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Baptême de feu

Photos de chasse

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Michela Cane. Tous droits réservés.

Passage rituel pour jeunes chasseurs, la cérémonie du baptême s’est institutionnalisée en Belgique. En immersion dans le pays gaumais, Michela Cane a photographié cette pratique rarement documentée, aux origines incertaines.

La chasse se porte bien en Belgique. Le nombre de chasseurs et de chasseuses dans nos forêts (25 000 aujourd’hui) a grimpé de 19 % en dix ans. Une passion pratiquée surtout en Wallonie, où circulent 18 000 détenteurs de permis de chasse, dont plus de 4 000 Flamands.

Le grand gibier abonde dans le secteur de Florenville et ses 14 580 hectares de forêts. C’est là qu’en 2023, Michela Cane, encore étudiante à La Cambre, chausse ses bottes pour suivre un groupe de chasseurs anversois. Après avoir gagné leur confiance, la voilà invitée dans la vallée de la Semois pour un week-end intense de chasse.

La photographe s’intéresse au départ à la relation entre communauté et territoire. Mais, de retour d’une journée de chasse, elle assiste à un baptême. De quoi parle-t-on ? Lorsqu’un chasseur tue pour la première fois un grand gibier (sanglier, chevreuil, cerf), il est « baptisé » avec le sang de l’animal.

« Il est généralement appliqué sur le visage, mais, dans certaines communautés, le chasseur doit même plonger la tête entière dans le ventre de l’animal. Ce rituel est célébré avec des feux et applaudissements », raconte la photographe.

C’est un rituel inscrit dans la pratique cynégétique de longue date, selon Benoît Petit, président du Royal Saint-Hubert Club, la plus ancienne association belge de défense des chasseurs. « Le rituel est à géométrie très variable, en fonction des groupes, des familles. Certains sont assez longs, mais parfois c’est juste la remise d’une brindille. On barbouille le baptisé d’un peu de sang, discrètement, sur le front, alors qu’ailleurs, ça peut être quelque chose de plus franc. »

Ensauvagement

« C’est une tradition sans l’être. La Belgique est un pays sans coutumes fortes. On emprunte les codes à nos voisins, explique Harold d’Aspremont, chasseur depuis des années. L’objectif, c’est d’abord de rendre honneur aux animaux. Historiquement, on le fait en musique, il y a des trompes de chasse, qui sonnent en fonction de l’animal abattu, mais cette pratique tend à disparaître, faute de sonneurs. »

Le baptême est une tradition qu’il a toujours connue, pratiquée par ses parents et grands-parents. Mais à quand remonte-t-elle ? L’anthropologue français Charles Stépanoff parle d’un « phénomène d’expansion récente ».

Selon le chercheur, la diffusion rapide de ce rituel sur le territoire européen s’est faite par le déplacement des chasseurs d’un territoire à l’autre, mais aussi sur les réseaux sociaux. Ce rite de passage marque l’intégration à une communauté et, à travers elle, le passage à l’âge adulte.

Comme dans de nombreuses cérémonies initiatiques à travers le monde, elle implique une identification avec l’animal tué. Le sang répandu et la souillure brisent des interdits enracinés dans notre société, où la mort demeure taboue.

C’est ce rapport complexe à notre animalité et à la notion de communauté qu’a voulu explorer Michela Cane : « Ce que je considérais peut-être comme brutal est à leurs yeux en réalité ordinaire et souligne l’essence de leur univers : un espace de liberté hors des jugements moraux ou éthiques. »

Transposées hors de leur contexte, ces images viennent remettre en question nos préjugés. Ou les renforcer.

Michela Cane / Atelier Photographie - ENSAV La Cambre

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