Allô la police, j’ai trouvé un labo de drogue

Episode 1/3

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Vica Pacheco. CC BY-NC-SA.

Ces dix dernières années, la Belgique s’est imposée comme l’un des principaux producteurs mondiaux de drogues synthétiques. Mais qui dit labo de drogue, dit aussi production de déchets illégaux… Les décharges sauvages atteignent désormais des niveaux record. Où sont-elles ? Jusqu’où polluent-elles notre environnement ?

Il n’est pas rare, au détour d’une balade à vélo à travers les quartiers tranquilles limbourgeois aux jardins impeccablement taillés, d’être interrompu par une signalisation inquiétante appelant à la prudence et à « prévenir la police ».

« C’était où ? » demande l’agente de police.

Hésitante, la voix métallique formule le nom d’une rue. L’agente appuie sur le bouton de retour en arrière. « On va le réécouter. »

Il ne s’agit pas de la ligne habituelle de la police. En avril 2019, le bureau du procureur du Limbourg a inauguré la « ligne de signalement des drogues », un numéro gratuit et anonyme pour signaler les infractions liées à la drogue.

L’histoire de la production de drogues synthétiques en Belgique a commencé en 2004, après le démantèlement de deux laboratoires. En 2020, plus de 28 labos ont été découverts. En Europe, peu de pays produisent des poudres et autres happy pills ; pour répondre à la demande, la Belgique a suivi les traces de sa grande sœur, les Pays-Bas.

« Il y a presque toujours un citoyen néerlandais impliqué dans la mise en place de ces labos au Limbourg », explique Carine Buckens, du Parquet du Limbourg.

La province est frontalière des deux régions néerlandaises où l’on compte le plus de labos de drogue. Comparé aux plus de 600 labos néerlandais saisis ces dix dernières années, la Belgique fait figure de petite joueuse..

Ligne d’urgence

Dans les deux pays, la majorité des laboratoires échappent aux radars. Mais la roue commence à tourner. Ces deux dernières années, environ 45 laboratoires, soit un tiers du nombre total d’infrastructures saisies sur toute la décennie, ont été découverts et démantelés. Presque un par semaine.

Une poignée de personnes suivent la situation, parmi lesquelles Carine Buckens. C’est elle qui a imaginé le « Drugsmentpunt », la ligne d’urgence au Limbourg destinée à appuyer les mesures et plans fédéraux de lutte contre la drogue. Il fallait de nouveaux alliés et des dizaines d’yeux pour mener cette guerre contre la drogue. « Décrivez ce que vous avez vu ou entendu. Chaque détail compte », indique le site Web du service de signalement.

L’officière réécoute la voix métallique. Elle ne peut pas expliquer l’odeur, mais se souvient qu’elle était âcre. C’était étrange de la sentir dans les bois un matin de printemps. Mais surtout, la voix dit que ses yeux se sont mis à brûler. À la fin du message, les agents de police échangent un regard, pendant qu’ils griffonnent l’adresse sur un bout de papier.

Avec 1 kilo de MDMA, on peut fabriquer plus de 60 000 pilules d’ecstasy. L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) sait que pour la même quantité de drogue, en découlent six à dix kilos de déchets. Pour les amphétamines, la fourchette s’élève même à dix, voire vingt kilos.

La première saisie belge de drogues synthétiques est intervenue en 2020. 7,3 kilos d’amphétamines sont parties d’Anvers pour arriver à Carthagène, en Colombie. Ces pilules ont traversé les océans, mais les plus de 150 kg de déchets destinés à produire la drogue de contrebande sont restés en Belgique, et ils n’ont pas forcément été retrouvés.

Le sommet de l’iceberg

La contrebande est silencieuse et laisse peu de preuves sur son passage : « Les trafiquants de drogue avaient l’habitude d’abandonner les déchets sur les sites des laboratoires », nous explique Carine Buckens. Mais avec l’augmentation de la production dans le pays et la diminution des capacités de stockage, ils ont tendance à se débarrasser des plus gros volumes dans les espaces publics.

Étienne Dans fait partie des premières personnes que l’on appelle pour prendre en charge les laboratoires et les déversements de déchets issus de la drogue. Il est responsable de la Clan Lab Response Unit, l’organe de police qui localise et démantèle les sites de production et de stockage. « Ce n’est que le sommet de l’iceberg, on n’a connaissance que d’environ 15 % des déchets », indique-t-il.

1 500 tonnes de déchets par an

Ces dix dernières années, dans les 190 cas de déchets de drogue qui ont été documentés, les contenants ont été abandonnés dans des remises, dans les rues ou déversés dans les forêts.

Mais ces chiffres sont loin de correspondre aux quantités de drogue saisies, ou à la quantité de drogue que les laboratoires sont en mesure de produire. Le poids total des déchets pourrait donc s’élever à 1 500 tonnes par an. Aux Pays-Bas, les enquêtes de 2017 prévoyaient environ 7 000 tonnes de déchets de drogue sur l’année.

Mais comment distinguer les déchets de drogue parmi tous les autres déchets ? Une journée d’étude pour informer la population et les autorités locales a été organisée avec toutes les entités publiques belges impliquées dans la gestion des déchets de drogue.

Comme des chiens policiers, pour mémoriser les odeurs, les citoyens ont fait la file pour renifler de petites bouteilles remplies de produits chimiques, sous la supervision attentive de Nathalie Meert, experte en criminalistique des drogues à l’Institut national de criminalité et de criminologie (NICC).

Bidons qui flottent

Comme lors d’une réunion familiale, face aux diapositives projetées à l’écran, Étienne Dans a montré à la foule des exemples de déchets de drogue :

« Ici, des conteneurs sont alignés le long d’une route près de Maasmechelen…

Suivante.

Des bidons flottent sur un canal de Bocholt, et des conteneurs entrouverts déversent leurs substances ocre dans l’eau... »

Deux années ont passé et le téléphone n’a jamais cessé de sonner : plus de 470 appels. Nombre de signalements ont permis de faire avancer les enquêtes, certains ont permis de découvrir des laboratoires de production, des plantations de cannabis.

En 2020, les mesures prises pour lutter contre le coronavirus, telles que les contrôles aux frontières et le couvre-feu, ont influencé la manière dont les déchets issus de la drogue ont été évacués. Étienne Dans parle de chiffres bien inférieurs à ceux des années précédentes. Avec le coronavirus, les trafiquants sont devenus plus « résilients ». Mais si l’on détecte moins les déchets de drogue, l’activité ne s’est pas interrompue pour autant. Et les déchets continuent de se promener dans la nature.

Mais ça fait quoi, exactement, un déchet de drogue dans la nature ? Réponse ce jeudi 19 août, dans l’épisode 2…

Avec le soutien du Fonds Pascal Decroos pour le journalisme.

Les questions de Médor : tous les mois une nouvelle enquête, en 3 épisodes. Les publications se font les mardi, jeudi et vendredi de la 3ème semaine, à 11h. Gardez les yeux ouverts.

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