs et donc de se situer par rapport aux autres. »

Un secteur toujours plus vert

Souvent pointée du doigt, la débâcle d’eau générée devrait être relativisée. « En Belgique, les piscines représentent environ 0,15 % de la consommation annuelle en eau », jure le patron des piscinistes Patrice Dresse. Ce chiffre, produit par la fédération elle-même, est le seul disponible. Le secteur conseille par ailleurs de ne pas vider entièrement sa piscine en fin de saison. Outre le remplissage initial, la consommation annuelle serait de 15 m3 selon la fédération française, et entre 50 et 80 m3, d’après le Centre d’information sur l’eau (une association fondée en 1995 dont le but est de vulgariser les enjeux liés à cette ressource). L’impact hydrique des piscines serait d’autant plus limité que la tendance est aux modèles plus petits. Moins d’eau gaspillée, c’est bon pour la planète.

Partout dans le monde, les sécheresses liées au dérèglement climatique font craindre le pire. Il est donc légitime de poser la question de l’impact des surconsommations d’eau potable. « Les projections scientifiques nous montrent que nous allons faire face à l’avenir à des épisodes de sécheresse de plus en plus sévères et récurrents », insiste la ministre wallonne de l’Environnement Céline Tellier (Écolo).

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Laura Conant. CC BY-NC-ND

D’ailleurs, dans un passé proche, des pénuries d’eau ont déjà obligé une série de communes wallonnes à mettre en place des limitations chez les particuliers. Sous l’impulsion de Céline Tellier, un avant-projet de décret sur la priorisation des usages de l’eau en cas de pénurie a été adopté en première lecture par le gouvernement wallon, en juillet dernier. Les piscines y sont répertoriées dans la catégorie des usages non prioritaires. « Dire que la piscine n’est pas essentielle, c’est un jugement de valeur. Et je ne participe pas à ça, s’offusque Patrice Dresse. Si des gens veulent une piscine, car ils adorent nager, tant mieux pour eux. »

Un investissement qui peut rapporter

Saviez-vous qu’il était possible de louer votre bassin quand vous ne l’utilisez pas ? Swimmy, ce nom cool et catchy, désigne le Airbnb des piscines privées. Lancée en 2017, cette plateforme fait des « propriétaires satisfaits » et des « nageurs heureux ». « On tourne entre 10 € et 24 € par personne par heure. Le prix de la tranquillité. » Mais au-delà d’être une source de revenus, « la location entre particuliers est aussi un moyen d’entretenir un lien social ». Vraiment ?

« Avec la piscine individuelle, il y a l’idée de se dire qu’on a besoin d’accéder au confort et au loisir chez soi, pour soi. Il me semble qu’on a besoin, au contraire, de redonner du sens au collectif. On ne se rend plus compte de la réalité, car on ne fréquente plus assez l’autre. L’individualisation des comportements peut aussi exister dans les milieux modestes, mais je pense que c’est l’impulsion du retrait de la vie dans l’espace public qui pousse à ce comportement », analyse Christine Mahy.

La prolifération des piscines privées risque-t-elle d’entraîner la désaffection des piscines publiques ? Patrice Dresse ne voit pas de lien entre ces deux phénomènes : « Je ne pense pas qu’il y ait un manque criant et moins de bassins publics en Wallonie qu’il y a dix ans. » Ah bon ?

D’après Le Vif/L’Express, la Wallonie répertoriait 126 piscines publiques, dont 111 en activité, en 2015. En 2023, le chiffre retombe à 91, malgré un Plan piscines qui prévoyait la rénovation de bassins publics. En Flandre, on est passé de 378 à 298 en vingt ans. Le manque de piscines publiques est tel que l’apprentissage de la natation, pourtant obligatoire, est de moins en moins assuré par l’école. D’un côté, on a donc des bassins publics, accessibles au plus grand nombre, qui se réduisent comme peau de chagrin. De l’autre, de plus en plus de piscines privées destinées… aux jeunes privilégiés.

Une réglementation favorable

En Région wallonne, aucun permis d’urbanisme ne doit être demandé si votre piscine est invisible depuis la voie publique, si elle se situe à minimum trois mètres des limites de votre terrain et si sa surface ne dépasse pas 75 m². En Flandre, c’est 80. Par contre, il faudra la déclarer dans les trente jours suivant la fin de sa construction et, si vous êtes malchanceux, payer une taxe annuelle. C’est votre commune qui décide d’appliquer ou non la taxe, de son montant et des amendes en cas d’« oubli ». Rassurez-vous : en Wallonie, seule une quaran­taine de communes sur les 262 imposent une taxe.

À une époque où la précarité hydrique touche encore 15 % de la population belge, le développement débridé des piscines privées, socialement injuste, devrait être interrogé.

Manque de données

Mais ce débat n’est pas près de surgir, vu l’absence de statistiques sérieuses. Les seules données dont dispose le SPF Finances sont peu significatives : 391 piscines privées pour toute la Belgique (254 en Flandre ; 127 en Wallonie ; 10 à Bruxelles). Des chiffres ridiculement bas, comparé au nombre de piscines que l’on peut retrouver via Overpass Turbo, l’outil d’exploration de données pour OpenStreetMap (des cartes géographiques en accès libre et gratuit). Ainsi, à Lasne (Brabant wallon), plus de 40 bassins privés sont répertoriés dans un mouchoir de poche, au sein de quartiers résidentiels entourés de bois. À Uccle, on en recense plusieurs dizaines rien que dans le quartier cossu du Prince d’Orange. Entre la théorie et la réalité, il y a donc un océan.

Par ailleurs, il n’existe aucune étude sur les impacts environnementaux des piscines privées. « Notre priorité est avant tout l’information et la sensibilisation », nous indique-t-on au cabinet de la ministre Tellier. Une manière de ne pas se mouiller. « Les médias sont d’ailleurs un excellent vecteur pour alerter les citoyens et citoyennes sur les risques de stress hydrique, aussi dans nos régions. Et ainsi les inviter à adopter des attitudes propices à la préservation de nos ressources naturelles. » Cette politique des petits pas ne risque clairement pas de saboter votre projet de joli bassin au fond du jardin. Spoiler alert : les écogestes comme faire pipi sous la douche ou couper l’eau quand on se brosse les dents ne suffiront pas.

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Laura Conant. CC BY-NC-ND

Alors, toujours prêt(e) pour le plongeon ? « L’autorité publique doit investir le champ de la vie en collectivité et ne pas faciliter ce qui conduit à des solutions individuelles », alerte Christine Mahy. Mais ne vous faites pas de bile : la question d’un moratoire sur la construction de piscines privées n’est absolument pas à l’ordre du jour en Belgique. Plutôt une bonne nouvelle, pour Patrice Dresse. « On culpabilise tout le monde à l’heure actuelle. Je suis arrivé à un âge où j’ai encore envie d’un peu profiter de la vie. Mais si vous, vous voulez vous sentir coupable et faire un effort supplémentaire, c’est bien. »

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  1. Dans La Provence (3 avril 2023).

  2. Quand la presse lifestyle s’empare du sujet, c’est pour conseiller les propriétaires, sans mettre en question le modèle de la piscine individuelle. Nous avons donc choisi de les imiter sur la forme… Ici : « La piscine, un must entré dans les mœurs », dans Le Soir (7 mai 2015).

  3. « Quatre raisons de se laisser tenter par une piscine chez soi », dans So Soir (4 août 2018).

  4. « La piscine (re)devient très tendance : près de 3 000 seront construites cette année », dans Le Soir (26 juin 2019).

  5. Les Belges consomment en moyenne 32,85 m3 d’eau par an et par personne.

  6. « Grosse chaleur : comment louer une piscine à l’heure ou à la journée » dans So Soir (14 juin 2023).

  7. « “J’irai nager chez vous” : le boom de la location de piscine privée » dans Le Point (24 juillet 2022).

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