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Volcan sous embargo

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Laetitia Gendre. CC BY-NC-SA.

Les données sismiques sur le volcan Nyiragongo (RD Congo) sont scrutées à la fois par des chercheurs congolais, belges et luxembourgeois. Un mathématicien congolais invite à les ouvrir à toute la communauté scientifique.

22 mai 2021. Panique à Goma, capitale de la province du Nord-Kivu. Le Nyiragongo, un des volcans les plus actifs du monde, distant d’à peine dix-huit kilomètres de la ville, est entré en éruption. Trente-deux décès, des milliers de maisons détruites et une grosse polémique dans les milieux scientifiques. Un article de la revue Science relaye une lettre d’un syndicaliste de l’Observatoire volcanologique de Goma (OVG). La lettre accuse : la direction aurait détourné des fonds internationaux censés être affectés au travail de l’Observatoire et fait arrêter des membres de l’équipe qui auraient dénoncé cette mauvaise gestion.

En ligne de mire, aussi, deux partenaires scientifiques de l’OVG : le Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren et le Centre européen de géodynamique et de sismologie (ECGS) à Luxembourg, dont certains chercheurs sont accusés de « néocolonialisme » dans leur relation avec l’Observatoire, et de prendre celui-ci en otage pour leurs propres recherches. Les deux institutions démentent en défendant la réalisation phare de leur collaboration avec l’OVG : un réseau de stations de collecte de données pour surveiller l’activité sismique dans la région, installé en partie grâce à de l’argent public belge. « C’est un réseau bâti sur des fonds utilisés dans le cadre temporaire de projets de recherches et qui, parce que cela a très bien marché, est devenu le réseau de surveillance principal pour l’OVG », explique François Kervyn, chef du service « Risques naturels » à Tervuren.

Un mathématicien congolais enseignant aux États-Unis, Jonathan Mboyo Esole, s’est penché sur la relation entre le consortium belgo-luxembourgeois et l’Observatoire. Il estime que les données sont conservées actuellement de façon trop fermée, et que cela entrave la recherche sur le Nyiragongo.

Travaux en péril ?

Les données collectées au Congo sont notamment détenues par le consortium belgo-luxembourgeois et l’OVG, pour les stations dont celui-ci assure la maintenance. L’architecture du réseau est complexe, mais peut être résumée ainsi : les données sont envoyées par internet au Luxembourg et renvoyées, toujours par internet, au Congo. Elles sont aussi stockées en local dans les stations.

Par ailleurs, ces données n’ont pas de licences de diffusion précises, explique François Kervyn. Elles font l’objet d’un embargo pendant lequel seuls les partenaires du projet peuvent les utiliser. Dans le cadre des données collectées durant le projet RESIST (2014-2019), qui a vu l’installation de multiples stations, la durée de l’embargo est de cinq ans. Et elle est de trois ans pour les données collectées après le projet. « Un partage avec des tiers est néanmoins possible en faisant une demande motivée, déclare François Kervyn, avec l’accord de tous les partenaires du réseau et sous condition de ne pas mettre en péril leurs travaux. »

Jonathan Mboyo Esole estime ces durées d’embargo excessives. « On les justifie en disant que cela sert de compensation pour le temps, les ressources et l’énergie nécessaire à collecter les données et aussi pour protéger cette collaboration de la concurrence d’autres chercheurs. Mais un million de personnes pourraient bénéficier d’une mise à disposition de ces données sans délai ou avec des délais plus courts. »

La pratique de l’embargo est courante en science. Mboyo Esole estime toutefois que, lorsqu’il y a un enjeu de sécurité publique comme avec les volcans, il y a un vrai intérêt public à accélérer la mise à disposition des données. « Une des meilleures pratiques se trouve aux États-Unis, où toutes les données volcaniques et géologiques récoltées avec de l’argent public sont disponibles. Cela augmente la transparence et la confiance des gens dans la science. Tout en renforçant la qualité de la science, les opportunités de collaboration et une compétition saine entre les équipes scientifiques. »

Science et confiance

François Kervyn rappelle que des informations ont déjà été partagées avec d’autres équipes. Mais se positionne contre une ouverture globale dès leur acquisition : « Je vous laisse imaginer la proportion de ces données qui seraient utilisées uniquement à des fins de recherche par des équipes internationales sans contribuer aux efforts énormes que le maintien de ce réseau nécessite et que l’OVG devrait assurer. » Il craint également que des données ouvertes en temps réel créent de mauvaises interprétations sismiques et des alertes infondées, qui mettraient la population en panique.

Même s’ils l’expriment en des termes différents, Mboyo Esole et Kervyn se rejoignent sur un point : l’Observatoire volcanologique de Goma devrait pouvoir être en mesure de gérer son propre équipement pour collecter des données sismiques. Ainsi, poursuit Esole, « il pourrait rendre les données existantes ouvertes à tous les scientifiques sans avoir à en demander la permission ». Pour le mathématicien, c’est au gouvernement congolais de prendre ses responsabilités, no­tamment financières, et « d’assurer l’indépendance scientifique du pays ».

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