Dyle : Leuven, c’est si loin

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Dans le centre de Leuven. « Vulnérables et forts sur notre Dyle ».

Au nord de la frontière linguistique, de la prévention, de l’ambition, des zones d’immersion temporaire. Au sud, de la division et des fascines. Ces petits barrages faits de branchages et de paille, qui font sourire.

Stéphane Vanden Eede est arrivé en Brabant wallon l’année où les communes ont été fusionnées, en 1976. Il a alors douze ans. Déjà, il s’intéresse à tout, il a un avis sur tout. Il mène ses bottes où y a de l’action, de la participation et, si possible, un brin de cervelle :

«  Venant de Bruxelles, je suis arrivé dans une ville - Jodoigne - traumatisée par les inondations de la Grande Gette, dont les eaux aboutissent dans la Gette, la Dyle et au bout l’Escaut. J’ai toujours eu l’impression que le problème y était géré. On en parlait tout le temps. Mais malgré les mesures prises, la rivière a débordé très fort, encore, en août 1994. Là, les autorités de Jodoigne et celles d’Orp, par exemple, ont compris qu’il fallait réagir ensemble. Comme à Leuven, ces communes ont voulu anticiper les problèmes en retenant les eaux en amont. Pour elles, 1994 aura été le coup de trop.  »

Pas d’intérêt pour la rivière

Cet écologiste en froid avec son parti a débarqué dans l’entité d’Ottignies/Leuven-La-Neuve en 2002. Son appréciation est nettement moins positive que pour Jodoigne ou Orp :

«  Dans le centre du Brabant wallon, il y a beaucoup de préoccupation pour les matières politiques, économiques et culturelles (il le sait, il travaille dans l’animation socio-culturelle, ndlr). La rivière, elle est là, au milieu. Il y aurait un intérêt collectif à réfléchir l’avenir en s’axant sur elle. Ça n’a jamais été le cas. Un peu plus de cinquante ans après la fusion des communes, la logique de bassin versant n’a jamais été prise en compte sur le parcours wallon de la Dyle.  »

Les bottes n’y sont jamais loin, les sacs de sable sortent des maisons dès qu’il pleut un peu fort, comme en cette fin octobre. Puis tout continue comme avant.

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Stéphane Vanden Eede, ancien conseiller communal à Ottignies. Derrière lui, un chancre racheté par Matexi pour en faire un lotissement. Plus loin, il y a la Dyle, qui inonde souvent cette rue du Monument.

Les racines de la désorganisation face aux intempéries viennent de loin. Ah, cette fameuse fusion des communes. Le mercredi 16 août 1972, La Libre Belgique sort un scoop comme on en rêve. Le quotidien bruxellois fournit en intégral le projet de découpage territorial qui mûrit dans l’administration. Sur le périmètre actuel du Brabant wallon, les 108 entités communales seraient ramenées à 20. Ça pinaille alors. Plusieurs bourgmestres se cramponnent à leur bastion. Quatre ans plus tard, le compteur s’arrête au chiffre 27. «  Oui mais, oh là. Ça fait une sacrée différence !  », dit Stéphane Vanden Eede, qui a été journaliste de presse locale en début de carrière.

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«  Entre Court-Saint-Étienne et Grez-Doiceau, il y aurait eu 2 grandes communes et non 4. Pour obtenir des subsides, concevoir des plans d’aménagement du territoire, juste assurer une bonne gouvernance, il est beaucoup plus difficile de s’entendre à 4.  » Surtout quand il s’agit de coalitions composées de partis différents. Wavre est libérale depuis bien avant la création de la Région wallonne. Ottignies a un.e bourgmestre Ecolo depuis 2000. Or, pas de chance : c’est précisément sur cette portion-là de la Dyle que les crues sont les plus destructrices. Cofondateur du groupe citoyen Kayoux (une pierre dans la botte des échevins), Stéphane a été conseiller communal à Ottignies en 2021 et 2022. Il l’affirme, même le coup de semonce de juillet 2021 n’a rien changé à l’attitude des politiques face aux dérèglements climatiques.

Quatre coqs, quatre bouts de Dyle

La faute aux entrepreneurs en travaux publics et aux héritiers qui ont monopolisé le pouvoir dans ce coin assez aisé de Wallonie ? «  Je ne sais pas comment on procédait lors des appels d’offre dans ces communes, mais il est un fait que des bourgmestres ou des échevins étaient à la fois dans la construction et la gestion. Par là, je désigne des entrepreneurs au pouvoir à Wavre, Mont-Saint-Guibert, Chastre ou Walhain. Robert Hulet, Jean Moisse,… Les héritiers ? Eux, ces descendants d’aristocrates, ils ont toujours veillé à garder les leviers de commandes dans la famille, comme ça a été longtemps le cas à Ottignies ou à Court-Saint-Étienne.  »

Ça a été jusqu’à la caricature en ce qui concerne cette dernière commune. Le bourgmestre actuel est Michaël Goblet d’Alviella. Son père l’a précédé à ce poste. Plus haut dans la lignée, on trouve d’autres personnalités politiques libérales ainsi que les anciens propriétaires des usines sidérurgiques Émile Henricot. Quand celles-ci ont fermé, les sols sont restés pollués, les terrains à prix réduits ont été filés à des promoteurs immobiliers et c’est ainsi qu’est né, a grossi et va encore s’étendre le bout de ville « Court Village ». Quand on habite là, on n’a pas de jardin à cause des sous-sols souillés, on scrute la Dyle à moins de cent mètres et on prie pour qu’elle ne saccage pas les rez-de-chaussée.

Walibi dans les pattes

Lors de la fusion expresse de 1976, effective le 1er janvier de l’année suivante, raconte Stéphane Vanden Eede, intarissable sur le sujet, les Goblet d’Alviella de Court et les du Monceau d’Ottignies se sont arrangés pour refuser l’union de leurs deux communes, pourtant collées l’une à l’autre. Les « entrepreneurs » en action à Wavre et Grez-Doiceau en ont fait de même. Notons que cela arrangeait aussi les socialistes, qui sauvaient deux de leurs bourgmestres. Quatre coqs, donc, chacun sur son piédestal. Mais personne pour coordonner l’aménagement du territoire le long de cette Dyle capricieuse.

Principale négligence : plus de cent hectares situés en plaine entre Ottignies et Wavre ont été saturés de béton. D’abord par le parc d’attractions Walibi, inauguré à la moitié des années 1970 et dont une nouvelle extension de cinq hectares s’achève en ce moment. Ensuite, sur la rive gauche, par un zoning économique dont la dernière pièce vient d’être ajoutée. Il y avait là une belle et grande zone marécageuse, qui aurait été utile pour capter des eaux trop abondantes et protéger le centre de Wavre. Aujourd’hui, les autorités municipales wavriennes ont lancé une étude visant à récupérer sept bouts de terres dans cette zone saturée située en amont de la ville. Dans un an ou deux, elles risquent de constater que c’est compliqué vu notamment la difficulté à exproprier.

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Dans le centre de Wavre, on a colmaté les brèches en étançonnant. C’est en amont qu’il aurait fallu agir.

À Leuven, de l’autre côté de la frontière linguistique, fixée en 1962, on a fait tout l’inverse de l’axe Ottignies-Wavre. L’union des forces a été décrétée dans les années 1980, surtout. Marre de ces eaux incontrôlables venues de Wallonie. Cette impressionnante aventure humaine est racontée dans un ouvrage truffé d’illustrations rappelant au passage quelques-unes des catastrophes subies par cette ville qui a franchi sans peur le cap des 100 000 habitants.

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Des hérons dans l’eau

Le contraste est saisissant. En centre-ville, de petits jardins publics ont été installés pour contempler les charmes de l’eau. Nous y avons observé des hérons. Contrairement à Wavre, où les ex-ministres Charles Aubecq et Charles Michel ont maintenu la Dyle sous cloche, Leuven a ôté son manteau de pierre, élargi certaines sections, aménagé les berges. Le chef-lieu incontestable du Brabant flamand a aussi installé un gigantesque bassin d’orage – le Zandvang – à l’entrée de la ville. Chacun y gagne. En cas de coup dur, il peut s’avérer déterminant et sert d’ultime poche naturelle de rétention. Au jour le jour, les promeneurs, les joggeurs, les cyclistes y trouvent un terrain propice pour huiler leurs gambettes.

Surtout, c’est tout le territoire situé bien en amont, sur les communes d’Oud-Heverlee et d’Huldenberg, qui a été impliqué dans un même plan stratégique. Le principe ? Les eaux seront bien davantage sous contrôle si on leur rend l’accès à leur lit naturel. Près de la Doode Bemde (impossible à traduire), par exemple, de petits canaux permettent à la Dyle de sortir de son lit quand elle en a besoin. Les non-initiés parleront d’une très vaste réserve naturelle, faisant tout à la fois penser à la Forêt de Soignes et aux Fagnes. Les puristes diront ZIT ou ZEC, pour « zone d’immersion temporaire » ou « zone d’expansion de crues ». En tout cas, ça marche. Les flots abondants de juillet 2021 n’ont pas inquiété les Louvanistes. Ils n’ont pas été inquiétés non plus lors d’une alerte le 25 août dernier. À Wavre, par contre, c’était la panique.

Ah oui, mais il y a des fascines

En Brabant wallon, les nombreuses personnes que nous avons rencontrées durant cette enquête déplorent l’absence d’un tel plan d’envergure le long de « leur » Dyle. Il y a bien un « Contrat de rivière Dyle-Gette », dont les prémices datent de la Conférence de Rio pour le développement durable, en 1992. Impliquant 21 communes du Brabant wallon, les milieux associatifs, les syndicats et le patronat, il favorise la programmation de travaux d’égouttage, l’entretien des berges ou diverses actions ponctuelles.

Pour Stéphane Vanden Eede, c’est « bien  », mais surtout pour celles ou ceux «  qui s’intéressent à l’éducation permanente  ». Il y a bien aussi les fascines louées par plusieurs bourgmestres pour endiguer les coulées de boues. Nous avons vérifié l’état d’usure de ces petits barrages hauts d’une quarantaine de centimètres, placés au bas des champs, faits de bois et de paille. Nous avons interrogé des riverains sur leur utilité en cas de fortes intempéries. Et les gouvernants du BW devraient admettre que c’est avant tout un sujet de plaisanterie.

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Cette fascine installée à Céroux-Mousty, il y a cinq ans, est déjà usée.

«  Mais voilà le problème : il faudrait pouvoir reconnaître qu’on s’est trompés, conclut Stéphane Vanden Eede. Après les inondations de 2021, j’ai fait plusieurs propositions au conseil communal d’Ottignies-La-Neuve. Aucune n’a été retenue.  » Dans la liste, il y avait deux suggestions qui peuvent paraître évidentes :

  1. Établir une cartographie précise des lieux inondés – et consultable par toute personne qui souhaite s’installer dans la commune.
  2. Placer des repères visuels dans les rues, là où les eaux sont montées.

Mais même ça paraît trop sensible : cela risquerait de décourager des candidats acquéreurs.

Prochain épisode : la Dyle est un chancre, les eaux souterraines sont en mauvais état et même l’eau du robinet est trouble.

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