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Sous tutelle ou sous verrous ?

Administration de biens

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Emilie Gleason. Tous droits réservés.

Avec la mise sous administration de biens, on protège le patrimoine de la mamy qui perd la mémoire. Mais le dispositif n’empêche pas toujours des administrateurs peu scrupuleux de vider au passage les comptes de cette mamy. La loi doit aider les plus vulnérables ; parfois elle cadenasse aussi leur vie. Elle concernait 113 000 personnes en 2018. Une augmentation en deux ans de… 28 % !

Ce jour-là, Cécile a cru à une mauvaise blague. Elle venait chercher sa mère placée depuis deux mois en maison de repos, pour une sortie au resto. Elles sont empêchées de quitter l’établissement. « Le personnel m’a dit que maman ne pouvait plus sortir sans la permission de l’administrateur de biens. » Que s’est-il passé ? Quand la mère de Cécile est entrée en maison de repos, « la directrice nous a proposé d’emblée une administratrice de biens. Nous n’aurions pas à payer les factures, c’était plus simple ». Mais la directrice est passée à l’étape suivante : obtenir du juge de paix une administration de la personne, ce qui implique que la maman de Cécile est désormais considérée comme incapable de prendre la moindre décision personnelle.

Comme changer de maison de repos, exercer ses droits de patient (ou pour les plus jeunes, se marier, exercer son autorité parentale). « Tout s’est décidé au cours d’une audience où nous, ses enfants, n’avons pas été convoqués. “Une erreur des greffes”, nous a-t-on dit plus tard. On ne connaissait pas l’administration de biens. Nous avions fait confiance et nous nous sommes retrouvés confrontés à un système de prise de contrôle totale de la personne. »

L’administration de biens est une mesure de protection judiciaire destinée aux personnes qui, en raison de leur état de santé physique ou mentale, ne sont plus capables de gérer leurs dépenses.

L’administrateur paie les factures et leur octroie de l’argent de poche. Une importante réforme du 1er mars 2013 a instauré un nouveau régime de protection des personnes majeures. Elle repose sur deux socles. Soit la personne vulnérable (on disait autrefois « incapable ») confie sa protection sur la base d’un mandat à quelqu’un de son choix (un parent, un ami proche). Soit elle s’en remet au juge de paix pour organiser une protection judiciaire de ses biens et/ou de sa personne. Le juge nomme alors un administrateur de biens – de préférence, dit la loi, au sein de la famille. Mais, en réalité, cette mission est confiée à un professionnel, un avocat, dans la toute grande majorité des cas.

Les personnes administrées sont souvent des personnes âgées en fin de vie, mais aussi des handicapés devenus majeurs, des personnes qui souffrent de troubles psychiatriques, qui ont des troubles du comportement (alcoolisme, toxicomanie). Le problème psychiatrique peut être simplement une dépression, voire un gros coup de blues, comme pour cet homme placé sous tutelle après avoir appris qu’il souffrait d’un cancer et qui n’ouvrait plus son courrier. Pour obtenir une mise sous tutelle par le juge de paix, il faut produire un certificat médical, mais certains juges ne le demandent pas. C’est souvent le cas quand on place sous administration des personnes surendettées qui continuent à trop dépenser. Elles souffrent de « prodigalité » (c’est le terme utilisé par la loi), un « trouble » du comportement donc.

Qui peut faire la demande de protection judiciaire d’un tiers ? « Toute personne intéressée », dit la loi. Cela peut être un membre de la famille, un travailleur social, un voisin… « C’est très facile, nous explique Marie-Noëlle De Decker, directrice du Centre d’action sociale globale (CASG) pour les familles. Quand je travaillais à l’hôpital Bordet comme assistante sociale, j’ai fait mettre des personnes sous administration. Je téléphonais au juge de paix que je connaissais tellement bien que je l’appelais par son prénom. Les papiers étaient prêts, le juge passait visiter la personne et, hop, en quelques minutes, c’était réglé. » La famille doit en principe être prévenue et convoquée à l’audience. Mais elle ne l’est pas toujours. Plusieurs témoins nous ont affirmé avoir découvert par hasard, dans la chambre de leur parent, le juge de paix appelé par le personnel de l’hôpital ou de la maison de repos.

Une procédure infantilisante

Dans cette mise sous tutelle, la maison de repos joue un rôle ambigu. Bien sûr, le personnel est bien placé pour constater la dégradation de la santé des résidents, mais « la mise sous administration de biens est souvent présentée de manière sexy à la famille. On leur dit qu’elles seront débarrassées des soucis financiers », constate Aurélie Ehx, chargée de recherches à l’Autre Lieu, centre d’accompagnement de personnes ayant des troubles psychiques. Des maisons de repos en font « leur fonds de commerce » quand elles demandent aussi une administration de la personne. « C’est une manière de garder captifs leurs résidents qui ne peuvent désormais plus changer de maison de repos. » Aurélie Ehx constate que trop de juges de paix entrent dans ce jeu en prenant simultanément une mesure de protection de la personne et des biens.

« La procédure d’administration de biens est très infantilisante, reconnaît Vincent Bertouille, juge de paix à Forest et magistrat de presse pour l’Union royale des juges de paix et de police. La protection de la personne réduit encore davantage sa liberté. Personnellement, je refuse pratiquement tout le temps cette double mesure. Bien sûr, les résidents en maison de repos qui ne sont plus capables de gérer leurs biens ne peuvent souvent plus, en toute indépendance et connaissance, prendre des décisions quant à leur lieu de résidence. Mais est-il nécessaire de mettre cette couche juridique supplémentaire ? »

Les relations entre l’administrateur et la personne protégée ou son entourage peuvent être très conflictuelles. Nous avons rencontré une dizaine d’intervenants sociaux. Tous se sont plaints du peu, voire de l’absence de disponibilité de l’avocat qui ne répond ni au téléphone ni aux mails de la personne sous tutelle. Et qui, parfois, ignore les appels des travailleurs sociaux. « Ils nous raccrochent au nez », s’indigne cette assistante sociale du CPAS de Forest. Cette attitude n’est pas sans conséquence sur la vie quotidienne de la personne mise sous tutelle. Anne Rakovsky a travaillé neuf ans dans un CPAS comme assistante sociale : « Il y avait très peu de dossiers où les relations étaient bonnes avec les administrateurs. » Le plus gros problème ? Les coupures d’énergie à cause des factures non payées par l’administrateur. « On essayait vainement d’entrer en contact avec lui. » Pourquoi ne pas signaler ce comportement au juge de paix ? Les assistant(e)s du CPAS n’ont pas le temps de le faire, explique Anne Rakovsky. « On préférait contourner l’administrateur et aider directement la personne. Par ailleurs, les personnes sous tutelle nous disaient avoir peur de leur administrateur et peur aussi que la plainte n’aboutisse pas, ce qui aurait eu pour effet d’empirer encore les relations. C’est un public très, très fragile, qui ne revendique pas. »

« J’ai déjà entendu des confrères dire : “Je ne réponds plus au téléphone”, admet Catherine Sans, avocate et administratrice de biens. Je ne comprends pas cette attitude, mais il est vrai que nous gérons des profils très difficiles. Un de mes administrés est toxicomane et il me téléphone plusieurs fois par jour pour demander de l’argent. » « Certains confondent leur administrateur avec leur assistant social, reconnaît Aurélie Ehx. Les gens placés sous tutelle ne comprennent pas toujours ce qui leur arrive. Leur seul interlocuteur, c’est l’administrateur ; alors ils l’appellent souvent et les avocats finissent par couper les ponts. Les avocats n’ont pas de formation sociale, et cela pose problème. » « C’est vrai, j’ai appris sur le tas, mais j’ai beaucoup de contacts avec les assistants sociaux. Ils me conseillent et, neuf fois sur dix, ça se passe bien. » Catherine Sans dit se sentir « comme un parent » envers ses administrés.

Un avocat liégeois, qui a préféré rester anonyme, n’a pas vraiment la même approche : « Les administrations de biens, c’est une manière d’arrondir les fins de mois. Il faut dire que ce n’est pas très excitant intellectuellement, c’est beaucoup de paperasserie. Je vais voir les gens une fois par an, comme la loi l’oblige. Je paie les factures, mais qu’on ne m’oblige pas à jouer les psys avec des dépressifs ou à faire la conversation avec des papys qui n’ont plus leur tête. »

Leçons de morale

Michel Forges, bâtonnier de l’Ordre français du Barreau de Bruxelles, est d’accord. « L’avocat est un technicien. Il n’est pas adapté à une mission d’aide et ce n’est pas sa formation qui va lui donner les qualités humaines nécessaires. »

La loi a pourtant prévu un relais. Le juge doit désigner une personne de confiance qui fait le lien entre l’administrateur et l’administré. Pour Thierry Marchandise, juge de paix à La Louvière, la personne de confiance lui est « indispensable » pour être informé sur le déroulement de la tutelle. Mais 54 % des juges disent passer outre et considèrent la personne de confiance comme « inutile ». Sans doute « parce que s’entendre à deux, juge et administrateur, est plus facile qu’à trois », regrette Vincent Bertouille.

L’administration de biens est souvent une histoire de gros sous. Quand le patrimoine est important, la famille est aux manœuvres pour « encadrer » le parent défaillant, et pas toujours dans un souci altruiste. La personne sous tutelle, elle, ne peut plus faire de virements, passer au distributeur de billets. Elle se retrouve à vivre avec « l’argent de poche » (c’est le terme) que lui donne son administrateur. « En fonction du budget disponible », nous disent les avocats car parfois « il n’y a rien », pas même de quoi payer les honoraires des avocats qui demandent alors au CPAS d’intervenir. Mais ce n’est pas le cas de Marianne (prénom d’emprunt).

« Je souffre de la maladie de Parkinson. La prise des médicaments induit des effets secondaires qui peuvent provoquer des comportements addictifs. Mes enfants ont eu peur quand ils ont vu que j’étais atteinte par la maladie et, pour les rassurer, j’ai demandé une aide à la gestion de mes comptes. On m’a mise sous administration de biens. L’avocat me laisse 150 euros par semaine alors que j’ai 60 000 euros sur mes comptes et que je suis propriétaire de plusieurs immeubles. Avec cet argent de poche, je dois payer mes médicaments qui me coûtent 150 euros par mois. Je me déplace difficilement en transports en commun. J’ai demandé à mon administrateur que l’on puisse livrer mes courses à domicile. Il a refusé. Je ne peux plus m’acheter de livres ni réparer mon appareil photo alors que, la photo, c’est ma passion. » Marianne a demandé au juge de changer d’administrateur. « Vos récriminations ne sont pas fondées », lui a répondu le juge de paix.

« La loi prévoit explicitement une mission d’intégration de la personne mise sous tutelle, explique Aurélie Ehx. Pourquoi empêcher Marianne de faire de la photo ? Les administrateurs font souvent des économies de bout de chandelle. Je pense que c’est une question de regard sur la personne sous tutelle. Un regard parfois maternant ou condescendant avec la conviction que l’on sait mieux ce qui est bon pour elle. » Pour la directrice du CASG, Marie-Noëlle De Decker, cela frôle parfois la maltraitance. « Je connais des héritiers qui vont se réjouir du pactole que va leur laisser leur père. Il n’a jamais rien dépensé. Il voudrait aujourd’hui voyager mais l’administrateur refuse. Pourquoi, alors que l’argent ne manque pas ? »

« C’est une question très conflictuelle, reconnaît Vincent Bertouille. C’est la raison pour laquelle, moi, j’impose un budget établi avec la personne à protéger et la personne de confiance. » Le juge de paix admet que des jugements moraux interviennent, et plus encore quand un administrateur familial est désigné. Doit-on prévoir un budget pour acheter des cigarettes ? « Le type qui veut aller à la gare du Nord pour voir des femmes. On donne ou on ne donne pas ? »

Pour plusieurs intervenants sociaux, une explication à ce régime de diète serait le mode de rémunération des administrateurs de biens : leurs honoraires sont calculés sur 3 % de tous les revenus de la personne, y compris donc les revenus patrimoniaux. Alors, pour préserver au mieux ce patrimoine, on assiste parfois à des opérations curieuses. Comme retarder l’achat d’un appartement alors qu’un héritage vient d’être versé sur les comptes de la personne administrée. Les conflits liés aux transactions immobilières sont fréquents. Myriam a dû prendre un avocat contre l’administratrice des biens de sa mère. « Le juge a décidé sans notre accord, précise-t-elle. Un mois plus tard, cette administratrice a vidé la maison parentale, tout a été vendu. Puis elle a voulu vendre l’immeuble dont nous étions copropriétaires. Le tout sans jamais informer notre sœur pourtant désignée personne de confiance. »

Aux 3 % d’honoraires s’ajoutent les « devoirs exceptionnels » de l’avocat, pour mettre une maison en location, par exemple, ou écrire au notaire. Le juge de paix doit contrôler ces frais, mais faute d’une réglementation (promise depuis 2016 par le ministre de la Justice), chacun fait ce qu’il veut. Marie-Claire Lodefier, conseillère à l’Union des villes et des communes wallonnes, se dit « effarée par l’explosion des frais d’administrateurs » pour les CPAS. Elle nous montre la lettre d’un centre où une facture de 3 772 euros (honoraires et frais) a été présentée par un avocat, avec l’aval du juge de paix. Il est vrai qu’avec, par exemple, « 150 courriers comptés à 10 euros l’unité » ou « 63 virements à 1,50 euro », la facture peut grimper très vite. « Quand le CPAS refuse de régler la note, l’administrateur peut décider de ne pas payer le loyer ou la maison de repos en se servant d’abord sur la pension de la personne. Nous conseillons aux CPAS d’exiger des avocats qu’ils justifient chacune des dépenses. »

Tous les ans, l’administrateur doit rendre au juge de paix un rapport sur l’état de la personne et de son patrimoine. Ce contrôle par le juge de paix (et/ou par le greffier) est fondamental pour détecter les fraudes. Il y a par exemple eu le cas de l’avocat Jean-Luc Burlion, qui a détourné, au fil des ans, 11 millions d’euros auprès de ses administrés. Plus récemment, en 2019, deux avocats de Charleroi ont été condamnés pour avoir spolié leurs victimes de centaines de milliers d’euros.

Le Conseil supérieur de la justice (CSJ) a rendu public le 31 juillet 2019 un audit des juridictions de paix sur leur contrôle administratif et financier des administrations de biens. Verdict ? Le suivi des rapports financiers est « minimal ou inexistant » dans certains cantons. Le contrôle des frais et honoraires de l’avocat ? Idem. L’audit signale des pratiques scandaleuses, comme faire payer dix fois les frais de déplacement pour une seule et même visite à dix résidents d’une maison de repos. Le CSJ s’alarme surtout du fait qu’il n’y a pas « d’approche préventive et réactive organisée devant le risque de fraude et de conflits d’intérêts ». L’audit trouve « étonnant qu’il n’y ait aucun réflexe parmi les greffiers, les chefs de corps, de partager les informations sur les cas de fraude ». Plus interpellant encore : la fraude n’est pas toujours signalée au parquet.

Selon le Registre national, il y avait, en octobre 2018, 61 151 administrateurs familiaux ou professionnels, dont près de 37 000 ne gèrent que les biens. Comment se fait la sélection des avocats par le juge ? Au feeling, constate l’audit. « Je les reçois pour savoir à qui j’ai affaire, nous dit Thierry Marchandise. Je vérifie leur disponibilité et s’ils n’ont pas de difficultés relationnelles avec les personnes âgées. L’administration de biens est une belle matière, en relation avec la vieillesse et la fragilité humaine. » « J’ai étoffé mon équipe avec des avocats que je connais, que j’ai vus plaider devant moi », explique Vincent Bertouille. Tous deux disent travailler « à la confiance ». Qui, une fois, reconnaît Thierry Marchandise, a été trahie. Vincent Bertouille a détecté des fraudes et les a signalées au parquet, « mais y a-t-il eu une suite ? » Et pour le contrôle des rapports ? « J’ai mille dossiers. Par dossier, en moyenne trois ou quatre comptes bancaires et environ dix mouvements par mois sur le compte… Faites le calcul ! Pour moi, le meilleur vaccin contre la fraude, c’est le fait que l’administrateur sait qu’un jour il sera pris. Chez moi, les avocats reçoivent au moins une fois la visite d’un contrôleur. »

Copinage

Le Conseil supérieur de la justice (CSJ) pointe d’autres écarts par rapport à la loi. Comme l’éviction généralisée de l’administrateur familial au profit des avocats dont certains gèrent parfois des centaines de dossiers. Ces derniers ne comprennent pas que le CSJ veuille les limiter. « C’est d’une bêtise sans nom », assure le bâtonnier Michel Forges. Pour lui, gérer beaucoup de dossiers ne pose pas de problème à un gros cabinet qui dispose d’une bonne équipe de collaborateurs. Magali Clavie, présidente de la commission d’avis et d’enquête du CSJ, rétorque : « Si un juge a des doutes sur l’honnêteté ou la compétence d’un administrateur, il lui sera plus difficile de s’en séparer si celui-ci gère un grand nombre de dossiers dans son canton. » Le CSJ veut empêcher également la désignation de juges suppléants (des avocats ou notaires qui peuvent remplacer les magistrats) comme administrateurs. « Aberrant », disent les juges qui, surtout dans les petits cantons wallons, ont bien besoin de ces remplaçants bénévoles, vu le manque de magistrats. « L’administration de biens est perçue comme une forme de récompense, estime Magali Clavie. “Tu me remplaces ? Je te donne des administrations.” Que le juge doit ensuite contrôler. Le public peut y voir de la partialité, et même de la collusion. »

« Collusion, copinage » : ces mots, nous les avons entendus souvent chez nos témoins. En 2014, un juge de paix d’Ostende a été écroué pour corruption. « Nous avons l’impression de collusion quand, malgré les plaintes contre certains administrateurs, le juge de paix continue à les désigner, dit Aurélie Ehx. On est alors obligé de faire appel à des avocats, et c’est très difficile d’en trouver un. Rares sont les avocats prêts à batailler pour dénoncer un confrère. » L’audit confirme que, si 88 % des justices de paix déclarent avoir déjà reçu des plaintes, il n’y a pas de suivi structurel de celles-ci.

Et cela engendre la colère. Médor a reçu une quinzaine de témoignages dès le début de l’enquête. Ils expriment tous le désarroi, le sentiment d’avoir été piégé, un vif ressentiment à l’égard de la Justice. Véronique avait dû batailler auprès du juge pour être désignée administratrice familiale de sa mère, mais, hospitalisée, Véronique n’a pu ni rendre à temps le rapport annuel au juge de paix ni répondre à sa convocation. « Malgré le certificat médical, le juge m’a remplacée par une avocate, qui a multiplié les actes, les lettres, tous ces frais qui rapportent de l’argent. Elle veut à présent vendre la maison où j’habite. Je payais un loyer à ma mère mais comme ça, sans contrat. Je n’ai pas pu défendre ma mère, poursuit Véronique avec émotion. J’ai dû prendre un avocat qui me coûte cher. Je suis seule, j’ai peur qu’on me désigne aussi un jour un administrateur. Qui me défendra alors ? » Une question qui est un fameux paradoxe quand on connaît l’objectif de la loi.

Faut-il la revoir ? Koen Geens l’a annoncé en août 2019 mais son cabinet reconnaît que l’on n’a guère avancé. Le projet du ministre de la Justice consiste notamment à créer une commission qui assurerait le suivi des plaintes et disposerait d’une liste d’administrateurs agréés. Le bâtonnier Michel Forges est partisan de réformes, notamment pour mieux former. « Tous les avocats ne sont pas aptes à devenir médiateurs, curateurs, administrateurs de biens. On est prêt à organiser ces formations et même à les sanctionner par un examen. »

Peut-être faut-il aussi intervenir en amont. Éviter que l’on ne place trop vite des personnes sous tutelle. Parce qu’ensuite, changer d’administrateur ou lever la mesure de protection tient du parcours du combattant. « En 16 ans, cela ne m’est arrivé qu’une seule fois », reconnaît l’avocate Catherine Sans. Parmi les bonnes pratiques, dans le canton de Grâce-Hollogne, le juge de paix ne place une personne sous administration que lorsque toutes les autres possibilités de soutien ont été épuisées.

L’augmentation des mises sous administration est ressentie chez tous les acteurs. En 2016, 88 000 personnes étaient sous tutelle, en 2018, 113 000. Le nombre de personnes âgées dépendantes augmente, mais cela n’explique pas tout. Le CSJ dénonce les juges qui vont à la pêche aux administrations dans les maisons de repos et qui, persuadés que c’est pour un mieux, mettent sous tutelle « des personnes qui devraient plutôt bénéficier d’une guidance budgétaire ». Les CPAS sont aussi à la manœuvre. Un nombre croissant d’entre eux essaient de se débarrasser de leurs usagers « difficiles » en mettant sous administration ceux qui sont toujours désargentés le 10 du mois. Cela ressemble fort à un détournement de la loi. Punir, écarter les plus vulnérables, ce n’était pas le but.

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