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La fascination des pixels

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Ludwick Hernandez. CC BY-NC-ND.

En Belgique, le recours à la vidéosurveillance par les forces de l’ordre est devenu une évidence. Émettre des réserves ferait même le « jeu des criminels », selon Jan Jambon. Pourtant, l’efficacité de ces dispositifs est, elle, loin d’être une évidence.

Jan Jambon (N-VA), flic numéro 1 du Royaume dont il espère la fin, aime les caméras de surveillance. En mars dernier, il déclarait au quotidien Het Laatste Nieuws qu’en cas de troubles de l’ordre public, les policiers doivent avoir « le réflexe de base d’utiliser un maximum de caméras ». Jambon, fin rhétoricien, en profitait pour balayer d’avance les réactions outrées. « Invoquer Big Brother pour empêcher les évolutions technologiques évidentes est injustifiable. »

Que Jambon se rassure : tous les astres belges sont alignés pour que ses souhaits se réalisent. Le nombre de lieux, fermés et ouverts, où sont utilisées des caméras de surveillance, par la police ou à titre privé, a quintuplé en Belgique entre 2010 et 2017 (47 173 emplacements, qui peuvent compter plusieurs caméras, dont 822 espaces publics, 7 117 lieux de travail et 39 198 lieux fermés).

De récents aménagements de la loi, en mars 2018, facilitent d’ailleurs la tâche de la police. Elle peut désormais avoir recours à des caméras visibles (mobiles ou fixes) dans des lieux ouverts et fermés publics mais aussi dans des lieux privés fermés et non accessibles au public. C’est-à-dire à peu près partout. Et sans devoir s’embarrasser de la supervision de l’Autorité de protection des données (ex-Commission de protection de la vie privée), qui n’est désormais plus compétente pour les caméras de police.

De plus, comme s’en indignait le juge d’instruction Michel Claise sur Lalibre.be (juillet 2018), les policiers « pourront installer à leur guise toute caméra fixe ou mobile, sans passer par une quelconque autorisation judiciaire » et la police pourra se servir des images prises sur des lieux privés sur simple accord du conseil communal (si c’est la zone de police) ou du ministre de l’Intérieur (police fédérale).

Les villes du sud du pays n’ont pas attendu cette modification de la loi pour lancer les grandes manœuvres. Comme l’indique une des rares études sur la vidéosurveillance en Belgique, publiée en 2016 par le Centre de recherche information, droit et société de l’Université de Namur (Crids), « il semblerait qu’une fois lancées dans la grande aventure de la vidéosurveillance, les communes […] ont […] plutôt tendance à ajouter de nouvelles caméras aussitôt que le budget est récolté ».

206 caméras carolos

En 2014, année du recensement effectué par l’étude (le dernier en date), 20 % des communes wallonnes détenaient des caméras. Avec un intérêt croissant pour les caméras PTZ (pan-tilt-zoom), qui filment à 360°, peuvent zoomer très loin, avec une grande qualité d’image, et, cerise sur le gâteau, détectent les comportements suspects : rassemblements, personnes qui courent.

Pourquoi installe-t-on des caméras de surveillance dans les communes wallonnes ? L’étude rappelle que, dans la moitié de celles-ci, aucune étude préalable n’a été effectuée sur le besoin d’un système de vidéosurveillance. Les motivations généralement avancées par les communes : prévention et répression judiciaire, c’est-à-dire l’usage des images comme preuves lors d’une enquête.

Charleroi, plus grande ville wallonne, compte 206 caméras de police. Un budget de 2,7 millions d’euros sur quatre ans a été voté en 2017 pour l’installation de nouvelles caméras. « Le climat général lié au terrorisme a poussé la population à accepter l’idée d’être filmé en rue. Les gens comprennent que l’intérêt public passe un peu au-dessus de la vie privée », explique Dimitrios Ziazias, directeur de la gestion des moyens et matériels de la police de Charleroi. Pour lui, pas de doute : la vidéosurveillance dans la ville est utile. Elle a un effet dissuasif lors de grands rassemblements publics, et évite de devoir « montrer trop de bleu, car ça excite parfois ». Elle sert la prévention : « Si on sait qu’une caméra vous filme, on n’est pas tenté de déborder. » Et elle aide à avoir des éléments d’enquête : « On a pu, plusieurs fois, ouvrir et fermer des portes, voire disculper quelqu’un qui était suspect. » Quant au coût de cette technologie (l’achat d’une caméra PTZ coûte 5 000 €, et entre 12 000 et 38 000 € si on inclut les frais de raccordement et d’installation, hors main-d’œuvre de visionnage), Ziazias n’y voit pas de problème : « Les salaires des policiers coûtent plus cher que 2,7 millions d’euros. Si le conseil communal a autorisé cette dépense, c’est vraiment parce qu’on sait qu’on en a besoin. » Toutefois, au-delà de ces exemples empiriques, Ziazias n’avance aucune étude formelle qui objectiverait cette utilité fondamentale que l’on prête aux caméras.

Coup de bluff

L’étude du Crids, elle, se montrait dubitative : après avoir consulté communes et zones de police, impossible de montrer si les caméras ont permis de diminuer le taux de criminalité ou le sentiment d’insécurité, hautement subjectif. En tant qu’appui aux enquêtes, les images de vidéo ont pu être utilisées dans environ un cas sur cinq, estime l’étude.

En France, où l’on constate les mêmes tendances qu’en Belgique (difficulté à obtenir un nombre officiel précis de caméras, faible évaluation de l’impact de ces caméras), le sociologue Laurent Muchielli, auteur de Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de… la vidéosurveillance, conclut de ses observations de terrain que la vidéosurveillance mène souvent à un simple déplacement géographique de la criminalité. Des réserves déjà avalisées dès 2008 par Scotland Yard au Royaume-Uni, pays de surveillance, où les caméras, financées à coups de milliards, ne permettaient de résoudre que 3 % des crimes. « Un échec complet », avait résumé un haut gradé de la police britannique. Qui ne semble décourager aucun gouvernant.

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