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Fesses divines

Cul, intimité et galipettes

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Baptiste Virot. Tous droits réservés.

A-t-il connu les « plaisirs de la chair » ? L’histoire n’a pas encore tranché. En revanche, à l’église ou au caté, Jésus et son sex-appeal font des ravages. Et c’est normal. La preuve par l’histoire de l’art et la théologie.

Le premier mec que Caroline a vu – quasi – nu, c’est Jésus. Chaque dimanche, quand elle était gamine, Caroline poireautait une heure sur les bancs de l’église. Le temps de la messe. Soixante longues minutes pendant lesquelles elle n’avait rien d’autre à faire que scruter ce grand christ en croix, ses muscles saillants, ses mollets d’athlète, son pagne prêt à se faire la malle… Et ce qui devait arriver arriva : « Je le regardais, le détaillais, j’étais fascinée par ce corps d’adulte, si précisément détaillé. Je me souviens encore avec exactitude de son pli de l’aine, qui laissait deviner un truc sous le bout de drap qui lui servait de caleçon. J’avais envie d’enlever le tissu, pour voir. » Eh oui, quand on est ado, on fait avec ce qu’on a sous la main.

Jésus le bien foutu

Bénédicte, elle, décrit celui qu’elle trouvait « le plus beau » du haut de ses 12 ans : « Les traits fins, un corps super bien foutu, élancé, athlétique et musclé, avec, en plus, l’air gentil et un côté hippie sympa, grâce à ses longs cheveux bruns. » Là encore, ce bellâtre n’était pas le prof de yoga de sa mère, mais Jésus, notre Seigneur. Ou plutôt celui de l’é­gli­se de Champion (Namurois).

Quand on évoque ce genre de réactions enfantines à des historiens de l’art, personne ne nous rit au nez. Au contraire. Le nu et la représentation du corps dans l’histoire de l’art religieux, c’est même un sacré dossier. Dans lequel Jésus tient la première place.

Commençons par remettre les mécréants de tous poils dans le droit chemin : d’un point de vue théologique, il est tout à fait cohérent que Jésus ait été représenté nu ou quasi nu, à grand renfort de détails, et si possible en version beau gosse.

Une des clés de l’histoire se trouve dans le dogme de l’Incarnation (pour ceux qui ont raté le caté, c’est le fait de croire que Dieu s’est fait chair, en Jésus, partageant notre condition humaine jusqu’à vivre le supplice sur la croix, sauvant ainsi l’humanité tout entière). « Ce dogme, qui s’impose au Ve siècle, a une influence capitale sur l’art religieux. Dès cette époque, la représentation de Jésus est encouragée. Représenter son humanité valorise sa chair rédemptrice, car c’est par l’Incarnation que vient le Salut », explique Ralph Dekoninck, historien de l’art de l’UCL. Pour mettre en valeur « le plus beau des enfants des hommes », comme nous le révèle un psaume de la Bible, il est logique que les artistes en viennent à représenter son corps.

Les putains sorties d’un bordel

Champions toutes catégories des représentations de Jésus et consorts aux corps ultra-détaillés : les tableaux et statues de la Renaissance, puis de l’époque maniériste et baroque. « À la Renaissance, on se passionne pour la statu­ai­re antique, avec une double foca­le : celle de la beauté absolue, du corps parfait, et une autre plus troublante, qui dégage un certain érotisme », explique Ralph Dekoninck.

Autre caractéristique de cette période fournie en corps lascifs : « L’art s’émancipe peu à peu de l’Église, les nus s’inspirent de modèles vivants. On voit apparaître un art plus mondain, où se mélangent profane et sacré », résume l’historien.

OK, Jésus est un homme, Jésus est canon. Mais encore faut-il qu’il soit « convenable ».

Aux Beaux-Arts d’Anvers, la Vierge allaitante du diptyque de Melun, par Jean Fouquet (vers 1452-58, donc aux prémices de la Renaissance), est un parfait exem­ple de cette production d’un milieu de cour très fermé. Cette Marie fascinante, découvrant un de ses seins et dont les vêtements laissent deviner le reste, aurait été, selon la rumeur et les critiques acerbes de l’époque, peinte d’après la maîtresse du roi Charles VII. Ce qui vaudra même au tableau le qualificatif de« libertinage blasphématoire ».

La Réforme entend d’ailleurs donner un coup d’arrêt à tant de dépravations. Le pasteur Calvin, jamais à court de petites formules assassines, comparera même les vierges maniéristes à « des putains sorties d’un bordel », rappelle Ralph Dekoninck. Avec le concile de Trente, en 1563, l’Église demandera que les œuvres religieuses soient désormais « décentes » et qu’elles ne soient pas « ornées d’une beauté trop provocante ». Autrement dit : OK, Jésus est un homme, Jésus est canon. Mais encore faut-il qu’il soit « convenable ». Pareil pour sa mère et tous les saints. Sachant qu’au rayon du « convenable », tout est une question d’interprétation.

Parce qu’au même moment, Adam et Ève se baladent tranquillement, nus comme des vers, sur le retable de l’Adoration de l’Agneau mystique des frères Van Eyck (1432), de la cathédrale Saint-Bavon de Gand. Les deux pécheurs devront attendre le XIXe siècle pour être subitement priés de s’habiller. Ou plutôt d’enfiler des peaux de bêtes – attributs qu’avec nos yeux pervers du XXIe siècle, on aurait presque tendance à trouver sexy.

Chair et blasphème

À l’époque contemporaine, l’abstraction est passée par là, mais Jésus et son corps continuent de faire vibrer. Delphine, née catho et désormais agnostique, est toujours fascinée par ce que font les artistes de ce corps christique. « Jésus est et restera une figure d’une puissance dingue. Il est le plus charnel des hommes, le plus souffrant, et c’est justement par ça qu’il en devient le plus beau, franchement, tu te rends compte de cette matière ! »

Quant à Marie, qui a cent fois dû reboutonner son corsage, l’Église, d’aujourd’hui l’aurait-elle enfin libérée ? En 2008, une par­tie de la presse britannique tient un scoop : ça y est, le Vatican aurait annoncé vouloir mettre fin à des siècles de pudibonderie en poussant les vierges allaitantes (celles qui découvrent un sein pour nourrir Jésus) à refaire surface dans les églises.

Revenons sur terre : la presse britannique a un chouïa survendu l’histoire. Dans la vraie vie, le Vatican n’a rien dit. En revanche, en 2008, le très sérieux journal du Vatican, l’Osservatore Romano, a bien publié deux articles sur la question. L’historienne et éditorialiste Lucetta Scaraffia y revient sur l’histoire de la censure, initiée à l’époque de la Réforme, qui a relégué certaines Vierges allaitantes au placard et rhabillé Marie durablement les siècles suivants. Le père Enrico dal Covolo, recteur de l’Université pontificale du Latran (Rome), lui, y déroule un argumentaire théologique (à base d’Incarnation, toujours) pour réha­biliter le sein de la Vierge : « La Vierge Marie qui nourrit son fils Jésus est l’un des signes les plus éloquents que le Verbe de Dieu s’est fait chair. » Pour la sensualité, on repassera. D’autant qu’aux yeux de l’Église, rappelons que Marie est aussi mère que vierge, un paradoxe miraculeux qui clôt rapidement les (d)ébats.

Alors oui, le sein de la Très Sainte Mère de Dieu a une place « légitime » dans les églises. À condition qu’il serve à rappeler que cette vierge est une mère. Tout cela fait-il du corps de Marie un corps libéré ? Quand on voit que le seul relais francophone qu’on a pu trouver de cet article du Vatican est le blog Mamanana, sobrement sous-titré « Pour allaiter en beauté », on a comme un léger doute.

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