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Trou de poil

L’épilation du SIF

Medor33-6

L’épilation du SIF (sillon interfessier), c’est le défrichage de la région anale, une tendance des années 90 qui continue de gagner du terrain. Caroline travaille depuis sept ans comme esthéticienne et, depuis sept ans, elle épile des contours d’anus.

Je la vois du coin de l’œil, tremper sa spatule dans la cire fondue, enrouler le tout comme du miel fondant. « Voilà, faut bien écarter. » Je suis en position SIF : nombril collé à la table, la joue droite écrasée et les fesses écartées. L’esthéticienne étale la mixture collante, je serre les dents. « Vous avez passé de belles vacances ? » Pas le temps de répondre, en trois coups, c’est fini. « Je vous laisse vous rhabiller et vous pouvez me rejoindre à la caisse. »

Je remets ma culotte, du talc entre les fesses, je viens de me faire épiler le SIF et le pubis par la même occasion. « Vous souhaitez une carte de fidélité ? » Ses collègues me sourient, vêtues d’une blouse blanche avec l’insigne de leur chaîne, Yves Rocher. Leur look médical apaise la gêne de s’être ainsi exposée.

« On en voit tout le temps, c’est comme aller chez le médecin », me rassure Caroline, amie de secondaire devenue esthéticienne. Déformation professionnelle oblige, elle me demande : « Elle t’a épilée comment ? Ah oui, je fais pareil… Sur le ventre, c’est moins impressionnant qu’à quatre pattes. Parfois, je demande aussi à la cliente de se mettre sur le dos et de relever les jambes, puis je la retourne pour vérifier que tout soit net. »

À la chaîne

Malgré ses trois années d’études à l’EFP (centre de formation en alternance) à Bruxelles, Caroline n’a pas appris à épiler intégralement la région du maillot. « Sûrement à cause de l’inconfort que ça pourrait créer avec les profs et le reste de la classe. Je me suis entraînée sur mes copines, avant de tenter progressivement sur les clientes, quand j’étais en stage. »

La zone est pourtant délicate et très demandée. Selon une étude réalisée en 2021 par l’IFOP (entreprise de sondages d’opinion et d’études marketing en France), un quart des Françaises s’épilent le maillot intégralement. Une pratique en nette progression (+10 points en moyenne par rapport à 2013) qui inclut la raie des fesses – sauf si la cliente refuse qu’on y touche. « Ça arrive aussi qu’une cliente prenne uniquement rendez-vous pour le SIF », souligne Caroline. Dans tous les cas, selon cette même étude, 33 % des Françaises se sont épilé le sillon interfessier au cours des trois derniers mois.

Caroline se rappelle son baptême du feu, en 2018, en plein stage dans une chaîne d’instituts de beauté qui fonctionnent sans rendez-vous. Ce jour-là, c’est elle qui doit faire l’ouverture du salon, avec une autre étudiante uniquement habilitée pour les jambes et les aisselles. Caroline est seule pour effectuer les maillots. Les clientes s’enchaînent, la supplient de les intercaler last minute. C’est sa première Saint-Valentin en tant qu’esthéticienne… « La folie », résume Caroline.

Blanchir l’anus

L’épilation du SIF remonte aux années 1990-2000. La série « Sex & the City » a notamment donné le coup d’envoi avec la scène de l’épilation intégrale de Carrie Bradshaw. On doit aussi cette mode au porno qui diffuse des parties génitales glabres. Et ça ne s’arrête pas en si bon chemin. Puisque cette pratique révèle la pigmentation naturelle des muqueuses, une nouvelle offre apparaît : le blanchiment vulvo-anal. Plus connu sous le nom anglais : anal bleaching. Ou juste bleaching, pour ceux qui savent. Cette pratique se réalise « à la maison », avec des produits décolorants qui se trouvent sur internet. Ou en institut pour plusieurs centaines d’euros. Assez niche comme pratique, quoique popularisée par des actrices X et d’autres stars, Kourtney Kardashian en tête.

Tout ça, ça coûte en temps et en argent. Une épilation du maillot intégrale – SIF compris – revient en moyenne à 30 € pour Bruxelles. La journaliste française Lucile Quillet s’est posé la question du coût des relations hétérosexuelles pour les femmes. Dans son livre Le prix à payer, elle estime qu’une femme dépense en moyenne 20 000 € pour les séances d’épilation au cours d’une vie, cela en calculant qu’une épilation classique revient à 60 € par mois et que les femmes s’épilent pendant une trentaine d’années.

Un véritable mythe de Sisyphe, puisque les poils… ça repousse. Dans les années 70, des féministes qualifiaient déjà l’épilation de « troisième emploi », après le travail et les corvées domestiques.

Retour de poil

« On ne rasera ni les murs ni nos chattes », peut-on lire aujourd’hui sur les murs des villes ou sur des pancartes en manif. Le message est clair, l’acte de ne pas toucher à ses poils devient une forme de résistance.

La pratique du « No Shave » (pas de rasage) a doublé en huit ans (28 % en 2021 contre 15 % en 2013). Les confinements successifs ont même donné un coup de pouce au mouvement. L’occasion de se réapproprier son corps. « Une telle évolution est sans doute à lier au fait que le confinement a réduit les interactions sociales et les contacts physiques. En cela, il a desserré la contrainte que le regard des autres fait peser habituellement sur l’image de soi au point d’atténuer la crainte d’être stigmatisé par ses pairs pour “négligence” dans son apparence », rapporte l’IFOP.

Le poil fait donc son comeback – selon les chiffres pris au lendemain des confinements – sauf… au niveau du maillot. L’épilation du maillot intégral (avec le SIF, donc) continue d’augmenter et touche même un profil plus large de femmes, « notamment chez les quadragénaires (+20 points) mais aussi dans les catégories populaires (+22 points chez les ouvrières) et chez les femmes en couple (+14 points) ».

Caroline espère toujours que ses clientes prennent rendez-vous pour elles-mêmes : « Certaines me disent que c’est pour l’hygiène, le confort ou l’esthétique. J’espère que ce n’est pas pour leur copain ou leur mari. Mais je vois des clientes qui se sentent obligées. Si c’est une torture, faut pas toucher au maillot ou juste les côtés ! »

Près d’un tiers des hommes préfèrent l’épilation totale des poils pubiens chez les femmes, alors qu’un quart des Françaises pratiquent l’épilation intégrale, selon cette même étude de l’IFOP. Les sexes féminins sont encore valorisés complètement lisses. Les poils ne sont pas qu’une affaire d’esthétique, ils sont politiques. Et dans cette histoire, le SIF, c’est un diktat.

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