2020 nous appartient
Enquête (CC BY-NC-ND) : La rédaction
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Une tronçonneuse. De celles qui vous décapitent des baobabs – et un peu de la beauté du monde. Voilà l’outil choisi par le gouvernement flamand Jambon Ier pour modeler (annihiler, plutôt) son budget culturel. En 2020, les aides flamandes aux projets artistiques seront réduites de 60 %, passant de 8,4 à 3,4 millions d’euros. Mais les lames épargneront les initiatives liées au patrimoine flamand, tel le pittoresque domaine de Bokrijk dans le Limbourg (d’où est originaire Jambon), un musée en plein air qui retrace la vie campagnarde traditionnelle du XIXe siècle. Un autre secteur touché, dans une moindre mesure, par les coupes budgétaires de ce gouvernement flamand très Bokrijk-stijl, c’est le journalisme.
Le ministre des Médias, Benjamin Dalle (CD&V), a décidé de supprimer les subsides au Vlaams Journalistiek Fonds et à la Mediacademie — à quoi bon soutenir cette corporation d’emmerdeurs alors que les autorités rédigent de si bons communiqués de presse ? Le Fonds en question était doté d’une enveloppe annuelle d’environ 500 000 euros. Il a notamment permis au média d’investigation en ligne Apache de développer le projet Apache Lokaal qui produit des enquêtes locales de qualité, par exemple sur la privatisation des piscines publiques ou la vente de biens appartenant aux communes. Sans son pendant francophone, le Fonds pour le journalisme, nous ne pourrions pas passer de temps sur des sujets impayables, comme la vaste enquête sur Fluxys que vous lirez dans ces pages.
Pour le journalisme flamand, il ne reste donc que le Fonds Pascal Decroos pour l’investigation, financé par le gouvernement flamand mais avec des moyens limités. Nous publions dans ce numéro une magnifique enquête sur les victimes du Distilbène, qui n’aurait pas vu le jour sans ce soutien précieux.
À la suite de l’annonce de Benjamin Dalle, nos collègues d’Apache et le collectif de médias flamands en ligne Media.21 ont rappelé que le gouvernement flamand continuait pourtant de distribuer 120 millions d’euros à Bpost chaque année, dans une certaine opacité, afin que les publications des grands groupes de presse flamands parviennent à temps dans nos boîtes aux lettres.
Côté francophone, le financement du Fonds pour le journalisme de la Fédération Wallonie-Bruxelles, géré de façon indépendante par l’Association des journalistes professionnels, n’est pas remis en question. Mais la leçon que la Flandre nous envoie est claire : nous, citoyens, devons soutenir de toutes nos forces la culture et les médias. Comment les artistes peuvent-ils se relever après de telles coupes budgétaires ? Nous n’en avons aucune idée. Pour ce qui est des médias, nous avons de plus en plus la conviction que les subsides sont cruciaux mais que, si nous voulons une réelle indépendance idéologique et financière, nous ne pouvons compter que sur des lecteurs conscients des enjeux démocratiques.
Car c’est bien l’indépendance d’un média qui garantit sa pertinence, son avenir et sa capacité à y voir clair. Qu’il s’appelle New York Times avec ses 4,9 millions d’abonnés (2 millions de plus que le mois précédant l’élection de Donald Trump, qui passe ses matinées télé à dézinguer le titre sur Twitter) ou Marsactu, un média local marseillais détenu par ses journalistes, qui a été le premier à alerter sur l’état scandaleux de plusieurs immeubles résidentiels de la cité phocéenne, avant l’effondrement de l’un d’eux. Ou Médor, dont le financement dépend à 96 % de ses lecteurs et qui vous lance aujourd’hui un double appel : nous avons besoin d’augmenter notre nombre d’abonnés – que nous appelons désormais « membres » (voir « Les coulisses du web », p. 123-125) – afin de couvrir les coûts de fonctionnement de notre projet et de payer correctement tous nos collaborateurs ; nous voulons également augmenter les recettes de notre coopérative pour financer les développements récents liés à la construction de notre nouveau site. Avant de vous plonger dans la lecture de ce numéro, nous vous invitons donc à envisager – si ce n’est déjà fait – de devenir membre de Médor et de prendre une, deux ou 37 parts sociales (20 euros chacune) de notre coopérative, pour vous, votre belle-mère ou votre enfant, via www.medor.coop
Contribuer au développement d’un média indépendant, qualitatif et innovant, en ces périodes de bokrijkisation de la société, c’est aussi une chic idée pour Noël. Qu’on se le dise…
Parce qu’un soutien matériel des pouvoirs publics à la liberté d’expression, à un journalisme de qualité, c’est important. Des citoyens qui embrassent un projet de presse, le suivent, le façonnent, le nourrissent, le critiquent, l’améliorent, et des journalistes qui les écoutent, c’est encore mieux.