L’argent

Episode 3/3

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Cellules tumorales des membranes de recouvrement du cerveau, 1890. Cajal Institute (CSIC), Madrid, 1890, Santiago Ramón y Cajal.

La Belgique ouvre les bras aux essais cliniques des entreprises pharmaceutiques et des structures académiques. Au sein des hôpitaux, chaque service s’organise pour accueillir les siens. Coûte que coûte ?

Mai 2020, toute la planète en blouse blanche cherche à mettre KO le coronavirus. Un essai, appelé « Discovery », est lancé à travers l’Europe pour tester quatre traitements possibles contre le virus.

« Nous étions convaincus qu’Érasme devait participer à cette étude, se rappelle Maya Hittes, infectiologue dans cet hôpital bruxellois.

Mais comment payer pour cette participation ? « Les médicaments étaient donnés mais il fallait couvrir l’encadrement. Pour l’anecdote, mes nièces et mon neveu qui ont 18, 20 ans, étaient prêts à lancer des récoltes de fonds ! Nous étions très convaincus. Heureusement le KCE et les Fonds Érasme nous ont soutenus. »

Vendre des gaufres pour financer la coordination d’un test clinique ? Dans un secteur qui regorge d’argent ? Bienvenue dans ce monde « qui sauve le monde », où chaque service hospitalier fonctionne comme une petite entreprise.

Fine tuning

A l’hôpital Saint-Pierre (Bruxelles), le Service des maladies infectieuses du Pr Stéphane De Wit fait office de pionnier en essais cliniques.

Dans les années 80, le Sida n’épargne personne. Des études se lancent. Pour les mener à bien, le professeur De Wit crée le CRMI, une asbl au sein même de l’hôpital. Une entreprise dans l’entreprise.

« Le service n’a pas de financement pérenne, précise le professeur. On fonctionne sur l’attractivité, avec des années plus ou moins favorables. On a géré en bon père de famille et on a pu créer une réserve qui permet de tenir pendant les années moins fastes. Maintenant, c’est un peu moins intense, mais nous avions souvent 30-35 projets en parallèle. »

Et jamais une étude « légère » pour vendre un médoc ? Jamais. En 40 ans, le professeur n’a pas vécu de situations de conflits d’intérêts, de données cachées ou non publiées. « Nous sommes parfois moins convaincus de l’apport majeur de certaines études mais ce sont des ajustements fins, précise le professeur. Dans le domaine du VIH, on en est au stade où la majorité des patients prend aujourd’hui une pilule par jour. On peut encore espérer une amélioration mais elle ne sera pas spectaculaire comme dans le passé. »

Tout est couvert

Si le Service des maladies infectieuses du Pr De Wit se démarque par son organisation en asbl, le principe du « débrouille-toi tout seul » est, lui, commun à tous les services des hôpitaux qui acceptent des essais cliniques.

Il faut alors bien évaluer l’engagement, car un patient intégré dans un essai clinique représente une surcharge de travail d’environ 30 %. « Le premier jour, on a une heure d’infos à remplir. Puis 30 minutes par jour s’il n’y a pas de complications », explique Maya Hites (Erasme).

« Tout est couvert par les sponsors, précise Dominique Van Ophem. Les essais cliniques ne coûtent rien à la collectivité. » Dominique Van Ophem travaille aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCL). Elle est directrice administrative du CTC. CTC pour « Clinical Trial Centers ».

Ces structures sont apparues dans l’organigramme des hôpitaux ces dernières années. Elles servent de courroie de transmission entre les demandeurs d’essais cliniques (académiques ou privés) et les services hospitaliers.

Les premiers déposent au CTC leur demande, et les seconds bénéficient du soutien administratif, juridique, comptable, pour accompagner le projet. Détail qui compte : elles ne sont pas liées au comité éthique (lire notre épisode 2 « La course »), qui reste indépendant de l’hôpital.

Aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UcL), le CTC « évalue la faisabilité institutionnelle, les ressources financières, le matériel nécessaire, le matériel humain », explique Dominique Van Ophem.

Et le boulot ne manque pas pour les 15 personnes (11,8 ETP) : 438 soumissions, moitié académique (54 %), moitié commerciale. 900 études en cours. Des 900, 620 académiques et 280 commerciales. « On rentre par an 1000 patients dans le commercial et 3000 dans l’académique. »

Cher patient

Au sein de l’UcL, 81 coordinateurs de recherche (71ETP) sont dédiés aux essais cliniques. Ils ne coûtent rien à l’hôpital, leur salaire est intégré dans le prix des essais. Et donc sans essais, plus de personnel.

« Mais on veille au nombre d’études pour qu’il soit suffisant, précise Dominique Van Ophem. S’il s’écroule, on a un problème, mais cela n’arrive jamais. Dans un hôpital universitaire, le corps médical est sensibilisé à la recherche clinique. C’est une de ses missions. Après, il faut être réaliste. Les fonds publics, c’est bien, mais ce sont les essais commerciaux qui financent le personnel de recherche. »


L’argent est omniprésent dans les discussions autour de l’autorisation d’un essai clinique. Et aucun barème précis ne balise le marché. Lors de cette enquête, on nous a évoqué des tarifs entre 5000 et 20 000 euros par patient suivi.

Et cette règle implicite : les services font des efforts pour les essais prometteurs, et font casquer les essais « accessoires ». Ceux qui servent avant tout le sponsor pour élargir l’indication d’un médicament, ou prouver une toute relative supériorité sur un concurrent ou un placebo.

Big pharma, big boss

D’où le programme KCE Trials, financé à hauteur de 12 millions d’euros par la ministre de la Santé de l’époque, Maggie De Block. Pourquoi une telle initiative ? Parce que selon le KCE, beaucoup de questions pertinentes sur les soins de santé ne trouvent pas de réponse dans les essais cliniques à vocation commerciale.

Autrement dit, les recherches financées par le privé, qui font partie du cycle de développement du produit, visent davantage le profit que les bénéfices pour la santé publique ou la qualité des soins.

Mais ces 12 millions ne pèsent pas lourd face aux fonds privés. Le KCE paie mal, a-t-on entendu lors de cette enquête. Et les fonds publics sont rares.

Il est vrai qu’en face, le secteur « pharma » a doublé sa mise – déjà énorme – de 2009 à 2017, pour atteindre un investissement en Belgique de 2,2 milliards d’euros au total en Recherche&développement.

A ce prix, l’essai sera réussi.

Avec le soutien du Fonds pour le Journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles

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  1. Centre de Recherches en Maladies Infectieuses.

  2. Neyt M, Christiaens T, Demotes J, Hulstaert F., « Financer des essais cliniques axés sur la pratique avec des fonds publics – Synthèse. Health Services Research (HSR) », Bruxelles : Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2015. KCE Reports 246Bs. D/2015/10 273/51.

  3. Bernadette Biatour, Michel Dumont, Chantal Kegels, « Les branches clés de la R&D en Belgique Évolutions structurelles et stratégie d’entreprise », Bureau du Plan, décembre 2020.

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