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Balle au centre

La Ducasse d’Ath

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Chaque année, à la ducasse d’Ath, un ga­min de 7 ou 8 ans devient le berger David affrontant le géant Goliath. Sa mission : lancer une balle dans un trou. Un unique essai, devant une foule en transe. S’il réussit, la ville passera une bonne année. S’il rate, tout peut arriver. Cette année, c’est Antoine qui s’y colle.

La mesure des choses

C’est l’histoire d’un trou de 9 cm de large, 14 cm de haut.

C’est aussi celle d’un gamin, 8 ans, 1 m 30.

Dans sa main, une balle, 4,7 cm de diamètre.

C’est encore l’histoire de son père, et des dix amis de son père, portant à tour de rôle le géant Goliath, 136 kilos, de ces 136 kilos qui défilent, dansent et redansent, trois jours durant.

C’est enfin l’histoire d’une ville hennuyère de 30 000 habitants qui entre en transe, chaque année, et de 100 000 spectateurs réunis pour une fête vieille de six siècles. La ducasse d’Ath. Pour les visiteurs non aguerris, les défilés grandiloquents du dimanche, pleins de chars et de cheval Bayard, font figure d’apothéose. Mais pour les « vrais de vrais », les Athois qui « ne périront pas » (leur devise, chantée à tue-tête), le paroxysme, c’est ça : le samedi, le jour du mariage de Monsieur et Madame Goliath, deux géants emblèmes de la ville, et, surtout, « le » combat de 18 h, sur le perron de l’hôtel de ville, qui oppose le berger David au géant tutélaire Goliath. Ce combat, attesté à Ath en 1487, est le dernier vestige du genre en Europe. Et si les documents officiels répètent pour conjurer le sort que, selon la tradition, « l’échec de David n’est pas signe de mauvais augure pour la cité », la vraie histoire, c’est finalement celle qu’on se raconte.

Cette année le berger s’appelle Antoine. Mais avant ça, il s’est appelé Ethan, Diego, Killian ou Noa.

Antoine, lui, sait une chose : « Si tu réussis, c’est un an de bonheur sur la ville. Si tu rates, c’est un an de malheur. » Son père, Laurent, temporise, il sait bien que tout ça, c’est des conneries. N’empêche, tous les porteurs et leur entourage « savent » que l’année précédant la catastrophe de Ghislenghien, le gamin avait raté. « D’ailleurs, après ça, ils ont agrandi la fenêtre. Fallait que l’gamin réussisse », explique Geoffrey, le chef porteur. La fenêtre, c’est donc le trou dans la jupe du géant, dans laquelle doit viser le berger.

« Lève les bras Antoine, s’il te plaît ! » Sabrina, la costumière, note la longueur des manches : 41 cm. Aujourd’hui, 21 juin, c’est le jour des premières mesures pour le costume. « Faut pas que j’me loupe », sourit Sabrina. Dans exactement 67 jours, Antoine portera chemise, veste et pantalon blancs, nœud papillon rouge, chapeau rond blanc surmonté d’une plume de paon, ruban rouge volant au vent.

Antoine a déjà lancé la balle. En tant que fils de porteur, il a le droit de tenir le rôle du berger deux années consécutives (on y reviendra). Et l’an dernier, il a fait son premier lancer. Ce jour-là, son père Laurent n’en menait pas large. Il était sorti du lit bien avant la sonnerie du réveil. Pour aller vomir. « J’étais angoissé, t’as pas idée. » Peur que le gamin rate, qu’il dise mal son texte, que le costume se déglingue, qu’il se passe un truc… Bref. Grosse pression.

Le texte, Antoine le connaissait nickel. Mais la balle… « La veille, il en mettait pas une, c’était l’enfer. » Le gamin s’était entraîné, le jour J était arrivé.

Antoine était devenu David, il avait défilé tout encostumé. Puis, vers 18 h, devant l’hôtel de ville, la foule en liesse s’était tue. Le genre de silence qui rend sourd.

Christophe, le porteur chargé d’assurer la « voix » de Goliath, avait pris place sous le géant. Il avait entamé le texte du combat, qu’on appelle « le Bonimé » :

« Pied d’haut, assuré chien,
Que veux-tu me poursuivre
une pierre à la main ? »

David avait répliqué. Une voix claire d’enfant récitant un texte guerrier, jusqu’à ces derniers mots :

« Ah ! Seigneur ! Donnez-moi / la force et la puissance / De mon bras / que j’en tire la vengeance ! »

Le berger avait repris son souffle. Visé. Lancé.

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Victoire ! Ath allait pouvoir passer une bonne année. Et Laurent souffler, jusqu’à l’été prochain.

La famille et le mercato

Nous voilà donc « l’été prochain ». Celui du deuxième lancer. 17 août, J-40 avant le combat d’Antoine. Il fait beau, barbecue chez Thomas. Il est un des derniers rentrés dans le groupe. Alors il marque le coup. Le terrain de boules s’anime, les cocktails s’enchaînent. Tous les porteurs de Goliath sont là, leurs familles aussi.

Attablés en attendant les brochettes, on regarde les gamins jouer à l’eau. « Tiens, c’est quasi tous des anciens ou futurs bergers », sourit Simon, un des porteurs. « Pour la liste, on est bon jusqu’à 2031 », balance Geoffrey, le chef, qui nous fait un rapide topo. Il existe donc une liste de bergers, établie et décidée par un seul groupe : les onze porteurs de « Monsieur » (c’est l’autre nom donné au géant Goliath). « La règle, c’est qu’on fait d’abord appel à la descendance. » La descendance des porteurs, donc. Ça tombe bien, ces dernières années, ils ont fait tout un tas de garçons. « Ensuite, s’il n’y a pas assez de garçons chez les porteurs de Monsieur, on va chercher chez les porteurs de “Madame” (le géant figurant l’épouse de Goliath), car, Madame, Monsieur, ça reste la famille. Et puis on peut faire des cadeaux. » Des invités extérieurs à la caste qui, eux, ne font qu’une année. D’autant que le chef reçoit régulièrement des lettres de demande, parmi lesquelles il fait « un premier tri ».

Le sang et la bière

Cette règle n’a pas toujours existé. Les premiers bergers étaient d’ailleurs des adultes. C’est au XIXe siècle que le rôle revient aux enfants. « Par facilité, on a commencé à piocher dans le groupe. Puis, avec la montée en prestige du rôle, on a valorisé la transmission familiale », explique Laurent Dubuisson, historien et directeur de la Maison des Géants, à Ath (lui, on ne l’a pas interviewé au barbecue, par contre). Aujourd’hui, le rôle est prisé. Mais dans le creux de la vague, à la fin des années 60 par exemple, heureusement qu’il était là l’esprit de famille. De 69 à 74, c’est le même gamin, Jean-Luc Bourlart, qui avait dû lancer la balle six fois de suite. « C’est toute la complexité de ces traditions qui s’inscrivent dans un temps long, poursuit Laurent Dubuisson. Le principe même d’un rituel, ce qui fait qu’il tient, c’est qu’il est porté par une communauté. Sans ceux qui la font, la ducasse ne tiendrait pas. Qu’on le veuille ou non, l’avenir passe par eux. Alors oui, dans cette histoire de berger, il y a une forme de népotisme. Mais les groupes doivent garder leur liberté. » Aujourd’hui, c’est la Ville qui a la responsabilité d’organiser la ducasse. C’est elle qui gère la sécurité, finance les géants, défraie les porteurs. Mais la tradition, au fond, c’est ceux qui la portent qui la façonnent. Et entre la commune et les groupes, c’est un subtil équilibre qui se joue (voir encadré en fin d’article).

Mais si les gamins des porteurs peuvent être bergers, comment devient-on porteur ?

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Laurie Charles. CC BY-NC-ND

Parmi les onze gaillards de Monsieur, il y a des fils de porteurs. Mais il y a aussi des pièces rapportées. Des hasards de la vie. Comme Laurent, le papa d’Antoine. Lui n’a jamais été berger et n’a aucun lien « de sang » avec aucun porteur de Goliath. Il est entré par l’autre porte, celle des décennies passées à s’impliquer dans les ducasses de village, à boire des pintes ensemble, à tisser des liens forts. Une histoire faite de solidarité, de fête, de confiance.

L’équipe des 11, c’est le fruit d’un mercato, d’un savant mélange de liens du sang, d’esprit d’équipe, de camaraderie et d’enjeux individuels. Oui, ils peuvent renvoyer l’image d’un groupe fermé. Mais la ducasse, c’est leur vie.

Le fils « prodige »

19 août, dans le jardin de papi.

« - M’enfin Antoine, tu vas laisser tes chaussettes vertes ?

- Ah… J’en ai pas d’autres.

- Mais si, les blanches, dans le sac !

- Ouf. »

Laurent se penche pour aider le fiston à enfiler ses chaussettes. Sabrina vérifie que le costume est bien mis. Allez, faut y aller. C’est que la foule attend. Aujourd’hui c’est un doublet : présentation du berger et fête de départ de papi, qui célèbre ses 40 ans à la tête de la fanfare de Monsieur et Madame (chaque géant est accompagné de sa fanfare, à la ducasse, NDLR). Le drone est en place, il survole le périmètre – un ami de la famille a été missionné pour produire un souvenir vidéo du « berger ».

Antoine avance sur la terrasse. « Je vous demanderais de ne pas mettre les photos sur les réseaux sociaux avant la fin de la ducasse », signale Laurent. Oui, ici on est des VIP.

Pas de Majorettes

Après un petit discours pour papi, c’est parti pour une séance photo avec le berger.

Antoine avec papi et mamie.

Antoine avec papa et Jennifer.

Avec Joris, son parrain.

Avec Tom, futur berger. Re avec papi et mamie, la précédente était ratée.

Avec… on sait pas qui. « Emile, viens chou, une photo avec le berger ! »

Le défilé s’éternise. 26 minutes à griller en plein soleil, à prendre la pose.

«  - Papa, j’peux boire quelque chose ?

- Habillé comme ça ? Jamais d’la vie. »

Sur les tablées, ça discute. Sabrina est contente. Le costume, ça a l’air d’aller. Il y a quand même un truc bizarre avec ce nœud papillon, il passe toujours derrière le col. Faudra arranger ça.

Si elle est contente Sabrina, c’est aussi parce que son fils, Pierre, est entré l’an dernier comme porteur de Monsieur. Elle se prend à rêver. Si Pierre a un fils, il sera peut-être un jour berger. Voire porteur. Bon, elle dit ça, mais, au fond, une fille ou un garçon, peu importe. L’important, c’est la santé.

« Tu rigoles ?, rétorque Lydia, sa belle-fille. Moi je serais vachement déçue si j’ai une fille. Bah oui, je le dis, j’suis honnête. »

Mais, au fait, une fille ne pourrait-elle pas faire berger ? Jamais de la vie. Là-dessus, tout le groupe semble d’accord. En tout cas les hommes. De toute façon, soyons clairs, tout ça, c’est une affaire d’hommes. Dans l’histoire de la ducasse, il y a bien eu deux filles berger David. L’une en 1945, l’autre dans les années 60. Personne ne sait trop comment ce miracle/ cette hérésie a bien pu voir le jour. Ça ne s’est jamais reproduit.

Et même sans parler de berger, tant que Geoffrey sera aux manettes, le débat « fille/ garçon » n’existe pas. « Comme mon père disait : Pas de majorettes avec. Les filles, c’est plus pour aller sur un char. Les gars pour porter les géants. » Dans d’autres groupes, comme celui des porteurs du géant Samson, il y a déjà eu une femme porteuse. Et les porteurs de blot, ces gamins qui suivent le géant et ramassent les pièces, accueillent aussi des filles, chez Samson. Chez Goliath, c’est hors de question. Mais dans le groupe, tout le monde n’est pas aussi catégorique. Christophe, « la voix », est d’accord pour dire que non, techniquement, rien n’empêche qu’une fille porte le blot. Laurent, quand on lui parle de la place des femmes dans la ducasse, écoute. Même s’il a son avis. Pour l’instant, en tout cas, le chef a dit. Et le groupe la joue collectif. C’est ça, la vraie règle.

Mettra, mettra pas

Depuis fin juillet, Antoine s’entraîne. Papi lui a construit une boîte en bois, dans laquelle il lance la balle, dans sa chambre. À côté de son lit, il a punaisé le Bonimé, qu’il devra réciter au micro le jour J. « C’est le plus important. Tenir son rôle », a dit papi. Et une semaine avant la ducasse, Antoine peut venir s’entraîner « en vrai » sur le géant, dans l’ancienne caserne des pompiers, comme ce vendredi 25 août, J-1 avant le combat. Papi est là : « C’est bien, il ne réussit pas trop souvent, sinon il pourrait avoir trop confiance. » Le gamin s’applique. Et applique sa technique. « C’est Vincent, un ancien berger, qui me l’a donnée. Il m’a dit, tu fais comme si tu tirais avec un fusil. T’as une seule cartouche, tu dois pas hésiter, mais tirer tout de suite. Tu vises, tu tires. » C’est ce qu’il a fait l’an dernier. Noa, du service menuiserie de la Ville, est passé au premier entraînement à la caserne, mercredi. Lui aussi a été berger. « C’est un de mes plus beaux souvenirs, avait-il raconté. Je me souviens que j’étais la star du jour. » Pourtant, lui a raté son coup. De quoi relativiser. Ici, les plus pragmatiques le savent, le gamin réussit une fois sur deux. Mais quand on est celui qui tire, les statistiques ne comptent pas.

Toute leur vie

Ça y est. Samedi 26 août. C’est le jour J. Il est 10 h, les onze sont là, dans le hangar d’où vont sortir les géants. Les mines sont graves. Les pantalons, vestes et polos sont blancs. Des costumes qui rappellent les origines populaires des porteurs, ces ouvriers du moulin des Estaques, qui coltinaient les sacs de blé. Les porteurs actuels sont ouvriers, électricien, mais aussi kiné, patron de friterie ou ingénieur de maintenance à l’incinérateur de Thumaide – ça, c’est Laurent.

Laurent a mal dormi. Cinq heures grand max. Mais bon, cette fois, il n’a pas vomi. Il carbure au Fanta et au baume du tigre. Antoine est là, silhouette enfantine noyée dans une horde d’hommes forts. Parmi les gars en blanc, il y a pas mal d’anciens bergers. Parmi eux, on distingue Killian. Sa première année de berger, en 2012, est gravée dans toutes les mémoires. Devant le géant, Killian s’était retrouvé pétrifié. Impossible de bouger. Paralysie d’un gamin de 7 ans face à un destin trop grand.

Sur les vidéos d’archives, on découvre un enfant tétanisé. Ses larmes qui coulent, sa tête baissée, sa main agrippée à la canne, le corps tout entier prêt à s’effondrer. Et pendant plusieurs longues minutes, ses sanglots qui déchirent l’air. Les porteurs, agenouillés, avaient paniqué. Son père s’était passé la main sur le visage. « Puis mon étoile, comme je l’appelle, est arrivée. » Jean-Luc Bourlart, le vieux de la vieille, celui qui avait tenu six fois le rôle de berger au début des années 70. Il s’est approché du petit, lui a dit quelques mots à l’oreille.

Killian avait respiré longuement, enlevé son chapeau, saisi la balle. Visé, lancé.

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Dedans.

« La ducasse, c’est toute ma vie, explique aujourd’hui le Killian de 18 ans. J’y pense tous les jours de l’année. » Ce qu’il voudrait, bien sûr, c’est devenir porteur officiel, comme son père. Pour l’instant, il porte, mais seulement le « lundi » de la ducasse. Il doit encore faire ses preuves. Ce matin, il file sous le géant, le fait tourner. « Modération, modération », lancent les vieux. Il ressort. Ça s’est bien passé. Je voulais montrer que je sais le faire. Mais c’est les vieux qui décident. » Killian, lui, attend.

Le destin

15 heures, devant le perron de l’hôtel de ville. Derrière les barrières, environ 10 000 personnes. La foule remplit la place. L’écran géant assure la retransmission du cortège qui se prépare. C’est sûr, Antoine s’appelle désormais David. « Allez, David ! Comme l’an dernier hein, tu la mets ! »

À l’intérieur du périmètre réservé aux géants, des invités, les familles proches, mais aussi une immense brochette d’élus et d’officiels. La valse des selfies avec le berger commence. David s’exécute.

La fanfare de papi démarre, c’est le signal. Le cortège se met en branle. Geoffrey ouvre la voie, les porteurs entourent le géant et enchaînent un ballet de valses jusqu’à l’église Saint-Julien. David est tantôt devant le géant, tantôt derrière. Son ruban rouge vole au vent.

« Mais arrête de mettre tes doigts sur le chapeau », dit papa. Le temps est orageux, la météo annonce de la pluie. On souffle régulièrement sur le chapeau, pour enlever les moucherons. Ça gougoutte. Ça goutte. Merde, ça y est, ça pleut.

Heureusement, Laurent Dubuisson, l’historien/relation publique de l’histoire, se trimballe avec une série de ponchos transparents. Il en enfile un vite fait à David – attention le chapeau !

De temps en temps, une photo avec quelqu’un du public. « Courage, David ! »

La pluie finit par passer.

Les onze porteurs font corps, fendant l’effervescence de la foule. Ça donne parfois un peu le tournis.

17 h. Après une pause à l’église, le temps d’une cérémonie religieuse remplie d’officiels – tiens, Elio Di Rupo, ah Ludivine Dedonder –, le cortège a repris. Monsieur et Madame (les géants, hein) sont officiellement mariés (d’où le passage à l’église) et, de leur côté, ça danse beaucoup plus franchement. Un des porteurs, Laurent Sauvage, a été missionné par le groupe pour « protéger » le petit. Veiller à ce qu’il ne se fasse pas emmerder ni déborder. Laurent Sauvage et David fendent la foule, et s’éclipsent, le caméraman de la famille collé au train d’Antoine. Derrière les barrières, ça hurle « David » à tout rompre.

Ils arrivent devant l’hôtel de ville, un technicien de Notélé vient coller un micro à l’oreille de David. Pour la retransmission. Le gamin change de tête. « Le collant tient pas, j’sais pas, y a un truc qui me gêne. » Il n’arrête pas de tripoter le micro. On va arranger ça.

Vite, ils s’engouffrent dans l’hôtel de ville. Pour attendre, au calme. Dans la salle communale, ils parlent de tout et de rien, de hamburgers sauce andalouse et de coca. Ah, ça oui, ce serait bien.

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Laurie Charles. CC BY-NC-ND

Et puis ça y est. C’est le moment. David descend sur la place de l’hôtel de ville. Goliath l’attend.

Papa est là. Il prend son gamin entre quatre-z-yeux. Son ton est ferme. Directif. Mais enveloppant. « Tu t’rappelles ! Fusil ! Y a toi, le géant, et personne d’autre. »

David prend place. Visage impassible. L’angoisse qui monte.

Christophe, la voix dans le géant, commence le Bonimé.

Silence dans la foule. Ils sont des dizaines de milliers. Pression. Le visage de David dévore l’écran géant. Derrière lui, son parrain, puis son père. Un genou à terre. Laurent fixe le sol. Il ne regarde pas. Puis si, il regarde quand même.

David prend la balle. Le gamin semble soudain suspendu, dans un état second.

Mais non. Il ne cille pas. Bras en arrière. Comme on a dit. Fusil, lancer…

… chaos de liesse, Laurent prend son fils, le porte à bout de bras sur le perron de l’hôtel de ville, le bourgmestre le hisse sur le balcon, le présente à la foule, ça dure, ça dure.

Encore une bonne année.

La pression retombe. Antoine se poste à l’entrée de l’hôtel de ville, les officiels passent et lui donnent des pièces. Même des billets : 5, 10, 20 euros. Damien, un des porteurs, est là. Il pleure. Pleure. Ne s’arrête pas de pleurer. Au début, on prend ça pour des larmes de joie. Mais non. Il y a quelque chose qui cloche. « Antoine, il l’a tellement bien fait. C’est le meilleur. » C’est vrai, on a rarement vu un gamin aussi placide et déterminé. « Mais moi, mon gamin, il est trop petit, tu te rends pas compte. Je sais pas comment il va faire. » Tom sera berger l’an prochain.

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Laurie Charles. CC BY-NC-ND
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