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Sexe, poivre et sel

Cul, intimité et galipettes

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Ménopausée, un peu ridée, plus vite fatiguée, Christine vient d’avoir 60 ans. L’âge où l’on troque définitivement le sexe contre la seule tendresse ? Pas vraiment, en 2013, les Belges de 55-65 ans avaient davantage « déclaré » de rapports sexuels sur les douze derniers mois que les 15‑24 ans. Alors, Christine, tu baises ?

Le mois dernier, Christine a eu droit à une réduc « senior » au musée. Ça ne lui a pas vraiment foutu un coup. « En fait, ça m’a plutôt fait marrer, mais c’est officiel, je suis une vieille. » Christine n’est pas très grande. Cheveux courts, un peu crollés, petites lunettes qui soulignent un regard doux, la taille menue. Six enfants au compteur, une vie professionnelle d’éducatrice spécialisée, la sexagénaire compte trois hommes « officiels », deux avec qui elle a eu ses enfants, et l’actuel, de dix ans son cadet, son « âme sœur ».

Depuis quelques années, des rides sont venues sillonner son visage, sa peau s’est relâchée, sa bedaine a poussé d’un coup – à la ménopause – et a pris racine, son vagin s’est détendu - « six enfants par voie basse ». Alors bien sûr, tout ça la « déprime un peu ». « Parfois, le matin, quand je me regarde dans la glace, je fais la gueule. Je n’aime pas ce que je vois. » Alors Christine « limite les dégâts », avec un peu de maquillage. « Mais, finalement, j’ai toujours été un peu complexée. Quel que soit ton âge, tu peux toujours trouver quelque chose à redire à ton corps. »

Si elle aborde les détails physiques, c’est « parce qu’on ne va pas se mentir », mais surtout pour m’expliquer qu’en vieillissant, « il faut accepter que ton corps change et te pousse à adopter une autre sexualité ». Christine le dit sans fioritures. D’abord, il y a certaines positions qui deviennent impossibles. « Je me suis déjà retrouvée bloquée du dos, ou en crampe, en pleins ébats. Alors la fois suivante, tu t’adaptes. » Ensuite, « tu fais l’amour moins souvent, tu fatigues plus vite ».

Mais finalement, Christine est sûre d’une chose, sa vie sexuelle est aujour­d’hui plus riche qu’avant. Et cela, quoi qu’en dise la déferlante de poupées Barbie érigées en modèle de société, en dehors desquelles aucune femme ne pourrait trouver de salut. Encore moins avec des rides. « Aujour­d’hui, si tu n’as pas une peau de pêche, des yeux grands comme des soucoupes, des jambes de 1 m 20, t’es bonne à jeter. On a beau dire que notre société est libérée, on envoie le message qu’après 50 ans, la vie sexuelle est finie. C’est archi-faux. » Quand Christine compare sa vie sexuelle avec celle « d’avant », elle n’est pas nostalgique. « Avec mon premier mari, quand on s’est rencontrés j’avais 15 ans, on était maladroits, on tâtonnait. On était passionnés ça oui, mais on n’écoutait pas notre corps ni notre plaisir. On était très plan-plan. Certaines pratiques, comme la sodomie, ont aussi longtemps été taboues pour moi. » Alors bien sûr, aujourd’hui, la vie sexuelle de Christine n’est pas « comme avant », mais est-elle si différente d’autres femmes plus jeunes ou plus vieilles ? Quelle serait la norme établie qui permettrait de signifier aux peaux ridées qu’elles doivent circuler ?

Avec l’expérience, mais aussi « grâce » à son corps qui flanche, Christine elle, a peu à peu délaissé l’autoroute de la pénétration, pour emprunter plus souvent une contre-allée dans laquelle elle se sent bien, celle des caresses.

Ménopause et liberté

Je lui parle de sexe, elle me parle de dialogue, de tolérance, d’écoute et de respect. « Quand j’étais plus jeune, je pensais davantage à mon plaisir, j’étais plus égoïste. Mon mec actuel, je le connais beaucoup mieux que les autres, je m’intéresse plus à lui, à ce qui lui plaît et inversement. Notre vie sexuelle, ce n’est pas forcément toujours de la pénétration. On se caresse, on s’endort tendrement dans les bras l’un de l’autre, pour moi, c’est ça aussi le sexe. Je ne sais pas si c’est la vie sexuelle des vieux, c’est la mienne. » Ce dont elle est sûre en revanche, c’est que la ménopause a été un cap difficile, mais pas forcément pour les raisons que l’on imagine. À l’époque, Christine était seule. « On nous parle de la ménopause comme si c’était une maladie, la fin, comme si, après, tu n’étais plus une femme, tu n’avais plus tes “capacités” de femme, avec la donnée sexuelle qui va avec. Du coup, quand tes règles commencent à réduire, tu t’inquiètes. » Finalement, à part un épisode de sécheresse vaginale vite réglé et des bouffées de chaleur, Christine a vécu la chose comme une libération. « Tu n’as plus de règles et tu es sûre de ne pas tomber enceinte ! »

Et sur la liberté, Christine est intarissable. La sienne, elle l’a récupérée sur le tard, en vieillissant justement. « Il y a vingt ans, j’étais branchée grand brun baraqué. Je ne serais jamais sortie avec Jérôme. Lui est petit, chauve et quand il avait encore trois poils sur le caillou il était plutôt tendance rouquin. Mais, c’est mon âme sœur. Vraiment. Avec lui, je n’ai jamais été si libre. » Je ne comprends pas bien où elle veut en venir. Elle poursuit : « Je ne m’en rendais pas compte sur le moment, parce que tout cela est inconscient, mais avant de vieillir, ma vie sexuelle était calée sur une certaine soumission de la femme. » Christine a pourtant toujours renvoyé une image de femme libre. Mariée et divorcée plusieurs fois, quelques passages « babacool », une vie professionnelle remplie, des mecs « pas réacs sur le papier »… Pourtant, dans l’intimité de la chambre à coucher – où se joue le premier rapport de forces –, Christine se rend compte aujour­d’hui qu’elle a longtemps occupé un rôle de soumission. Sans le savoir. « Jamais je n’aurais osé dire non à mes compagnons quand je n’avais pas envie ni refusé telle ou telle position. La politique, c’était “Ferme les yeux et pense à l’Angleterre”. » La vieillesse, pour Christine, lui a permis de devenir libre. « J’ai revu mes priorités. Dans mon couple actuel, on se respecte beaucoup plus, on se laisse respirer, on s’écoute. Jérôme a accepté mes six enfants, moi j’accepte l’idée que sa maman, âgée, vienne un jour habiter sous notre toit. On fait toujours des concessions dans un couple, mais maintenant je sais lesquelles sont importantes pour moi. » Alors oui, aujourd’hui, Christine a un peu plus mal au dos, mais elle sait dire non quand elle ne veut pas, et elle continue de vibrer « comme une ado », parfois. Comme ce jour où, après une semaine passée loin de Jérôme, elle s’est surprise à foncer jusqu’à la gare, pour l’attendre en « amoureuse transie », sur le quai. « J’avais le cœur qui palpitait, des fourmillements. Quand on s’est jetés dans les bras l’un de l’autre, clairement, j’avais 15 ans. »

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