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Version pas très originale

Cinéma en Wallonie - VF à tout prix

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Charly Josse. CC BY-NC-ND.

En Wallonie, neuf cinémas sur dix diffusent les films étrangers en version française. Et le public en redemande. Par facilité, mais aussi par habitude. Pourrait-on en finir avec cette exception wallonne ?

Le dernier Batman, de Matt Reeves, avec Robert Pattinson dans le rôle du justicier chauve-souris, est programmé partout en Belgique. Comme dans le reste du monde. Autant les multiplexes, ces complexes qui comptent au moins huit salles de cinéma, que les cinémas art et essai, l’ont mis à l’affiche. Sauf que les premiers le diffusent quasi uniquement en version française (VF) doublée et les seconds en version originale (VO) sous-titrée.

Pour Matthieu Bakolas, directeur du Quai10, à Charleroi, la version originale est une évidence. « Elle permet de respecter l’œuvre, de la maintenir dans son état originel, sans transformation ni altération. » Le monde de l’art et essai belge sera d’accord. Voir un film dans sa langue originale, avec la voix et le jeu des acteurs non doublés permet de saisir l’ambiance et le contexte du film. Sauf que le monde des cinémas art et essai wallon n’est pas folichon : ils ne sont que cinq cinés « labellisés » wallons à se partager le territoire. Soit un pour 700 000 habitants. C’est maigre.

À l’inverse, la Wallonie compte 35 complexes. Parmi eux, les Pathé, les UGC, les Kinepolis aux dizaines de salles, animés par une logique commerciale. « La proposition cinématographique d’un multiplexe est essentiellement celle du divertissement, avec une programmation basée sur le box-office. Il faut faire un maximum d’entrées et les films restent à l’affiche tant qu’ils attirent du monde », explique Laurence Hottart, coordinatrice du Caméo (site namurois du cinéma Les Grignoux à Liège). En d’autres termes, c’est simplement la loi de l’offre et de la demande : si le plus grand nombre veut de la VF, on programme de la VF.

Regarder un film dans sa langue d’origine présente pourtant pas mal d’avantages. D’abord, les sous-titres sont bien plus fidèles aux dialogues originaux que les voix qui les doublent en français. L’humour, les bizarreries, les traits de caractère des personnages sont mieux saisis par le public. Ensuite, la VO offre au spectateur la possibilité d’exercer son oreille à la langue, aux différentes prononciations, à la grammaire et au vocabulaire.

Soyons honnête : on va rarement au cinéma pour bosser et améliorer son niveau en langues étrangères. En outre, d’après Matthieu Bakolas, « certains spectateurs disent qu’ils ne parviennent pas à lire vite, tout en profitant de l’image ». Eh oui. Les sous-titres, ça demande un petit effort. Au moins au début.

Les enfants de la télé

« Les films doublés, en Wallonie, c’est un peu comme pour le pop-corn : les Européens le préfèrent sucré, alors qu’aux USA on ne le mange que salé (et avec du beurre !). En Inde, on apporte sa propre nourriture dans la salle et, en Corée, on y mange du poulpe séché », plaisante Jeremi Szaniawski, professeur de cinéma à l’ULB et fondateur du ciné-club de l’Université de Yale (États-Unis). « Le public wallon regarde principalement les chaînes belges francophones et les chaînes françaises, sur lesquelles la majorité des films passent en version française/ doublée. » Une habitude vieille de plusieurs décennies, qui s’est ancrée sociologiquement. Les parents de Laurence Hottart, coordinatrice du Caméo, ne l’ont jamais emmenée voir un film en version originale sous-titrée. « La question ne se posait pas car mes parents n’ont pas été éduqués à l’apprentissage des langues. C’est seulement bien plus tard, quand j’ai entamé mes études à Bruxelles, que j’ai commencé à regarder des films en VO et que je me suis rendu compte de ce qu’on perdait avec un film doublé en français. »

Quai10 vs Pathé

Charleroi incarne bien la ligne de fracture entre les deux approches. D’un côté, il y a le Quai10, un cinéma d’art et d’essai. De l’autre, il y a le Pathé Charleroi, un multiplexe anciennement dénommé Carollywood, avant que le français Gaumont-Pathé ne le rachète en 2015.

Le Quai10 dispose de cinq salles de cinéma et ne programme que des films en version originale sous-titrée. Sur l’année 2021, le cinéma a programmé 174 films, et chacune des 83 œuvres de langue étrangère a été diffusée en VO sous-titrée.

À l’inverse, le Pathé Charleroi dispose de 15 salles et ne programme presque que des films en version française. « Nous avons déjà tenté, en vain et à plusieurs reprises, quelques séances en VO. La fréquentation a été très décevante », explique par mail Laurent Lomba, directeur du Pathé Charleroi. Une façon de signaler que son cinéma n’entretient pas volontairement cette culture de la version française ? Il sera impossible d’en savoir plus sur leurs choix de programmation : la direction n’a pas souhaité nous accorder d’interview. La programmation du cinéma sur une semaine affiche 23 films, dont 13 de langue étrangère : tous sont diffusés en VF.

On peut être attaché à sa langue natale et quand même aller voir de la VO. La preuve en Flandre, où l’on double très peu. À Anvers, au cinéma Cartoon’s, les 117 films diffusés au cours de l’année 2021 sont en version originale sous-titrée français et néerlandais, à l’exception des quatre films pour enfants, doublés en néerlandais.

Même constat du côté du Kinepolis de Hasselt. Décortiquons la program­mation du troisième opus des Animaux fantastiques au cours de la semaine du 18 avril : le film est diffusé 34 fois en version originale. Aucune diffusion « nederlandstalige » pour ce blockbuster dont le scénario est signé J. K. Rowling.

Pour Jan-Willem Van Eemeren, l’un des propriétaires du cinéma Cartoon’s, la Flandre et la Wallonie ont un rapport très différent au doublage : « La Wallonie se situe plutôt dans la sphère d’influence méridionale. En France et en Espagne, aussi, un grand nombre de films sont doublés. En revanche, du côté de la Scandinavie et des Pays-Bas, cette situation est plutôt exceptionnelle. »

Il faut se rapprocher de Bruxelles pour voir l’opposition multiplexe-art et essai s’estomper. Dans le Brabant wallon, explique Arnaud De Haan, responsable de la réservation et la programmation chez le distributeur de films Cinéart, « il y a des cinémas plus généralistes qui programment de la VF et de la VO à Louvain-la-Neuve, Rixensart et même Braine-l’Alleud dans le groupe Kinepolis ».

Si on prend la programmation du Cinescope de Louvain-la-Neuve (devenu la propriété de Pathé en 2019) sur une semaine, on constate que 14 films sur 24 sont des œuvres étrangères. Seules trois d’entre elles sont diffusées en VF, toutes des dessins animés. Idem pour Batman, dont l’immense majorité des projections au Cinescope, mi-avril, étaient en version originale sous-titrée.

Qui choisit, au final ?

La Fédération Wallonie-Bruxelles, qui soutient la diffusion cinématogra­phique dans son territoire de compétence, n’a aucun poids sur la décision de programmer en VF ou en VO. Les cinémas sont libres de programmer comme ils le veulent. Par contre, un cinéma va toucher des subsides s’il diffuse un quota de films d’art et d’essai (au moins 70 % des œuvres, dans 70 % des séances, mais pas forcément en VO). Contre cette condition et dans l’objectif « de favoriser la diversité culturelle », un exploitant peut toucher entre 10 000 et 300 000 € pour une durée de deux à quatre ans.

Pourquoi donc les cinés art et essai se comptent-ils sur les doigts d’une seule main en Wallonie ? Refaisons les comptes : il y a le Quai10 de Charleroi, le Plaza Arthouse de Mons, les Grignoux de Liège, le Caméo de Namur et le Ciné4 de Nivelles. Cinq lieux de promotion du cinéma indépendant pour 3,6 millions d’habitants. En Région bruxelloise, c’est autre chose : sept cinés art et essai – tous regroupés à Ixelles et dans le centre de Bruxelles – pour 1,2 million d’habitants…

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Charly Josse. CC BY-NC-ND

Laurence Hottart l’explique par une impossibilité de faire fonctionner un ciné art et essai dans les zones rurales. « Les cinq cinés art et essai wallons sont dans des villes ou, en tout cas, dans des agglomérations urbaines. » Certains cinés de petites villes, comme le Caméo de Tamines, proposent une infime part art et essai. D’après la coordinatrice du Caméo de Namur, ces cinémas « de proximité » ne pourraient survivre sans une offre essentiellement commerciale.

Dans la capitale, il y a certes moins d’habitants que dans toute la Wallonie, mais avec un public potentiel plus concentré. D’où l’offre art et essai plus importante. « Bruxelles fonctionne comme toutes les métropoles : l’offre culturelle y est plus riche que dans des villes de province, la vie nocturne est plus dynamique et le public est plus sollicité. »

En attendant la conversion de la Wallonie à la VO et pour se convaincre de l’intérêt, au moins de temps en temps, d’aller voir des films en langue originale, rien de mieux que de regarder la bande-annonce française de Parasite, de Bong Joon-ho, Palme d’or 2019 et véritable succès en salles. Sans remettre en cause le dévouement des comédiens de doublage, on voit vite que français bien articulé et lutte des classes sud-coréenne ne font pas bon ménage.

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