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Coller - serrer

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Johanna de Tessières. Tous droits réservés.

La culture BDSM (bondage, sado-masochisme) se développe discrètement à Bruxelles. Des prostitués se sont spécialisés en la matière. Au moins dix travailleurs du sexe proposent leurs services à une clientèle ciblée : les homosexuels masculins.

« Tu peux aller te déshabiller à côté », annonce Maxime à son client. Guillaume dépose le verre de vin qu’il sirotait dans le salon d’un appartement de Saint-Gilles, en Région bruxelloise.

Déjà prêt, dans son pantalon de cuir et son tee-shirt noirs, Maxi­me fait cracher le dub­step de ses baffles, enfile gants de latex et mas­que de chirurgien « pour le côté flippant du personnage », puis franchit la porte pour rejoindre Guil­laume dans le « donjon ». Au mur, à côté d’une représentation assombrie de La Cène, pendent cordes, fouet, cravache, collier de cuir et laisse. D’autres instruments sont rangés sur la cheminée ou disposés dans une vitrine : martinet, bâillon, sonde à urètre, spéculum, godes…

Délicatement, Maxime dégage une mèche de cheveux de Guil­laume, lui enfile une cagoule et un collier de chien. Il lui ligote la main gauche derrière le dos, fait le tour des épaules à l’aide de la corde et l’enlace pour aller chercher le bras droit, qu’il coince également dans le dos. La peau se plisse en­tre les liens. Voilà déjà dix minutes que la séance a débuté. « Ça va ? » Maxime s’enquiert de l’état de son client. Un soupir sert de réponse.

Le jeune homme chétif de 27 ans s’empare d’une roulette dentelée, puis de pinces et d’une cravache pour blesser les flancs et les tétons. À chaque coup, la respiration de Guillaume s’accélère, ses yeux se ferment et les zones endolories rougissent.

Avec sa visite hebdomadaire, ce trentenaire massif est le client le plus régulier du prostitué, qu’il avait repéré sur Internet en octobre 2015. « Son style punk, marginal, avec ses tatouages et ses piercings, m’a tapé dans l’œil », décrit Guillaume, célibataire dont l’accent trahit les origines bruxelloi­ses.Le profil de Guillaume correspond à la clientèle type de Maxi­me. « Ce sont plutôt des personnes de la classe moyenne. Certains sont des hétéros de façade qui me parlent de leur femme, de leurs enfants. Beaucoup semblent isolés, pas bien dans leur peau. »

Toute première fois

Ses clients, Maxime les range dans deux catégories : les habitués et les « premières fois ». « Avec les habitués, c’est facile, ils savent ce qu’ils viennent chercher et ils connaissent leurs limites. Avec les novices, je dois deviner les envies, donc j’avance à tâtons, en testant les pratiques et en scrutant les réactions. Certains préfèrent l’humiliation psychologique, d’autres la domination physique. » Cette dernière se concrétise, dans les cas extrêmes, par des incisions au scalpel ou des perforations de la peau à l’aide d’aiguilles.

Généralement, le client ne choisit pas, c’est Maxime qui décide « à l’instinct » ce qu’il va faire subir à son vis-à-vis. « Cela paraît incroyable mais tous formulent la même requête : que ce ne soit pas douloureux. Quand je pense à tout ce que je leur inflige finalement, c’est incompréhensible », s’étonne-t-il. « Si on me faisait le quart, je porterais plainte ! »

Ce qu’il comprend beaucoup mieux, c’est le plaisir que les adeptes prennent dans le bondage. Cette pratique procure « une sensation mêlant curieusement contrainte et quiétude. Ils ignorent comment je vais les ligoter, s’ils vont souffrir ou non, combien de temps cela va durer. Entretenir ce mystère est assez excitant ».

Malgré ses trois années d’expérience dans le BDSM, Maxime continue de se montrer surpris par les envies de certains clients. « L’un d’eux adore être attaché, avoir les yeux bandés et que je fasse brûler de la sauge. Un autre vient ici avec son masque, sa combinaison de chien et exige que je le balade en laisse », décrit-il en pointant du doigt une gamelle qui traîne au sol. « Elle sert uniquement pour ce gars-là… »

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Johanna de Tessières. Tous droits réservés

Toujours dominer

Le travailleur du sexe doit cependant veiller à ce que les désirs soient conformes à la législation. Il prend en exemple un chef d’entreprise dont le fantasme est d’être kidnappé, bâillonné et séquestré depuis son lieu de travail jusqu’au donjon. « Je ne peux pas accepter car la justice se moque que la personne soit consentante ou non. Il est interdit de séquestrer qui que ce soit. Je dois aussi veiller à ne pas être accusé d’exercice illégal de la médecine, en pratiquant une ablation du prépuce, par ex­emple. »

Dans son métier, Maxime se fixe certaines règles. L’une d’elles est primordiale : toujours dominer. « Jamais je ne laisserai un client prendre le dessus car la pratique nécessite de la maîtrise », assure le jeune homme qui réalise des nœuds de plus en plus compliqués. « Il faut absolument veiller à ne pas trop serrer certains points. Je me suis déjà retrouvé avec un client dont les doigts étaient congelés et une partie du corps rouge de chaleur. Ensuite, quand j’ai retiré les aiguilles, le sang a jailli. Il était hémophile et ne m’avait pas prévenu ! Je ne vous dis pas le stress… Depuis lors, je redouble d’attention. »

Après avoir dénoué les liens, Maxime invite Guillaume à s’allonger sur le lit et lui attache solidement les bras aux barreaux. Aussi peu souple qu’un chêne, le client semble paralysé dans cette position. Maxime se met à califourchon sur son dos pour le masser avec vigueur et couvrir sa nuque de baisers. Cette furtive séquence câline fait ensuite place à une scène nettement plus térébrante. À chaque coup de fouet, passage de la roulette ou brûlure à la cire, le corps de Guillaume se courbe, les cris stridulent, les rougeurs se violacent et le visage s’enfonce dans le matelas.

Après quasiment une heure d’ébats, le « tortionnaire » lui ôte le collier et la cagoule. « Reprends tes esprits et rhabille-toi », indique-t-il en quittant la pièce. Il remplit les verres à vin et, tel un sportif à l’issue d’un effort, se pose pour retrouver des forces. « C’est le moment de la décompression. »

Deux minutes plus tard, Guillaume passe la porte, le visage marqué d’un sourire béat.

L’absence de rapports sexuels durant la séance semble le laisser indifférent. « Parfois il y en a, parfois pas. C’est au feeling », expose-t-il, stoïque. Maxime abonde : « Ça dépend du client, du moment. Lorsqu’il y a préliminaires, le client freine généralement pour ne pas aller trop loin. Cela me plaît, j’aime l’idée qu’il garde sa frustration en rentrant chez lui. Le plaisir peut être ailleurs : dans l’affection, les contacts humains. Ce que nous faisons est bien plus intime qu’un rapport sexuel. »

D’ailleurs, même s’il incarne un personnage autoritaire, le jeune homme ne se montre pas castrateur. « Je ne cherche pas à faire passer le client pour un moins que rien ou à instaurer une relation “maître-esclave”. Celui qui vient ici pour ça est mal tombé. Je ne suis pas un sadique pur et dur, je n’y arrive pas, je n’y tiens pas ! »

Complément de salaire

Maxime passe son enfance à Lille. Il n’est pas encore majeur lorsqu’il plaque tout pour s’installer à Lyon. Esprit timide et subversif, peinant à se sociabiliser, il conserve peu de souvenirs de cette époque. « L’adolescence n’a pas été une belle période. J’ai vite été projeté au pays des adultes. »

À 21 ans, les revenus qu’il perçoit comme serveur au McDo lui permettent à peine de payer ses factures. Sur les conseils d’un ami actif dans le milieu, Maxime se lance dans la prostitution pour disposer d’un complément financier. « Ce choix, je l’ai opéré par défaut mais il était nécessaire pour pouvoir profiter d’un semblant de vie sociale. C’est seulement dans un second temps que je me suis épanoui dans le métier. »

Il débute comme « simple gigolo ». En parallèle, dans sa vie privée, il participe à des soirées fétichistes, où il s’initie au bondage « pour l’aspect esthétique et méditatif ». Il y prend goût et, à 24 ans, commence à proposer ses services en tant que BDSM.

Voilà maintenant deux ans que Maxime a posé ses valises à Bruxelles. En plus de la prostitution, il travaille trois jours par semaine dans un service social et de santé pour les travailleurs du sexe. Et il suit des cours d’anthropologie. « J’aime ma vie ici. Les mentalités sont ouvertes et la ville est conviviale. »

Maxime ressent pourtant déjà une lassitude à force de devoir justifier ses choix. « Je dois constamment me battre, expliquer. Le BDSM fait flipper. Même pour mes parents, ce n’est pas un sujet facile. On n’en parle pas aux repas de famille. Je ne comprends pas que des gens soient dérangés par le SM. Ils peuvent être intrigués, mais pourquoi s’inquiéter de la sexualité des autres ? L’humanité n’est pas en sucre… »

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