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Un marché pas très libre

Les logiciels libres & l’administration

En 2019, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est engagée à promouvoir le logiciel libre. Fort bien. Mais un appel d’offres de 2024 entretient le doute.

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Camille Chautru. CC BY-NC-ND

« L’heure est à l’affirmation d’une ambition nouvelle », disait en préambule la Déclaration de politique communautaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour la législature 2019-2024. Présidée alors par le MR Pierre-Yves Jeholet, elle promettait notamment, au point 13, de « promouvoir et utiliser, dans la mesure du possible, les standards ouverts et les logiciels libres dans les administrations publiques ». Les logiciels libres sont, pour rappel, ceux dont on peut réutiliser, modifier et rediffuser le code moyennant certaines conditions détaillées dans leurs licences. Ils s’opposent aux logiciels dits « propriétaires », comme ceux de Microsoft ou d’Apple par exemple. Utiliser le libre, notamment dans l’enseignement, c’est donc, aussi, s’émanciper de la mainmise des géants de l’informatique.

À ce sujet, un litige oppose depuis un an une asbl nommée Tactic, qui accompagne des assocs, mais aussi des écoles dans l’adoption d’outils numériques « libres ». En février 2024, le pouvoir organisateur de tous les établissements scolaires dépendant de la FWB publie un marché pour « le développement et le support technique d’un logiciel de gestion des étudiants pour les écoles supérieures des arts de Wallonie-Bruxelles Enseignement ». L’administration cherche à étendre le développement d’un logiciel appelé Horizon. Il s’agit d’un ensemble de modules qui s’ajoutent à Odoo, un célèbre logiciel belge de gestion. Horizon et Odoo sont publiés sous licence libre. Et la licence spécifique d’Horizon (nommée AGPL v3) oblige la personne qui modifie le logiciel à le redistribuer avec la même licence.

Une coopérative informatique (Coop IT Easy) qui, par principe, ne travaille qu’en libre, envisage de soumettre une offre. Sur le forum du marché public, l’administration indique – surprise – que le logiciel fourni « ne pourra pas être sous licence libre ». Elle semble, en plus, ne pas très bien maîtriser la licence d’Horizon, dont elle a pourtant demandé le développement initial, quand elle précise : « Le code sera uniquement mis à la disposition de l’éventuel soumissionnaire qui remportera le marché. » Par sa licence, le code se devait pourtant d’être ouvert et accessible. Il était d’ailleurs disponible sur la plateforme Github, où des programmeurs échangent et collaborent.

Noshaq en embuscade

Après avoir constaté ces contradictions, Tactic demande alors la réouverture du marché public. Denis Devos, administrateur de l’association, explique qu’il paraissait « impensable que la Fédération Wallonie-Bruxelles interdise l’usage du logiciel libre dans un marché public. Plus largement, dit-il, c’était aussi l’occasion de dénoncer un manque de transparence ainsi qu’une violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination entre les soumissionnaires ». En ne voulant pas communiquer le code d’Horizon, WBE « induisait clairement les participants en erreur », estime Denis Devos, et le refus de la licence libre excluait « de facto certains candidats » qui veulent que le code qu’ils produisent soit public. Tactic a interpellé à l’époque Julien Nicaise, administrateur de WBE. Ne pas publier les modifications d’Horizon sous la même licence pourrait être illégal, selon l’association. Elle rappelle dans sa lettre à WBE qu’Orange a été condamné en France à une amende, début 2024, pour ne pas avoir respecté une licence libre.

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Camille Chautru. CC BY-NC-ND

À défaut de répondre à Tactic, WBE rouvre le marché en mai 2024. Seul le numéro est modifié, mais les candidats reçoivent cette fois en privé un lien vers Github et une information sur la licence. Tactic, elle, continue de demander l’accès aux P-V de réunions ayant mené à la décision de refuser la licence libre pour ce marché, sans réponse de WBE, malgré deux recours jugés fondés à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Selon Tactic, WBE a désormais porté le dossier au Conseil d’État. « Pour nous refuser l’accès aux documents », reproche Denis Devos. WBE a répondu à Médor qu’elle pouvait être « propriétaire des développements », ce qui va à l’encontre de la licence Horizon, et estimé qu’un partage du résultat avec un autre pouvoir organisateur devra se faire moyennant « une convention ». On est loin de l’esprit du libre.

Au final, le marché a été remporté, selon Denis Devos, par Nubeo, société tournaisienne rachetée en juillet 2024 par NSI, dont le fonds d’investissement wallon Noshaq (ex-Publifin) détient 25 % des parts. Il a été attribué, selon nos informations, à budget ouvert, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de plafond défini pour le montant de l’offre, seul le taux journalier du prestataire est un critère. Selon plusieurs acteurs du secteur infor­matique, cette pratique n’est pas très saine, car le candidat qui propose un taux à la journée plus bas a de meilleures chances de l’emporter, mais il peut par contre mettre beaucoup plus de temps à faire le développement qu’un autre.

Mise en avant dans la précédente déclaration communautaire (PS-MR-Écolo), la notion de logiciel libre a désormais disparu de celle livrée par le MR et Les Engagés en 2024. Un recul, sans aucun doute.

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  1. Avertissement : Tactic et, plus bas dans le texte, Coop IT Easy sont proches de Médor. Tactic accompagne notre hébergement web et Coop IT Easy la gestion de nos abonnements et de notre comptabilité.

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