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Quand la Ville se plante

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Axel Korban. CC BY-NC-SA.

Faire pousser des tomates au coin de votre rue ? Fleurir la place grise sous votre fenêtre ? C’est possible à Liège, qui a lancé en mars 2017 le permis de végétaliser. Soit verduriser l’espace public avoisinant. Mais l’idée est rejetée à Namur, tandis qu’à Huy, encore plus fort, les autorités communales démolissent les aménagements d’une façade verte.

Tandis qu’au printemps, à Liège, la Ville faisait la promotion de son nouveau « permis de végétaliser », à Huy, l’administration communale sommait un de ses habitants de détruire l’oasis de verdure qu’il avait aménagée, en 1995, devant la façade de sa maison. Suite à une plainte d’un voisin, Jean-Marie Eloy s’est vu reprocher par les autorités locales « une usurpation du domaine public qui entraîne des troubles de circulation en cet endroit, augmentant le danger en cas de croisement de véhicules ». Dans la ruelle du Cerf, en circulation locale, la terrasse garnie de lavandes, de pois de senteur et autres plantes grimpantes a pourtant été construite avec le consentement tacite de l’administration communale de l’époque, dans le respect du plan communal d’aménagement de 1994. Une pétition en faveur de son maintien a été lancée par d’autres habitants du quartier, mais les 400 signatures recueillies ne semblent pas pouvoir infléchir la décision de la commune : « Les travaux d’enlèvement sont prévus en cette rentrée de septembre, et ils seront facturés au propriétaire », affirme Didier De Hoe, porte-parole du bourgmestre socialiste Christophe Collignon.

ESPACE PUBLIC (MAIS PAS TROP)

Ce « fait divers » illustre les questions qu’entraîne la réappropriation de l’espace public par des citoyens en manque de verdure, une tendance croissante depuis la naissance du projet des Incroyables Comestibles. Né en Grande-Bretagne en 2008, ce mouvement promeut l’occupation des espaces publics par des plantations citoyennes de légumes, fruits et fleurs comestibles mis à la disposition de tous, gratuitement. De nombreuses villes ont été prises au dépourvu face aux demandes enthousiastes et aux initiatives spontanées de leurs habitants. À Liège, l’asbl Le Beau Mur a accompagné le mouvement et est parvenue à le rendre désirable auprès des pouvoirs locaux. C’est ainsi qu’est né le premier « permis de végétaliser » de Wallonie. Inspiré par le succès de celui lancé à Paris deux ans plus tôt, ce dispositif assouplit les procédures administratives pour les demandes d’autorisation de cultiver des plantes dans les espaces publics. L’avancée fait des heureux du côté tant des élus que des citoyens, mais le permis de végétaliser de la Cité ardente reste moins ambitieux que celui de la Ville Lumière. « Il ne s’étend que du 15 juin au 15 octobre : on espère que son succès incitera la commu­ne à pérenniser l’expérience », explique Emilie Koch, animatrice au Beau Mur.

La grande crainte des pouvoirs publics, confirmée par l’échevin liégeois de l’Environnement André Schroyen (CDH), c’est que ces lieux deviennent des dépotoirs en hiver. « On a été surpris de constater que, lorsqu’il est accordé, ce permis de végétaliser reste accompagné par un document administratif de huit pages rappelant les ris­ques et les sanctions encourus, poursuit Emilie Koch : ce côté effrayant, c’est ce qu’on voulait éviter… »

Ce document témoignerait-il d’une autre peur, plus profonde que celle de voir se transformer les bacs de culture en poubelles : l’anarchie que pourraient provoquer les citoyens en réinvestissant l’espace public ?

À Namur, l’échevin MR de l’Environnement et des Espaces verts Bernard Guillitte soutient que « contrairement aux idées reçues, l’espace public n’appartient pas à tous ! » Et d’expliquer que, si au début de cette année, la capitale wallonne a rejeté la proposition de lancer un permis de végétaliser, c’est parce qu’elle n’a pas attendu cette mode pour encourager, depuis quinze ans, les initiatives citoyennes dans ce domaine au moyen d’une « convention de gestion participative de coins nature ou fleuris intégrés à l’espace urbain ». « Cette appellation n’est pas très sexy et on pourrait en faire plus de promotion, admet l’échevin, mais la transformer en permis de végétaliser ne nous paraît pas intéressant. »

Faire pousser le débat

La demande d’établir un cadastre des terres non occupées appartenant à la Ville, à la régie foncière et au CPAS de Namur, et pouvant être mises à la disposition de projets de végétalisation, a elle aussi été rejetée : l’opération, complexe, demanderait trop de moyens pour des résultats trop aléatoires. « L’argument budgétaire ne tient pas quand on sait que le téléphérique de Namur est un projet à 18 millions d’euros », répond le conseiller communal PS Antoine Piret. Selon ce dernier, cette réticence serait « le symptôme d’une culture politique ancienne », en vertu de laquelle « les élus ont peur de ne pas maîtriser un projet de A à Z ». À condition d’éviter la récupération partisane, donner une réelle ambition à ce type de projet pourrait contribuer à réhabiliter la politique selon une véritable logique d’approche ascendante, l’impulsion venant du citoyen lambda.

Car la question du permis de végétaliser est bien moins anecdotique qu’elle n’y paraît. Passionnantes, les polémiques qui l’entourent ont déjà réussi ce pari : refaire de la rue une véritable agora, c’est-à-dire un espace public qui soit le lieu de débats et d’idées. Quitte à se planter.

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