Apparemment pas
Texte (CC BY-NC-ND) : L’équipe de Médor
Publié le
Avertissement : au gré de votre lecture, vous croiserez des autruches, une chèvre des montagnes Rocheuses, des ours bruns, un arum titan et un lamantin. Mais Médor n’a pas mué en revue zoologique, il a simplement invité un artiste à dynamiter ses pages. Et le mec, il l’a fait…
Yves Prévaux (le pilote punk de ce numéro) nous a présenté son idée : un numéro complet avec des animaux empaillés. Ah ? On a demandé quelques explications (vous ne l’auriez pas fait, vous ?). Il voulait prolonger la tradition du bestiaire (de Jean de La Fontaine à Maus en passant par La Ferme des animaux de George Orwell), donner à nos articles une perspective différente. Puis il a embarqué le photographe Axel Korban pour un voyage en Lombardie, direction le Museo Civico di Storia Naturale di Milano (le musée d’histoire naturelle de Milan), où des centaines d’animaux taxidermés ont pris la pose pour l’éternité. Figés dans des dioramas, un mode de représentation de la nature en voie d’extinction.
Vous contemplerez des écrins végétaux, des biotopes préservés, miroirs de la vie sauvage, animale. Ce ne sont qu’illusions et mises en scène. En guise de chair et de squelettes, imaginez de la résine et des structures métalliques. Pour accompagner un article sur la pollution de l’air à Bruxelles, nous avons placé un duo d’autruches dans la savane, là où la logique médiatique aurait voulu une photo d’embouteillage sous ciel gris. Le vrai ciel plombé et des Bruxellois portant un masque à oxygène, au carrefour Arts-Loi, s’imposeraient à vous, dans une seule lecture possible (et anxiogène). Une image pareille ne serait-elle pas mensongère ? Ou, en tout cas, manipulatrice ? Trop orientée ? Dans ce numéro animalier, préservant une distance entre le fond et l’illustration, Médor ouvre le champ à l’interprétation, laisse au lecteur à la fois la vigilance et la latitude de lire les images comme il le veut. Si possible en s’amusant.
À chacun d’imaginer des constructions de sens entre les sujets d’articles et les visuels rapportés. Les uns nourrissant les autres. Dans un monde de « fake news », se pourrait-il que le salut (et un soupçon de vérité) surgisse d’animaux artificiels ? Vous nous direz ce que vous avez vu dans ce magazine laboratoire d’idées, où s’entretient le goût du risque. À quoi bon exister si ce n’est pour explorer.
Aller au-delà des apparences, enquêter… Le logo vert vendu par la Région bruxelloise ne signifie pas nécessairement que la qualité de l’air est bonne dans la capitale. En grattant la tablette, un médicament peut se cacher sous le nom d’un autre. Certaines brasseries ne brassent que du vent. Un roi du dragage ravage la nature. Le premier regard est parfois trompeur quand préexiste une volonté d’aménager le réel. Comme le ferait un gouvernement qui minimise la pollution. Ou une firme pharmaceutique motivée par son chiffre d’affaires à l’importation. Mais les apparences trompent aussi parce que les âmes sont complexes et nos vies multiples. Faisant cohabiter en nous l’héroïsme, l’engagement et la tentation du pire.
Comment comprendre autrement le parcours d’une personnalité qui incarne un siècle et achève sa trajectoire dans la controverse : François Houtart, de Nobel à pédophile, dont nous publions l’interview post mortem. Et que penser du plus jeune parlementaire de l’histoire de Wallonie ? Le chauffagiste Ruddy Warnier pourrait symboliser la nouvelle puissance d’un parti qui bouscule la gauche, le PTB. Mais ce député dépité, élu malgré lui, esseulé, submergé par la fonction, illustre la précarité des rapports de force, la fragilité des avis figés. Voilà pourquoi nous continuons à aller voir l’envers du décor.
Ce travail tant sur la forme que sur le fond répond à un de nos principes fondateurs : toujours se méfier d’un regard uniforme, unanime. Dissocier le vrai du faux, jusqu’à preuve du contraire. Sans complotisme fantasmé ni naïveté exacerbée.