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Faut-il jeter Fost Plus à la poubelle ?

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Des chiffres de recyclage invérifiables, des courriels de menace et un lobbying si pernicieux. Comment Fost Plus utilise sa position de monopole pour bloquer les mesures environnementales.

En collaboration avec plusieurs médias européens, le journaliste allemand Benedict Wermter et sa collègue belge Isabelle Vanhoutte ont enquêté sur neuf organisations de recyclage des déchets. Parmi elles : l’asbl Fost Plus et ses points verts, en position de monopole sur le sol belge. Cette investigation se fonde sur des documents financiers et la découverte d’un lobbying aussi secret qu’intense. Comment ces organisations gèrent nos déchets. Comment elles coopèrent avec les gouvernements. Comment elles tentent d’influencer les lois environnementales. Médor publie ici la synthèse de ce dossier gris/noir à l’odeur de plastique brûlé.

Partons d’un petit rappel de bonnes pratiques. Ça, c’est la théorie. Quiconque met des emballages sur le marché, en Europe, doit en recycler une partie. C’est le cas depuis les années 1990, selon le principe du « pollueur-payeur ». Toutefois, les supermarchés, les grandes firmes comme Colruyt, Danone ou Unilever, les producteurs de boissons rafraîchissantes, par exemple, ont vite réagi aux lois. Ils n’avaient aucune envie de reconditionner eux-mêmes leurs emballages. Ils ont fait appel à des partenaires chargés d’assumer cette responsabilité en échange d’une cotisation. Ce sont ces partenaires qui gèrent la collecte, le tri et le recyclage ou alors l’incinération des déchets. Dès 1994, Fost Plus a été créé à cet effet. Constituée sous forme d’asbl, ce machin privé est financé et géré par ses membres : en fait, les producteurs d’emballages.

Chiffres « fake »

En Belgique, Fost Plus est le premier et pour l’instant le seul opérateur disponible pour les emballages de consommation. D’autres travaillent dans d’autres domaines, tels que l’électronique (Recupel) ou l’emballage commercial (Valipac). Au fil des ans, Fost Plus a acquis une position de monopole dans le domaine du recyclage des emballages en plastique. Dans la pratique, les villes et les communes, les intercommunales de gestion des déchets et les recycleurs dépendent de Fost Plus. D’autant que cette dernière assure aussi des activités de prévention et de nettoyage.

Et ça marche, concrètement ?

Pas tant que ça.

Alors que Fost Plus affirme recycler 46 % des emballages plastiques mis sur le marché par ses membres, soit un peu plus que la moyenne européenne en 2019 (42 %), ce chiffre est probablement surestimé, comme l’a suggéré un reportage de la VRT, toujours en 2019. Ou comme Médor l’avait remarqué dans une enquête publiée dans le numéro 14 au printemps 2019.

Des recherches récentes menées par l’hebdomadaire Knack ont confirmé que ce chiffre de recyclage est une boîte noire : il n’est pas vérifiable et personne ne le contrôle vraiment. Entre 2012 et 2019, par exemple, la Commission interrégionale de l’emballage, qui est censée superviser Fost Plus, n’a effectué… aucune inspection sur le recyclage du PET. Ce polytéréphtalate d’éthylène au nom barbare qui compose les bouteilles et flacons en plastique.

Même embrouille dans l’Union

L’Union européenne estime aussi que le calcul des taux de recyclage nationaux est erroné. Les données disponibles ne sont pas assez transparentes et comparables, le contrôle n’est pas efficace et certains éléments sont écartés des calculs, comme le poids des résidus ou l’humidité qui reste sur les emballages alimentaires, selon la Cour des comptes européenne.

C’est pourquoi l’Union européenne a décidé en 2019 de mesurer les taux de recyclage à l’aide d’une nouvelle méthode uniforme. Ceci réduirait le taux de recyclage dans tous les pays d’environ 10 points de pourcentage selon les experts du rapport !

Il y a plus grave.

Sous la coupe de Colruyt, Danone ou Unilever, donc, Fost Plus fait tout pour empêcher des mesures environnementales plus strictes sur les déchets d’emballage. Exemple : l’immixtion de Fost Plus dans le débat sur l’introduction des consignes. L’organisation privée s’arrange pour contredire ou boycotter des voix critiques. Elle est impliquée dans un conflit d’intérêts au sein du gouvernement flamand. Et elle est membre d’une nébuleuse internationale de lobbying qui travaille en amont, s’opposant aux mesures environnementales européennes.

Analysons tout ça…

Consigner les bouteilles en plastique n’a jamais fait l’unanimité en Belgique, où la matière est de compétence régionale depuis la vague de réformes de l’Etat. Alors que la Région bruxelloise et la Wallonie ont inscrit la consigne sur les canettes et les bouteilles dans leur accord de coalition en 2019, et que cette forme de dépôt subventionné est mentionnée dans le récent accord de gouvernement fédéral, la Flandre, elle, s’oppose à son introduction. Fost Plus n’y est pas étrangère…

Pour l’anecdote, il y a une dizaine d’années, des représentants de Fost Plus ont apparenté le système de dépôt à un « monstre du Loch Ness » en s’en moquant sur une diapositive diffusée lors d’une conférence. C’était une boutade ? Depuis, c’est devenu une stratégie, un axe central de lobbying. Car, de fait, l’industrie et son instrument ont peu à gagner d’un système de consigne : les machines de retour-consigne sont coûteuses et la mise en place de la logistique d’un tel système représente une tâche immense, qui remettrait en cause les sacs bleus. Si les bouteilles en PET, un type de plastique rare et rentable, devaient disparaître, le sac bleu ne rapporterait que très peu de revenus. Or, Fost Plus a investi 300 millions d’euros dans de nouveaux centres de tri pour « Le nouveau sac bleu », qui permet d’utiliser davantage d’emballages en plastique. On l’a compris : la consigne minerait ces récents investissements.

« Grovelling »

Pourtant, en 2015, le gouvernement régional flamand a failli approuver l’introduction des consignes : à l’époque, la ministre de l’Environnement Joke Schauvliege (membre d’un CD&V bousculé par la concurrence nationaliste) y était favorable. Avant de dire l’inverse… en 2018. Que s’est-il passé pendant ces trois ans ?

Avec le soutien des fédérations sectorielles Fevia (alimentation) et Comeos (commerce et services), Fost Plus a proposé un plan. Elle consacrerait une somme annuelle de 17 millions d’euros aux organisations de nettoyage Mooimakers (Flandre) et Be Wapp (Wallonie), avec l’ambition de réduire de 20 % la quantité de déchets dans notre pays d’ici 2022. Dans le contexte européen, l’attitude de Fost Plus peut être considérée comme un exemple de « grovelling ». Une tactique de lobbying éprouvée : vous proposez un plan alternatif pour les consignes, qui cause des années de retard !

Entre-temps, des chiffres flamands de 2019 ont indiqué une augmentation des déchets de 14 % en deux ans…

Pour Fost Plus, les consommateurs sont les pollueurs à cibler et à culpabiliser.

Dans un rare communiqué de presse à la suite d’une enquête de la VRT désagréable pour elle, Fost Plus a réagi en ces termes : « Nous avons besoin de la coopération des consommateurs. Plus de discipline pour trier, moins de déchets dans les sacs à déchets résiduels et moins de déchets laissés sur les plages, dans les forêts et au bord des rues et des autoroutes. C’est aussi là que le gouvernement doit jouer son rôle et faire respecter la loi. »

Fost féroce

Les critiques qui remettent publiquement en question la politique de Fost Plus, de manière ludique ou non, reçoivent aussi régulièrement une réponse féroce. En 2018, le fabricant de produits d’entretien Ecover a testé sa propre consigne temporaire pour les bouteilles en PET. Alors responsable de l’innovation chez Ecover, Tom Domen explique pourquoi l’action a été stoppée net : « Chez Fost Plus, ils m’ont envoyé un courriel assez dur pour l’arrêter immédiatement. C’est pourquoi nous consacrons aujourd’hui notre énergie principalement aux bouteilles rechargeables en magasin. »

Autre exemple de pression ? Un fonctionnaire de la ville d’Anvers critique dans la presse les chiffres supposés faibles du recyclage et le rôle joué par Fost Plus, et celle-ci réagit par une lettre au conseil municipal d’Anvers, débouchant sur une sanction disciplinaire et un départ à la retraite anticipée du censeur. Ou alors, l’an dernier, un article critique se profile dans Knack et, selon son rédacteur en chef, « Fost Plus va très loin » dans sa volonté de censure.

Sollicité pour une réaction, Fost Plus n’a pas répondu aux questions des journalistes Benedict Wermter et Isabelle Vanhoutte. Toutefois, la porte-parole Valerie Bruyninckx défend la stratégie actuelle de l’asbl et vante des chiffres de recyclage sujets à caution, comme on l’a vu : « Nous sommes convaincus que c’est la meilleure solution pour que la Belgique reste en tête du peloton européen en termes de taux de recyclage des déchets d’emballages ménagers. Aujourd’hui et demain. »

Amen, la consigne est claire.


Article en version néerlandaise  : Benedict Wermter et Isabelle Vanhoutte

Tags
  1. Correctiv (Allemagne), Apache.be (Belgique) et EUobserver (Union européenne). Avec le soutien de IJ4EU et journalismfund.eu.

  2. Les membres de Fost Plus sont quelque 5 000 entreprises, des producteurs qui mettent des emballages sur le marché belge comme Unilever, Danone ou Colruyt, mais aussi le producteur d’acier Arcelor Mittal ou Van Genechten, un producteur d’emballages en carton plié. Le conseil d’administration comprend des entreprises, mais aussi des fédérations telles que Comeos, qui représente le commerce et le tertiaire, et la Fevia, la fédération de l’industrie alimentaire belge. Essenscia PolyMatters, l’association sectorielle pour l’industrie de la fabrication de matières plastiques, siège également au conseil d’administration.

  3. Cela signifierait qu’en Belgique, nous ne recyclons aujourd’hui qu’environ 36 % de nos emballages plastiques : trop peu pour atteindre l’objectif européen obligatoire de recyclage de 50 % des emballages plastiques d’ici 2025

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