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Le monde est stone

Lithothérapie

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Vica Pacheco. Tous droits réservés.

La lithothérapie travaille avec le pouvoir des pierres. Foutaises ? Non, formation dans un organisme d’intérêt public wallon (IFAPME).

Les minéraux trembleraient de nous dire des choses. Si la science n’a encore jamais pu prouver l’existence de cette vie minérale intérieure, les adeptes de la lithothérapie y croient dur comme pierre. La lithothérapie se revendique comme un type de médecine non conventionnelle basée sur les ondes émises par les minéraux. Leurs vibrations auraient des vertus thérapeutiques pour soigner diverses maladies. Aucune étude scientifique n’a toutefois permis de valider le constat, ce qui range la lithothérapie sur l’étagère des « pseudo-sciences ».

Corentin Caudron est chercheur et géologue. Il est de plus en plus sollicité à propos de la lithothérapie. « Les pierres peuvent vibrer, de manière complètement imperceptible, quand elles sont soumises à des sollicitations extérieures comme les variations de température par exemple. Mais, à notre connaissance, aucune recherche n’a à ce jour lié ces vibrations avec de quelconques bienfaits pour la santé. Même si le chamanisme travaille sur le sujet, ouvre peut-être des perspectives, mais avant tout sur l’effet placebo, aucune interaction entre une pierre et un être vivant n’a été prouvée. »

Ce désaveu n’empêche pas le centre liégeois de l’Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et petites et moyennes entreprises (IFAPME) de proposer une formation en lithothérapie.

L’IFAPME est un organisme d’intérêt public constitué de sept centres de formation répartis sur 24 sites, en Région wallonne. Chaque année, 18 000 apprenants suivent 218 formations (chef d’entreprise, boulanger, maçon…) à des métiers différents. Les centres touchent des subventions à hauteur de neuf millions d’euros. Les formations continues (à savoir de courte durée et à l’initiative d’un centre), quant à elles, touchent plus de 23 000 personnes. Elles sont proposées par les centres IFAPME (qui ont le statut d’asbl) et ne relèvent pas de la responsabilité de l’Institut. Elles sont non subventionnées. C’est le cas de l’initiation à la lithothérapie, qui coûte 108 euros par session (au nombre de deux) aux participants.

Selon le centre de formation de Liège, ce double module de formation permettra de trouver sa pierre, de la recharger, de capter (en module 2) ses émotions et de communiquer avec les cristaux. Bref, de trouver « un nouveau compagnon de route sur son chemin de vie ».

Contacté par Médor, l’IFAPME explique l’existence de cette formation par « une forte demande du public et des professions liées au bien-être ». Heureux de pouvoir trouver un nouveau compagnon de route, je m’y inscris.

La pierre le prend mal

17 octobre 2022. J’arrive au centre IFAPME de Liège, à dix minutes de la gare des Guillemins. J’entre dans une classe où les bancs forment un U. Et dans ce U, Clara (les prénoms ont été modifiés), une table et quelques jolies pierres. Une partie d’entre elles ont été achetées par l’IFAPME, explique l’animatrice.

Clara est une femme de 38 ans. Petite et souriante, jeans bariolé et baskets noires. Elle a une formation d’esthéticienne, s’est spécialisée dans le massage et propose depuis quelques années des formations en lithothérapie et autres médecines parallèles. Peu après celles-ci, elle donnera en privé une formation « protection, purification et passage d’âme » (deux jours et 320 euros/ personne).

Derrière les bancs se calent sept participants, dont six femmes ; l’homme, c’est moi. Elles ont toutes au poignet un bracelet de pierres. La plus jeune d’entre elles sort d’une formation de bijouterie et donne des cours de coaching en bien-être. Sylvie est assistante sociale, Monique, technicienne de surface, Carine, créatrice de bijoux, Paule, secrétaire médicale.

Clara ouvre la formation (« quasi toujours pleine », précise-t-elle) avec un prérequis : « La lithothérapie, c’est une façon de travailler et d’y croire. » Dans le tour de table, j’explique que je suis dans la communication et que je ne connais pas grand-chose aux pierres. Je m’excuse à l’avance pour les questions basiques que je poserai.

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Vica Pacheco. Tous droits réservés

Pour expliquer le ressenti des pierres, Clara part d’une métaphore en me prenant à témoin : « Imagine que tu as fait une méga-bringue ce week-end, que t’as pas réussi à te réveiller, à te laver, tu te sens comment ? » Je lui réponds : « Ah, vous êtes voyante aussi ? », et elle rit. Ça tombe bien, car c’était pour rire. Je n’avais pas du tout fait la fête ce week-end-là. Mais Clara reviendra plusieurs fois avec cet exemple comme preuve de son ultra-sensibilité, qui lui permet de deviner les choses.

Elle poursuit. Des pierres peuvent se sentir sales, ont vécu des choses plus traumatisantes que d’autres. Elles se chargent de l’énergie des personnes. « Si on se moque d’une pierre dans un magasin, si on dit qu’elle est moche, comment crois-tu qu’elle va se sentir ? » Mal.

Savoir ancestral récent

On devise sur les améthystes qui favorisent le rêve, le sommeil. Sur le quartz rose qui peut être confié aux enfants. On évoque les géodes, une roche qui une fois ouverte laisse découvrir de superbes minéraux tapis dans sa cavité. Mais parfois la pierre résiste et la géode ne s’ouvre pas. « Il faut alors demander des pierres qui veulent bien s’ouvrir », explique Clara. Question naïve (première d’une longue série) : « Mais demander à qui ? » Elle lève les yeux au ciel et brandit un bras, « là, à qui tu veux ».

On voit la forme des pierres (s’il y a une pointe, l’énergie est condensée et on peut l’envoyer ou retirer quelque chose, un peu comme un laser), la taille (plus la pierre est petite, plus l’énergie est concentrée, plus le travail va vite), la reprogrammation (les pierres peuvent recevoir un rôle et on peut les dé- et reprogrammer, comme une TV).

Qu’est-ce qui a déterminé le pouvoir de chaque pierre ? C’est Paule qui pose la question. C’est la plus scientifique du groupe : « On sait que c’est écrit, on recopie, mais d’où vient le savoir ? » Bien vu. Si les pierres ont des millions d’années, leur science a un peu moins de recul puisque Clara avance le nom de contemporains, l’auteur et lithothérapeute Reynald Boschiero ou Regina Martino. Cette dernière est lithothérapeute-bioénergéticienne-géobiologue-autrice-formatrice-ellevendaussidespierresdanssaboutique.

Mains dans l’eau

Sur le temps de midi, le groupe file à la cantine et avale un sandwich offert par la formation. On revient dans le local pour un café. Des livres, dont Litho pour enfants et ados, sont déposés sur une table. L’ouvrage évoque quelques usages de pierres pour prévenir le suicide, accompagner la dyslexie, l’asthme, le cancer pédiatrique, les crampes menstruelles, la cyberdépendance ou les ondes magnétiques.

Profitant de la pause, les élèves posent quelques questions pratiques. Le bracelet des sept chakras, ça vaut quoi ? Faut traiter problème par problème, avance Clara. Et le bracelet du chemin ? Via un site, on indique prénom, date de naissance, identité du père et de la mère, et quelques jours plus tard arrive un bracelet personnalisé.

(Paule) Cela amène quoi ?

(Monique) Je ne sais pas. Chaque pierre peut aider à avancer. Bon, c’est pas donné. 45 euros.

(Paule) Ça fonctionne ?
(Monique) J’en sais rien. Je ne le mets pas tout le temps. À cause de mon travail où j’ai les mains dans l’eau.

Le cours reprend. Je demande si le pouvoir d’une pierre n’est pas altéré une fois qu’elle est polie, que sa forme est modifiée. « Dans ma croyance à moi, tu peux davantage bosser avec des pierres brutes », répond Clara.

(Moi) On est dans l’interprétation, alors ?

(Clara) Oui, mais avec un côté scientifique.

La formatrice évoque l’histoire des 13 crânes de cristal maya, treize crânes dispersés à travers le monde et qui une fois réunis révéleraient le secret de la vie. Le « syllabus » que Clara nous a remis mentionne que « cette légende a l’air de sortir tout droit d’un bon vieil Indiana Jones et pourtant. Bien que la polémique fasse rage sur l’affaire des 13 crânes de cristal, je reste intimement persuadée que cette forme n’est pas apparue par hasard sur notre terre ». Clara confirme aux étudiantes : « Cela n’a pas été créé par la main humaine. Ce n’est pas possible. On ne sait pas d’où ils viennent. »

Connecté à ses pierres

Clara avance ensuite quelques notions « plus scientifiques » de la lithothérapie. Tout ce qui est à angle agripperait ainsi les ondes négatives. Il n’y a pas que les formes à prendre en compte, mais également les couleurs. Le principe n’est pas très difficile. Prenez une idée reçue sur la couleur et accolez-lui une vertu. Le vert (printemps) incarne le renouveau. Le jaune développe des propriétés liées à la lumière et la chaleur. Le rouge dynamise, et le bleu, donc, apaise. Mais attention, il ne supprime pas les tumeurs. « Aujourd’hui, on ne sait pas encore soigner le cancer avec la lithothérapie », confirme Clara. Le quartz rose, évidemment, est bienvenu chez les enfants.

Clara en vient à l’entretien des pierres. Nettoyage et rechargement (oui, une pierre se recharge). Elle raconte que lors d’un séjour en Allemagne, une grosse pierre de quartz fumé était posée dans un coin de couloir de l’hôtel. Elle était à ce point gorgée d’ondes négatives que les gens s’écartaient. Alors Clara l’a nettoyée.

(Moi) Comment ?

(Elle) Par intention, en faisant appel à des forces supérieures avec lesquelles je suis en connexion.

Pour les personnes moins connectées, le nettoyage peut s’opérer aussi par visualisation. « Par visualisation ? » Si j’ai bien compris, on fait couler un filet d’eau, puis on met la pierre, non pas sous, mais à côté de l’eau. Et on imagine que la pierre est lavée.

Il y a également la purification à la sauge. Clara rapporte le témoignage d’un couple dont le mec se moquait de cette purification. « Les dégâts ont été assez importants. » Vacances annulées, soucis dans l’appartement, etc. Ils ont dû demander pardon.

Côté « purification », la coquille Saint-Jacques permet, de par sa forme et la convention, de bloquer les ondes des pierres. Elle purifie également. Mais si on met sa pierre au soleil ET dans une coquille Saint-Jacques, la pierre se recharge-t-elle ? (Je n’en reviens quand même pas du stade complexe de questions que l’on atteint.) Réponse de Clara, c’est double effet : purification et rechargement. Petit détail, la base doit être au nord. Mais à quel rythme faut-il recharger ses minéraux ? « Tu vas le savoir en étant connecté à tes pierres. »

Il est 15 h 30, Clara nous remet deux formulaires : l’un évalue la formation et l’autre la professeure. Les sept personnes les remplissent et les remettent à Clara. Je ne veux pas jouer au médium, mais j’imagine qu’elle a dû rassembler des notes proches de 10/10, compte tenu de l’absence d’anonymat…

La relève assurée

Je sors de cette journée de formation un brin sceptique. Il y a une double rhétorique. Un premier propos qui désamorce totalement l’aspect scientifique des choses. Il s’agit d’intention, il faut y croire. En bref, c’est une formation basée sur une conviction ou une superstition. Ensuite, la « formation » enrobe le propos d’un galimatias scientifique, avec des faits parfois très précis.

Faute de réels enjeux scientifiques, peu d’études se penchent sur la lithothérapie. En 2005, une thèse sur le sujet concluait que « la lithothérapie du new age telle qu’elle est pratiquée n’est basée sur aucun fondement scientifique. Les données sont recopiées d’un ouvrage sur l’autre et les nouveaux apports sont très liés aux évolutions du marché des minéraux ».

Chacun a le droit de croire en des dimensions mystiques, des choses inexplicables. Ce n’est pas cela qui est mis en question. Plutôt le fait de transformer ces énigmes ou superstitions en formations données par un organisme public important pour la mise à l’emploi en Wallonie. Sollicité par Médor, le cabinet du ministre wallon compétent, le libéral Willy Borsus, précise que le prochain contrat de gestion de l’IFAPME (signé en décembre) réintégrera le suivi des formations continues organisées par les centres (ce qui n’était pas le cas dans le contrat de gestion 2017-2022).

L’IFAPME, de son côté, se défend. La professeure (qui n’a pas souhaité répondre à nos questions) « reçoit, périodiquement, la visite d’une conseillère pédagogique IFAPME ». Et, courage fuyons, cette formation sur le pouvoir des pierres aurait été organisée « pour la première fois cette année ». Des traces de formations précédentes (via les catalogues et sur les réseaux sociaux) remontent pourtant à novembre 2019. Des cours de lithothérapie ont encore été annoncés en novembre 2020 et en mars 2021.

Mais, peu importe, l’IFAPME annule la formation en 2023 ! Officiellement, rien à voir avec les questions de Médor. Raison invoquée : la volonté de se tourner vers « d’autres secteurs plus porteurs ». La décision est étonnante : le cours est encore mentionné dans le programme 2023, avec des dates fixées jusqu’en juin. Elles n’auront donc pas lieu. Mais que les aficionados de savoirs ésotériques ne se détournent pas. Le même programme 2023 annonce une grande nouveauté : le « soin cristal’âme » qui apaise un mental « trop invasif et des blessures du passé », tout ça en dépassant les blocages inscrits dans vos cellules. 216 euros. Inscriptions à l’IFAPME de Liège.

RELAIS PRESSE

Olivier Bailly a raconté le contenu de son enquête et de la formation en lithothérapie sur les ondes de Radio Campus Bruxelles. A réentendre ci-dessous à partir de 53 :54.

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  1. Depuis une quinzaine d’années, l’hypothèse la plus vraisemblable est celle d’une arnaque montée au XIXe siècle, cfr la recherche « The Man Who Invented Aztec Crystal Skulls ».

  2. L’auteur de cet article demande d’avance pardon à la sauge.

  3. P.-Y. Boudard, Université de Nantes, 2005.

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