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La mort a pour tous un regard

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Lionet Jusseret. Tous droits réservés.

En immersion durant six mois dans un hospice bruxellois, le photographe Lionel Jusseret sonde notre rapport à l’intime et à l’isolement. Abordant la vieillesse sous le prisme d’Alzheimer, il interroge la représentation de cette maladie encore souvent considérée comme tabou.

C’est au cours d’un voyage de longue haleine dans le monde de l’autisme que Lionel Jusseret se tourne vers la photographie. Ce réalisateur de formation travaille alors comme éducateur auprès de jeunes autistes. « Ces enfants-là subissent les pires injustices car on en a une compréhension encore complètement archaïque. Je voulais exprimer une autre vision, totalement subjective, raconter ces enfants comme des êtres humains, pas comme des malades. » Un travail au long cours qui lui prendra dix ans.

Dans son nouveau reportage, le photographe explore le monde d’Alzheimer en s’attachant avec la même insistance à dépeindre l’humain avant le malade. « Quand j’ai commencé à parler d’Alzheimer avec mes collègues, il y avait des éléments qui faisaient écho à l’autisme. Cela avait du sens d’explorer la vieillesse après avoir travaillé avec des enfants. De se confronter à la mort, aussi. » Lionel Jusseret, 30 ans cette année, se lance dans un contrat de six mois en tant qu’aide logistique au sein d’une institution pour personnes âgées.

Ce qui caractérise le travail de Lionel Jusseret, c’est avant tout la volonté d’être au plus près, de faire corps avec son sujet. De ne pas être qu’observateur, de s’immerger totalement : « Pour moi, la démarche de soin et la démarche photographique vont ensemble. Je ne peux pas juste être externe à mon sujet, d’où le besoin de me professionnaliser. Pour entrer dans ces lieux, il faut un diplôme. Et puis je voulais également aller plus loin dans la démarche de soin, ce qui implique d’avoir une connaissance de l’être humain plus profonde. Cela m’aide aussi dans ma démarche photographique pour avoir une vision plus globale de la personne. »

Après eux, nous

Comment représenter la maladie ? En Belgique, nous avons une perception très floue des plus de 100 000 personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. Le fait qu’elle touche principalement les personnes âgées n’y est sans doute pas pour rien. « Comment représente-t-on la vieillesse chez nous ? C’est simple, on ne veut pas la voir. On la cache. Elle est dénigrée. Les moindres signes de vieillesse sont décriés, notre société en véhicule une image très négative », souligne le photographe.

« Si l’on veut témoigner de la vie dans un home, il faut pouvoir témoigner de l’amour qu’il y a dans cet endroit », complète le photographe. Il partage donc le quotidien de ces pensionnaires. Tous les matins, il les réveille, vides, prend de leurs nouvelles, apporte leur plateau-repas. Sous les lumières artificielles, il tisse dans le silence un rapport d’intimité. Des moments pas toujours faciles, épuisants parfois, dont il extrait des instantanés lumineux. « J’ai envie de redonner une image digne à ces gens qui sont en marge totale. C’est leur rendre une certaine justice. C’est pour moi le but du photographe : changer les représentations. »

Dans les couloirs blancs carrelés d’une maison de repos, la solitude et l’isolement suintent des murs. Dans bien des cas, les familles ne viennent plus. Si la situation de chaque patient est particulière, pour Lionel, cela dit tout de même quelque chose de notre société : « Pourquoi ne sommes-nous plus capables de prendre en charge nos personnes âgées ? La fin de vie est horriblement triste. Personne n’a envie de finir comme ça. Comment peut-on infliger ça à nos aînés ? Comment peut-on s’infliger ça à nous-mêmes ? »

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