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Hue hue à dada

Au galop sur un bâton

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Hugo Dinër. CC BY-NC-ND.

Le hobby horse, c’est l’équitation du pauvre – l’animal en moins et l’humour en plus. Il se pratique avec un manche à balai à tête de cheval. En août dernier, on a loupé le Championnat du monde à Grammont. Rattrapage au triple galop.

Cet été, la Belgique équestre a connu deux événements majeurs. Un titre de vice-champion du monde en sauts d’obstacles obtenu au Danemark par Quel Homme de Hus (c’est le nom du cheval) et Jérôme Guéry (le cavalier). Et la tenue de la coupe du monde de hobby horsing à Geraardsbergen (Grammont), en Flandre orientale. Le premier a fait un peu de foin dans les médias ; le second rien de rien.

Le hobby horse ou hobby horsing consiste à se caler un bâton à tête de cheval entre les jambes et à s’adonner à toutes les disciplines classiques de l’équitation : galop, saut d’obstacles et même dressage (exercice de style). Il s’agit donc d’une version équestre du « air guitar », un art qui tient son énergie et son accessibilité de l’absence de l’accessoire principal.

En 2021, le youtubeur flamand Average Rob a participé à Grammont au championnat de hobby horse et a raflé un max de médailles. Sa vidéo, How I became a national hobbyhorse champion, donne un sacré coup de cravache à la discipline, qui séduit désormais son lot d’adultes branchés et moustachus, ravis de pouvoir hennir sans entrave et de rigoler entre potes.

Mais avant d’être le sport le plus drôle du monde, le hobby horse est une discipline très sérieuse, pratiquée principalement par les (très) jeunes filles. On doit l’émergence de cette sous-culture aux adolescentes finlandaises, qui ont inventé et codifié la pratique dans les années 2000. Des youtubeuses comme Alisa Aarniomaki ont partagé des tutos, tant pour réaliser son cheval de bois que pour apprendre à trotter avec style, et ont contribué à la diffusion du hobby horse aux quatre coins de l’Europe.

La nuit des temps

La passion des humains pour le déguisement de cheval ne date pas d’hier. Depuis des siècles et des siècles, l’homme chevauche le balai-brosse, sous une forme minimale (le cheval-bâton) ou plus habillée (le cheval-jupon). En attestent, nous dit le Guardian, des gravures allemandes sur bois et des peintures à l’huile espagnoles du XVIe siècle. Dans le film anglais Sacré Graal (1975) des Monty Python, faute de moyens, les chevaliers galopent sans chevaux, avec des claquements de noix de coco pour imiter les bruits de sabots.

On trouve également, dans de nombreuses traditions folkloriques européennes, des chevaux plus ou moins géants trottant sur des jambes humaines, comme le cheval Bayard, incontournable de l’Ommegang de Termonde (Dendermonde) ou de la Ducasse d’Ath.

Au tournant du XXIe siècle arrive donc de Finlande le renouveau du genre, porté par des filles de 8 à 18 ans. La réalisatrice finlandaise Selma Vilhunen a filmé cette jeune scène féminine dans son documentaire Hobbyhorse Revolution, sorti en 2017. Elle estime alors le nombre d’adeptes finlandaises à 10 000.

Poneys underground

Dans le film apparaissent des adolescentes à la croisée des âges, qui cousent de mignons chevaux et câlinent des peluches de poneys à longueur de journée. Elles parlent de leur écurie comme de vraies palefrenières : « Celui-ci est très énergique. » « Oui, tu l’as bien entraîné. » « Est-ce qu’il t’écoute un peu ? » Mais, à la tombée de la nuit, elles se réunissent en bande, et parfois en secret, pour des cavalcades effrénées dans les bois ou les terrains vagues.

Ces amazones finlandaises font aussi l’expérience pénible du foutage de gueule. Elles disent cacher leur passion à certains de leurs amis, être la risée des garçons de leur classe et recevoir des cailloux lors de chevauchées dans les bois. La youtubeuse Alisa Aarniomaki a même fait l’objet de harcèlement en ligne pour avoir posté des vidéos de ses chevauchées.

Mais le mouvement a fini par sortir des sous-bois. En 2019, le New York Times titrait « Les filles du hobby horse finlandais : autrefois société secrète, aujourd’hui démonstration publique ». Dans cet article, Selma Vilhunen déclare : « Les petites filles ont le droit d’être fortes et sauvages. » La réalisatrice admet avoir souri – comme nous – en découvrant le hobby horse, avant de se rendre compte qu’il s’agissait d’une vraie culture émancipatrice pour les (pré)ados.

Pourvu qu’elles galopent

C’est un sport complet, explique Roosa, l’une des jeunes pratiquantes qui apparaît dans le documentaire : « Tu te tiens en forme, tu apprends l’artisanat si tu réalises tes hobby horses et la coordination si tu fais du dressage. » « Et tu es entourée d’amies », ajoute Elsa.

Les jeunes filles qui s’adonnent à cet art participent, sans le savoir, à la lente conquête des espaces publics habituellement dominés par les garçons et les balles de foot. Elles développent des sortes de « bulles safes » où elles trouvent, chacune, un espace d’expression. « Ici, personne ne juge ton apparence. »

Les hobby-horseuses réinventent aussi l’activité de plein air, l’esprit de groupe, le challenge physique – à un âge où de nombreuses filles ont plutôt tendance à délaisser le sport pour leur compte Tik Tok. Si vous doutez de l’aspect sportif de la chose, allez voir les vidéos où des ados sautent de front des obstacles à 1 m 40 et comprenez bien la règle : il est interdit de courir normalement ; l’élan doit être pris au galop.

Les codes du genre

De Finlande, le hobby horse a conquis les autres pays nordiques et le reste de l’Europe. Autour de nous, les scènes les plus vivantes se situent, entre autres, aux Pays-Bas et en France, dans la région de Bordeaux. En toute logique, la grosse communauté de hobby-horseuses néerlandaises a fait quelques émules dans les manèges flamands.

Le Centre hippique de Tollembeek (Brabant flamand) s’est associé à un opérateur culturel pour organiser le Championnat du monde à Grammont en 2022. L’épreuve se voulait non genrée et inclusive. Chacun, jeune ou vieux, pouvait s’inscrire sans présélection au saut d’obstacles (différentes hauteurs possibles pour les enfants), au dressage (concours de style) ou au galop (course de vitesse).

Il n’y avait malheureusement pas de catégorie « hennissements », comme au Championnat du monde organisé en Vendée, et dont la première édition, en 2018, était parrainée par l’acteur Guillaume Canet. En Belgique, le règlement précisait aussi : le port du casque est obligatoire. On n’est jamais trop prudent…

Pour voir du hobby horse en vrai, visez un peu cette démo, qui a la classe finlandaise (ici). A moins que vous ne souhaitiez découvrir le style du champion belge (par là).

Pour s’entraîner au hennissement, c’est ici. Bon amusement.

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  1. Voir ses vidéos en français sur ce lien.

  2. Qui tombe, en hiver en Finlande, à l’heure du goûter…

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