Louvain-la-Neuve. Boum, notre ville fait boum
1968, la ville sans voitures et l’utopie d’une cité construite avec ses habitants, c’est loin. Voici Louvain-la-Neuve squattée par les promoteurs immobiliers. Bientôt, l’entrée de la ville sera redessinée. Et ce n’est pas l’effigie du Prix Nobel Christian de Duve ni des inventeurs du cyclotron qui s’afficheront, mais la façade de L’Esplanade 2, temple des marques et du commerce.
Acheter c’est exister. » Arnaud Bonnet, chef de projet chez Klépierre, spécialiste de l’immobilier commercial et leader européen des shoppings clé sur porte, dévoile la maquette de L’Esplanade 2. On est en octobre 2016. Les habitants de Louvain-la-Neuve vont pouvoir « exister ». Il s’agit de l’extension controversée du centre commercial qui s’était ouvert, en 2005, en plein centre-ville. Nouveau symbole suprême : l’arrivée annoncée de Primark, champion de la fringue à production expresse. Alerte, la ville des intellos, des bobos, des écolos, dernière à résister, aurait-elle vendu son âme au grand capital ? La ville-modèle – celle du piéton-roi, des kots étudiants à projets sociaux, de la participation citoyenne et du débat de société – semble écrasée sous un rouleau compresseur sans réel pilote. Depuis plus de dix ans, les calicots brandis par les opposants au shopping pointent le vrai coupable, à leurs yeux : l’Université catholique de Louvain, rebaptisée « Université commerciale de Louvain ». Dont la devise serait triste à mourir : « Étudier, Travailler, Consommer et Crever ».
L’université valorise plus que jamais « ses » terrains en les cédant aux balourds de l’immobilier. Et la puissance publique, la Ville d’Ottignies/Louvain-la-Neuve, se voit reléguée au second rôle, donnant l’impression de subir plutôt que de gérer, souvent en retard d’une guerre sur le bruit des pelleteuses. Résultat ? De plus en plus d’habitants aimeraient savoir qui décide de l’avenir de leur ville, comment et pourquoi. Dix pour cent d’entre eux ont ainsi réclamé une consultation populaire, organisée le 11 juin 2017 : pour ou contre l’élargissement de L’Esplanade ? Derrière cette demande, on sent une véritable défiance des habitants vis-à-vis de l’UCL et des autorités communales.
Le malaise enfle depuis des mois. Aux 20 000 m² supplémentaires de surface commerciale se greffent déjà deux grands quartiers résidentiels, d’un côté et de l’autre du shopping. L’UCL va au bout de sa logique. Elle soutient, par la voix de son grand manitou immobilier, Philippe Barras, administrateur délégué de l’INESU-Immo (Institut pour l’embellissement, l’aménagement, l’équipement et la gestion des sites universitaires de l’UCL), que c’est « l’occasion unique d’achever la dalle sur laquelle est érigé tout le centre-ville ». Car qui d’autre que des opérateurs costauds, demande Barras, voudra déployer les énormes moyens financiers et le génie civil nécessaires pour faire pousser du logement dense sur du béton armé ?
La dalle. La fameuse dalle et… ses contraintes ! Cette plaque qui paraît posée sur pilotis a été imaginée par un génie de la ville, Michel Woitrin. Retour en 1968, à l’époque du « Walen Buiten » (« Wallons dehors »), où les étudiants de Louvain (Leuven) chassent de leur ville leurs homologues francophones. Il faut leur construire un nouveau campus en Wallonie ? Woitrin et ses urbanistes érigent toute une ville, en pleine nature, sur un site où les dénivelés sont sérieux. Avec la trouvaille avant-gardiste consistant à maintenir les voitures en sous-sol et à libérer la dalle pour un réseau dense de ruelles piétonnes. Une sorte de ville médiévale à la campagne, alors que la tendance était aux lignes droites.
Économie casino
Pour compenser la perte des bâtiments occupés à Louvain, la nouvelle université francophone avait reçu 17 milliards de francs belges (425 millions d’euros) d’un gouvernement national trop heureux de passer à la caisse pour éviter l’incendie communautaire. Avec cet argent, les profs expulsés – obligés de s’essayer à l’urbanisme – ont acheté 900 hectares de terrains pas trop chers, dont il reste moins d’un tiers à valoriser. Le principe choisi par l’UCL est resté immuable : en toutes circonstances, l’Université financée par la collectivité reste propriétaire des lieux via un système de bail à longue durée assez unique en Belgique (le bail emphytéotique court sur 99 ans) pour maîtriser les changements d’affectation. C’est elle, et non la Ville d’Ottignies/Louvain-la-Neuve, qui répartit les ares et les hectares. Cédés pour un siècle en échange d’une forme de loyer réduit.
Au début, ça s’est fait tout doux. Durant les années 1980 et 1990, les acquéreurs de grandes surfaces se montraient plutôt rares. Puis, la machine s’est emballée. Comme au Monopoly : les promoteurs posent un jalon, et, quand une case flambe sous l’effet de la spéculation, l’UCL la cède et engrange du cash. Très utile, certes, pour anticiper les coûts importants d’entretien et l’isolation des bâtiments, totalement négligée à l’origine. Évidemment, l’UCL prenait ainsi le risque d’apparaître comme une vulgaire machine à fric. Elle dispose de son propre service d’urbanisme, parallèle à celui de la Ville. Elle donne l’impression de réaliser ses coups en solo. Elle fait ainsi le jeu du lobby de la construction et de l’immobilier résidentiel ou commercial, qui s’en donne à cœur joie. Avec un argument en… béton : l’Université fait construire par d’autres ce dont elle ne pouvait rêver. Et pareil pour les « autorités » communales : au début des années 2000, elles ont laissé les grues s’incruster comme des fourmis. Aujourd’hui, on ne sait même plus où est le nid.
À la tête d’une coalition Écolo-CDH-PS, le bourgmestre écologiste Jean-Luc Roland est pris au piège. Critiqué par les siens, poussé dans le dos par l’UCL. Face à la caméra, comme la plupart de ses échevins, il n’ose pas avouer qu’il est plutôt… favorable à l’Esplanade II. Juste avant son accession au maïorat, en l’an 2000, il avait lui-même favorisé le basculement commercial. Le gourmand promoteur Peter Wilhelm projetait alors d’ériger un centre commercial à deux pas de l’autoroute E411. À Louvain-la-Neuve, il n’y avait que du petit commerce et un marché de produits frais, deux fois par semaine. « Plus rien ne se construisait dans le centre, dit-il. Tout était bloqué depuis plus de deux décennies. Oui, moi aussi j’étais favorable à l’arrivée de L’Esplanade là où elle se trouve. C’est-à-dire en plein cœur de la ville. Sans quoi, celle-ci était morte. » L’UCL, le CDH et Écolo se targuent d’avoir contraint le promoteur à émigrer au centre et à y construire un véritable bout de ville. Des voiries, des espaces publics et une artère largement inspirée de la rue Neuve, à Bruxelles : la rue Charlemagne, reliant l’Esplanade à la grand-place et ses nouveaux cinémas, ouverts au même moment. Le groupe Wilhelm&Co a assumé sa part de labeur. Puis, il a tout revendu, dès l’inauguration, au français Klépierre. Toujours cette spéculation…
Aujourd’hui, le seul qui pourrait dire « stop » à ce mouvement est un commis de l’État en fin de carrière : Christian Radelet, le fonctionnaire délégué de la Région wallonne en Brabant wallon. Chargé de faire respecter la légalité des procédures et de veiller à l’intérêt collectif au-delà des petites baronnies locales, il reste prudent comme un Sioux. Nul ne sait ce qu’il va décider. Mais il devrait être tenté de rappeler ses quatre vérités au géant français Klépierre quand celui-ci introduira sa demande officielle d’extension de L’Esplanade, sans doute en septembre prochain. Les arguments du fonctionnaire sont faciles à anticiper : le shopping est trop grand pour la ville, il augmentera les (sérieux) soucis de mobilité, il tuera la concurrence à Wavre et dans les petits commerces environnants. « Un commerce et demi à l’intérieur du shopping pour un à l’extérieur, c’est presque équilibré, admet Patrick Ayoub, patron du café citoyen Altérez-Vous. Mais demain, le rapport serait de 3 à 1. Là, c’est vraiment trop. »
S’il va jusqu’à dire « nièt », le fonctionnaire délégué Christian Radelet risque d’être désavoué par le gouvernement wallon. Tous les regards se tournent déjà vers l’actuel ministre wallon de l’Aménagement du territoire, le CDH Carlo Di Antonio, dont le parti veille sur l’UCL et tous les chantiers importants pour Louvain-la-Neuve, et ce depuis près de cinquante ans. En cas d’hésitation, le ministre Di Antonio pourra toujours solliciter l’avis éclairé d’un de ses conseillers directs : Philippe Barras. Eh oui, celui qui guide l’avenir immobilier de l’UCL est aussi mandataire communal CDH à Chaumont-Gistoux et expert dans un cabinet ministériel hautement stratégique. D’un côté, il pousse des projets ; de l’autre, il peut être suspecté de les tirer. La messe est dite ?
Depuis dix ans, les « notes d’orientation » souvent confidentielles envoyées par l’omniprésent Philippe Barras au conseil d’administration de l’UCL tiennent compte de l’agenda politique. Par exemple, pour bétonner la construction d’un pôle sportif de haut niveau, arrachée à Liège par Louvain-la-Neuve, Barras a suggéré dès septembre 2012 de tout faire pour « rendre le projet irréversible » avant les élections de 2014. Même chose lorsqu’il s’agissait de faire financer par la SNCB, la Région wallonne et un consortium de la construction le plus grand parking du Benelux dans l’enceinte d’une ville, qui s’achève en ce moment aux abords de L’Esplanade. « L’objectif est d’avancer le plus rapidement possible afin d’atteindre un point de non-retour avant les élections régionales de juin 2009 », a conseillé Philippe Barras au CA de l’UCL, en janvier 2008. Sait-on jamais, le CDH pourrait un jour être éjecté du pouvoir en Wallonie et perdre l’influence sur ces projets immobiliers. Dès lors, autant les rendre « irréversibles » ou « atteindre un point de non-retour » aussi vite que possible.
Un parking cadeau
« Il faut admettre que le développement de Louvain-la-Neuve a toujours été cohérent. Je garde un œil bienveillant sur cette ville qui se préoccupe malgré tout de sa mixité sociale. À ce jour, l’accès au logement pour tous semble être resté une priorité politique », défend l’ancien conseiller communal Jean-Marie Paquay, forte personnalité du Mouvement ouvrier chrétien, passé au PS. « Je n’ai aucune affection commerciale pour L’Esplanade, ironise-t-il au passage, elle est juste pratique pour accéder au troquet où j’aime prendre mon petit verre, de l’autre côté… » De sa maison avec vue sur les chantiers, l’impertinent résume l’opinion la plus courante. Le centre commercial a dynamisé la ville, mais l’excès nuit en tout. Paquay parle de « dérive immobilière », de la préférence contestable pour « un seul type de commerce » et de l’absence d’une « réelle volonté politique » visant à faire circuler davantage de trains au départ de Louvain-la-Neuve.
La qualité de l’air, les bouchons, les nuisances sonores : les dirigeants universitaires laissent ces soucis à d’autres.
C’est pourtant le mobile invoqué par l’UCL et la Ville pour justifier la construction du parking RER de Louvain-la-Neuve alors que le Plan communal de mobilité de 2003 l’avait prévu hors des murs et que la Cellule ferroviaire wallonne recommandait le report du projet afin de remédier prioritairement à la vétusté du rail wallon. En ce compris, l’agrandissement de la gare rikiki d’Ottignies. Celle-ci est une ruche où virevoltent chaque jour des dizaines de milliers d’usagers, là où la gare de Louvain-la-Neuve n’est qu’un terminus de bout de ligne. « C’est un scandale sans nom », claque Raphaële Buxant, une habitante du quartier de La Baraque, exposé aux grands chantiers de l’heure. Pour cette enseignante, la mobilité est un pur prétexte. « Avec l’argent de la collectivité, l’Université et la Ville font construire un parking de 3 300 places alors qu’il y a un millier d’espaces inoccupés ailleurs. On se moque des navetteurs. Le but ultime consiste à disposer d’une dalle artificielle de 2,5 hectares sur laquelle va naître le quartier de Courbevoie, dont la densité équivaudra à celle du centre de Paris (250 logements par hectare). Une poule aux œufs d’or pour ses concepteurs et ses promoteurs. » Ici, on est en dehors de la dalle « historique ». Environ 44 millions d’argent public sont dépensés pour cette extension de béton qui permettra à des opérateurs privés de toucher le jackpot.
L’impossible demi-tour
Raphaële Buxant est l’une des figures en vue d’Urbaverkoi, le groupement de citoyens qui interpelle et inquiète le pouvoir depuis sept ans. En 2014, ils avaient dénoncé l’une des absurdités du planning des travaux. S’il s’agissait réellement d’accélérer les cadences ferroviaires au départ de Louvain-la-Neuve, il fallait avant tout construire une arrière-gare pour permettre aux trains de faire demi-tour au plus vite, tel que l’a recommandé l’étude Tritel de 2011 réalisée à la demande du gouvernement wallon. Avec le démarrage des travaux pour ériger le quartier Courbevoie au-dessus du parking, il sera demain impossible de réaliser cette arrière-gare – à moins de détruire les fondations. Un coût colossal. Peut-on faire confiance à la SNCB et à sa filiale « infrastructures » (Infrabel) lorsqu’elles jurent qu’il sera possible d’accélérer la cadence des trains sans investir un euro ? Sur la double voie actuelle et sans risque d’accident ? On verra… Si les trajets vers Bruxelles restent aussi lents qu’aujourd’hui ou que l’accès à la petite gare de Louvain-la-Neuve s’avère trop compliqué, trop embouteillé, les navetteurs iront directement à Ottignies et ils délaisseront le mégaparking. Les emplacements serviront alors aux habitants du nouveau quartier Courbevoie ou aux clients de L’Esplanade II.
Fin mars, Raphaële Buxant a fini par céder aux pressions. Les larmes aux yeux, elle a signé un accord avec les promoteurs immobiliers dans lequel elle s’engage à retirer les recours en justice et à ne pas en introduire d’autres contre le parking ou le quartier résidentiel. En compensation, la convention prévoit de rembourser aux riverains leurs frais d’avocat et de procédure alors que, dans des cas similaires, selon nos informations, les compensations négociées vont généralement bien au-delà. Seule avancée réelle obtenue par les plaignants, ce document garantit la pose de sept gaines d’extraction de l’air vicié découlant de la circulation dans le parking et qui sera dirigée vers le quartier de Lauzelle. Mais si l’argent manque, à la fin du chantier, cette promesse sera-t-elle tenue ? Pour l’heure, l’UCL observe les débats depuis son balcon. La qualité de l’air, les bouchons, les nuisances sonores : les dirigeants universitaires laissent ces soucis à d’autres.
Étude d’incidence
La convention avec les riverains est en effet signée par la SA Jardins de Courbevoie (qui regroupe les firmes de construction Besix et Thomas&Piron) et non par la SA Courbevoie (créée par l’UCL pour ce projet). N’était-ce pas à l’Université de s’y associer, vu l’atteinte possible à la santé ou au bien-être ? Elle ne s’est pas mouillée et a préféré confier les délicates négociations à son ancien responsable immobilier, Jean-Luc Son, parti de l’UCL sur la pointe des pieds et reconverti dans les affaires (forcément) immobilières, en Brabant wallon et à Luxembourg. Or, l’exemple de Charleroi démontre que le danger sanitaire de telles constructions est loin d’être hypothétique. En plein centre-ville, le 14 mars dernier, le complexe commercial Rive Gauche a été évacué cinq jours après son inauguration. En cause, une alerte aux gaz d’échappement dans le parking souterrain au moment où un flot de voitures peinait à trouver la sortie.
Pour le parking de Louvain-la-Neuve, l’étude d’incidence confiée au bureau de consultance Aries se veut rassurante. Et tant la Ville, l’UCL que le Conseil d’État se sont appuyés sur son expertise pour légitimer la taille et l’emplacement de ce parking intra-muros. Mais il faut croire qu’il y a doute, vu l’intérêt à la construction des cheminées d’extraction. « Tout le monde le sait, ce type d’études sont payées par le client. Il arrive que, sur le coin d’une table, nous confrontions nos conclusions aux souhaits des maîtres d’ouvrage », souffle un ancien cadre d’Aries. « On ajuste ensuite. On bricole un peu… C’est clair qu’en termes d’étude d’alternatives, de mobilité ou de qualité de l’air, par exemple, il y aurait des choses à redire sur l’étude d’incidences du parking. » L’homme n’en dira pas plus. Sollicité par Urbaverkoi, le neurologue Pascal Vrielynck, du CHN William Lennox, se jette, lui, dans le nuage de pollution : « À plusieurs reprises, l’auditeur du Conseil d’État et l’étude d’incidences du parking estiment que la qualité de l’air est bonne. Ce n’est pas correct : les mesures disponibles les plus proches du parking, faites à Corroy-le-Grand, sont déjà supérieures aux normes de l’Organisation mondiale de la santé, notamment pour les particules fines. De plus, Corroy est situé à la campagne, au vent. Pas vraiment la même configuration que le parking de 3 300 places, localisé dans un lieu encaissé. »
De l’eau sous la dalle
Les spécialistes du commerce de l’Association du management de centre-ville (AMCV) ont plébiscité Louvain-la-Neuve en tant que « ville la plus dynamique de Wallonie ». C’est vrai qu’il fait bon s’y promener, flâner autour du lac, prendre un verre à une terrasse protégée du bruit des voitures. Quand le soleil brille, la rue Charlemagne, seule artère de la ville à atteindre les huit mètres de large, favorise ce flux de bienheureux. S’y croisent des adeptes du tourisme commercial, en chaussures de daim rouge, des scouts qui adorent se perdre aux abords du labyrinthe urbain, des students qui rapportent leurs sacs à roulettes tous les dimanches après-midi. Mais à qui appartient Louvain-la-Neuve ? Pas vraiment à ses habitants, on l’aura compris.
Quand les premières pelleteuses ont fait irruption, en 2015, pour creuser les fondations du grand parking, le bourgmestre Jean-Luc Roland dit l’avoir appris par les médias. Il est resté zen. L’échevin socialiste Michel Beaussart ne rate, lui, aucune occasion de dénoncer la prolifération de logements chics. Qui passeront sous le nez des jeunes à revenus modérés, au profit d’une clientèle de riches pensionnés venus de Lasne ou de Waterloo, très tentés par un plain-pied proche des beaux magasins. Mais chut, ces critiques sont glissées sous le manteau. Pas touche à l’« institution »… Il y a trois ans, lors d’une journée de réflexion organisée par l’Association des habitants (AH), un spécialiste de ces questions démographiques a été prié de se taire sur ses courbes de population montrant un vieillissement certain. Trop subversif, pour la direction de l’Université.
Même quand ils ont la chance de s’offrir un appartement au centre de Louvain-L’Esplanade, comme on la surnomme, les nouveaux habitants déchantent parfois. Ils ne savent pas… à qui ils ont acheté. À l’âge de la pension, rentré d’Afrique, l’agronome Jean Dumont cherchait un appartement proche de ses enfants. Oh, il veut être honnête : il ne nourrit aucun regret quant au choix de Louvain-la-Neuve, « où il fait bon vivre, à pied et au calme ». Le souci se situe ailleurs.
Tuiles en cascade
En 2005, il a déboursé 270 000 euros pour un 90 m² avec terrasse. À l’époque, l’Esplanade vient d’ouvrir ses portes, et du logement résidentiel haut de gamme s’est construit tout autour. Notamment 220 appartements groupés au sein de quatre bâtiments et composant l’essentiel de la rue Charlemagne. « Les images du dépliant étaient alléchantes, le CD-ROM de 1 135 pages faisait sérieux et nous pensions acheter au promoteur Wilhelm&Co, commente Jean Dumont, 77 ans. On a été trompés sur l’identité exacte du vendeur… » L’acte d’achat mentionne le nom d’une mystérieuse société IX Participations. Sans doute une filiale du promoteur, pense-t-il à l’époque. Les mauvaises surprises vont se succéder. « Dès les premiers soucis d’étanchéité, l’eau qui coulait dans les parkings, les pierres qui menaçaient de se dévisser aux étages ou la dégradation des panneaux de façade en bois, on s’est retrouvés seuls face à deux types de IX Participations qui se demandaient ce qu’ils faisaient là. Il nous fallait aussi assumer une part des frais d’entretien de voirie et, ni à la Ville ni auprès de l’UCL, nous n’avons eu de répondant. Louvain-la-Neuve est une vaste propriété privée. Mais en cas de problème, les propriétaires se retrouvent dans la mouise… »
Depuis dix ans, ces 220 propriétaires cherchent réparation auprès des tribunaux. La principale artère commerçante de la ville neuve est « un espace privatisé », selon l’UCL. Faute de pouvoir réunir tous les acteurs concernés, la Ville d’Ottignies/Louvain-la-Neuve affirme n’avoir pu reprendre la voirie. Et pour cause : avant d’être achevés, les bâtiments ont été revendus par Wilhelm&Co à une firme à capitaux franco-américains, Stam Europe. « La plus grosse opération immobilière jamais réalisée, en un coup, en Belgique. Plus de 30 millions d’euros pour quatre immeubles », titra Le Soir du 13 avril 2005. Aujourd’hui, c’est Klépierre qui possède l’ensemble (l’Esplanade + la rue Charlemagne). Les vices cachés ? Chacun s’en lave les mains et les petits propriétaires restent seuls à colmater les fuites. Le 4 avril dernier, le tribunal de commerce de Bruxelles a acté la faillite « sur aveu » de la fumeuse société à responsabilité limitée IX Participations. Son principal actionnaire était la SA Ixel Investors, constituée dans l’État américain défiscalisé du Delaware et administrée par une société fiduciaire jugée très suspecte par les journalistes qui ont révélé le scandale de l’Offshore Leaks. Envolés en fumée, les responsables cachés derrière ces écrans. Une vraie fable qui pourrait finir sur cette morale : si tu cèdes les clés de ta ville à un inconnu, assure-toi d’en garder un double.