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Pirlot et la confusion des genres

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Marie de Monty. CC BY-NC-ND.

Un bourgmestre - jusqu’il y a peu socialiste - qui ouvre une boîte de communication avec l’ancien président cdH Benoit Lutgen et un député libéral ? Une communication au service de candidats PS durant leur campagne électorale ? Tout en donnant des conseils pour créer une fake news ? A Chiny, ce mélange des genres, c’est possible ! Chez Médor, on a du mal à suivre. Une explication Monsieur le bourgmestre ? “Rien à foutre de ton article”

2018. Le bourgmestre de Chiny, Sébastian Pirlot, en a marre. Il va abandonner la politique après plusieurs années dans les Parlements wallon et fédéral. Il se dit lassé et veut préparer sa reconversion dans des projets privés. En décembre 2017, le Moniteur enregistre la création de la société « Game Of Coms ». À la barre du projet, Sébastian Pirlot (alors socialiste), bourgmestre, au style musclé, qui règne sans partage sur la petite commune wallonne, élu sans opposition, sur lequel Médor s’est déjà penché ici.

Bref. Le siège de sa société « Game Of Coms » est à Chiny, à son domicile privé. Cette boîte entend proposer des campagnes de communication pour des acteurs privés mais aussi publics. C’est le bon moment. Les élections communales (octobre 2018), fédérale et compagnie (mai 2019) pointent à l’horizon. L’opportunité est là. L’ambition est grande. Le site annonce une création de filiales au Luxembourg et en France.

Parmi les fondateurs du projet, Stéphane Crusniere, député socialiste, et Olivier Fievez, échevin socialiste de Braine Le Comte. Avec pareil pedigree, le profil des clients n’étonne pas : un entrepreneur de Chiny et six groupements communaux en partie ou totalement socialistes. En mai 2019, alors que Sébastian Pirlot ne se reconnaît plus dans le PS, « Game of Coms » réalise des vidéos de campagne des candidats socialistes Mélissa Hanus, Véronique Biordi Tardei et Philippe Courard.

Créateurs de Fakes News

Plusieurs organisations publiques et privées profitent des conseils de communication des experts de « Game Of Coms », dont certains sont disponibles sur le blog de l’entreprise.

Entre les incitations visant à mieux comprendre le RGPD et celles expliquant pourquoi il est mauvais d’acheter des fans sur les réseaux sociaux, un article, écrit par Sébastian Pirlot, détonne : « Fake news, désinformation, post-vérité : comment gagner la bataille de la communication ? » Le bourgmestre de Chiny dresse le constat, qu’aujourd’hui, le plus important n’est pas la véracité de l’information « mais de jouer avec les émotions, les peurs, d’apparaître comme vrai, être aimé et d’être liké (…) pour gagner la bataille de l’image », avant de dresser 5 règles à respecter pour fabriquer une fake news ! Sébastian Pirlot rappelle ainsi qu’il ne faut pas hésiter à « insérer des détails abracadabrants pour attirer l’attention » sans oublier « d’y insérer une pincée de vérité » ou encore « d’accuser les autres d’avoir créé une fake news ».

Quand Lutgen (cdH) et Piedboeuf (MR) font la promo du PS…

Un autre fait, et non des moindres, étonne dans cette entreprise. Parmi les fondateurs de « Game of Coms », deux noms bien connus : le bourgmestre libéral de Tintigny Benoit Piedboeuf (MR) et Benoît Lutgen, bourgmestre de Bastogne et alors président du cdH. Ces deux hommes politiques ont chacun investi 5000 euros pour permettre à la société de faire campagne contre leurs propres troupes.

Interrogé par l’Echo au moment de la création de la société, Benoît Lutgen déclarait : « Moi, j’ai investi pour que cela puisse créer de l’activité et de l’emploi, aider des entreprises, point final. » Aujourd’hui, le député européen humaniste affirme avoir revendu ses parts, sans bénéfice. « J’ai quitté l’entreprise il y a plus d’un an (NDLR : et donc avant les élections communales). Ils n’avaient plus besoin de mon aide. Je n’ai assisté à aucune réunion et ne connaîs rien des projets développés. » L’ancien président du cdH ne savait donc rien des clients politiques de l’entreprise, qui luttaient parfois contre le cdH. Avec le cas cocasse du PS de Marche-en-Famenne : Le « Game of Coms » de Lutgen et Piedboeuf a soutenu le PS de Marche contre Willy Borsus (MR) et René Collin (cdH) !

Game… over 

Des politiques qui font de la com’politiques, la confusion des genres fait mal. Selon Benoit Piedboeuf (MR), « Sebastian est un bosseur et cela m’est déjà arrivé d’encourager des projets de ce type. Ici il était question de reconversion. Il y avait clairement les perspectives électorales. Sébastian espérait sans doute que j’amène mon carnet d’adresses privées et libérales. Mais bon, j’avais d’autres choses à faire ». Sébastian Pirlot attendait-il aussi une intervention politique pour financer le budget de ces campagnes ? Sans succès. « Il m’a demandé d’intervenir dans les frais pour les candidats libéraux, explique Benoit Piedboeuf. Alors on a copié ce que les autres partis font : 50 euros par candidat du parti… » Pas de quoi inonder le web. Fin de l’été, Benoit Piedboeuf a récupéré sa mise (5000 euros) et s’est retiré du projet. Depuis et selon le bourgmestre de Tintigny, Pirlot aurait « arrêté » ce projet de reconversion. Il a également entretemps annoncé qu’il se représenterait aux élections communales en… 2024.

Le principal intéressé – qui a quitté le PS début 2019 (tout en restant en bons termes avec le PS Luxembourgeois) – affirmait à Médor, en juin dernier, que son entreprise tourne toujours, tout en niant être à la tête d’une organisation de communication socialiste. « Même si on a obtenu des contrats avec le PS, on a également travaillé avec des listes communales plurielles. Notre site, avec nos dernières réalisations, n’est pas mis à jour (sic), mais on a réalisé la communication d’entreprises de construction et de traitement des déchets notamment. Je ne ramène pas tout à la politique, contrairement aux journalistes ! »

Frédérik Cady, coordinateur de Game of Coms, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Médor a appelé à trois reprises l’échevin Olivier Fievez, sans succès.

Immobilier et insultes

Lors de son souhait d’arrêter la politique - sur lequel il est revenu depuis - Sébastian Pirlot avait expliqué vouloir s’investir dans plusieurs projets privés. Le premier est « Game of Coms ». Un deuxième est sorti en juin dernier. Sébastian Pirlot a lancé une nouvelle société : Ker Invest. Domiciliée chez lui, la société à responsabilité limitée compte cinq actionnaires, dont le bourgmestre et son épouse, qui y investissent 120 000 euros. La raison d’être de Ker Invest ? « Toute activité se rapportant directement ou indirectement à la gestion de tous biens immeubles et droits immobiliers, le lotissement et la promotion de projets immobiliers. » Ker Invest est-il un projet avant tout familial ? Le bourgmestre s’interdira-t-il de travailler sur des biens immobiliers à Chiny ?

La réponse de Sébastian Pirlot à Médor, tout en nuances : “Faux sur toute la ligne ! Amuse - toi bien, Pulitzer ! Bien à vous ? T’es le roi des faux-cul toi ! Et rien à foutre de ton article… 

Serait-ce là une application de son propre conseil lié aux fakenews ? : “Les plus grands producteurs de fake news sont unanimes : il faut toujours accuser les autres (par exemple, un journaliste) d’avoir créé une fake news avant d’en être soi-même accusé. Cela permet de se dédouaner beaucoup plus facilement”.

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