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Castagne dans les bosquets

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Sebastian Steveniers. Tous droits réservés.

En Flandre, des supporters de foot se rencontrent sous la canopée. Leur activité : se battre. Le photographe Sebastian Steveniers a documenté ce hooliganisme pendant deux ans avant de se faire arrêter et jeter en prison. Médor publie ses rares photos sauvées. Rendez-vous en terrain ganté, entre baston et amitié virile.

Juin 2016. La nuit est déjà tombée sur un parking batave proche de la frontière. À la faveur de l’obscurité, une poignée de supporters de l’Antwerp et de Tilburg, unis pour l’occasion, se rassemblent et pénètrent dans le bois à proximité. Quelques minutes plus tard, ils font face à leurs adversaires. En un battement de cils, ils se ruent les uns sur les autres. Des corps et des ombres volent. Quelques coups de flash plus tard, la coalition Antwerp-Tilburg est déclarée vainqueur et les adversaires s’évanouissent dans les bosquets. Sebastian Steveniers vient d’assister à sa première bosfight. « Mais pourquoi ces hommes se battent-ils ? »

Loin des petites échauffourées entre supporters, ces bagarres organisées entre hooligans ont pris de l’ampleur dans toute l’Europe ces dernières années. Les règles – respectées en théorie – sont simples : un nombre de combattants égal, pas d’armes, pas de coups au sol. Tous les participants portent des gants. Casques et protège-dents sont en option. Le combat prend fin quand l’un des deux groupes est à terre ou capitule. À la fin, on se serre la pince, comme les gentlemen sur la pelouse.

Ces fightclubs forestiers existent depuis plusieurs années, mais jamais des images n’étaient sorties des cercles d’initiés. Le photographe Sebastian Steveniers, supporter de longue date du Royal Antwerp Football Club, a infiltré un groupe et obtenu un accès inédit à ces joutes.

Pendant plusieurs mois, il suit les matchs avec les ultras, fréquente leurs cafés et gagne leur confiance. Le noyau dur accède finalement à sa demande. Sebastian est autorisé à photographier un combat : « Je n’avais jamais vécu une telle expérience. C’était chaotique, instable, prenant. À première vue, c’est violent, mais en même temps rassurant parce que rien n’est fait avec une intention de nuire, mais seulement pour le sport et l’exutoire. La plupart des batailles sont très courtes, généralement moins d’une minute », raconte le photographe. Leur motivation ? Selon Sebastian, il s’agit avant tout de défendre les couleurs du club, se battre pour l’honneur, la camaraderie et le fun. Et pour le sentiment d’appartenance à un groupe.

Violence maîtrisée

Un des pionniers de la sociologie du sport, Eric Dunning, explique dans son ouvrage Sport et civilisation. La violence maîtrisée : « Avec la religion et la guerre, les sports constituent le meilleur vecteur de mobilisation collective. Ils restent l’espace où s’entremêlent des fonctions de représentation, d’identification et de simulation émotionnelle. »

Violence et football coexistent depuis le début des compétitions sportives. Dans son « étude sur le supportérisme », réalisée pour le SPF Intérieur, Bertrand Fincœur, chercheur au Service de criminologie de l’Université de Liège, étudie le phénomène depuis son commencement, au début du XXe siècle. Selon lui, les freefights organisées en marge des matchs ne sont pas des irruptions de violence spontanée. Elles s’inscrivent dans la longue histoire de l’hooliganisme européen, qui prend un tournant dans les années 60.

La Belgique fut témoin, malgré elle, de la brutale évolution du hooliganisme lors du drame du Heysel en mai 1985. Depuis lors, l’encadrement policier des stades a radicalement évolué, notamment avec la loi Football (votée en 1998), qui a fait fondre le phénomène et obligé les ultras à se réfugier dans les bois.

Ces dernières années, la Belgique a misé sur la prévention et une relative tolérance de ces manifestations. Anastassia Tsoukala, criminologue, s’est penchée sur la gestion policière du hooliganisme sur le continent et résume l’équation policière : « Vu que les racines du phénomène sont socio-économiques, politiques et psychologiques, les policiers estiment que tant que les causes génératrices du phénomène continuent à exister, toute tentative d’élimination du hooliganisme par la force pourrait, certes, aboutir à une baisse des incidents, mais conduirait, inévitablement, à l’émergence d’autres formes de violence. »

Mais, pour la cellule foot du SPF Intérieur, cette politique de tolérance a trop duré. Il semble que le mot d’ordre soit désormais la tolérance zéro. Les 65 arrestations en avril 2018 dans la région d’Anvers en témoignent.

Descente de police

Anvers, 15 avril 2018. À une semaine en amont du derby Beerschot-Antwerp, Sebastian Steveniers est tiré de son lit à 5 heures du matin. Une série de bruits sourds suivis d’un « POLITIE » retentissent dans la maison. Une dizaine d’agents cagoulés apparaissent armes aux poings dans sa chambre, venant cueillir le photographe dans son sommeil. Les yeux bandés et les mains menottées, il se fait embarquer par les unités spéciales.

Accusé d’être un meneur d’association de criminels, de coups et blessures volontaires, il est incarcéré pendant trois semaines et son matériel est saisi par le parquet d’Anvers. Deux années de travail et des milliers d’images sont confisquées. Il a réussi à récupérer quelques fragments, que Médor présente aujourd’hui. En attente de son procès, prévu pour septembre 2020 à l’issue duquel il risque gros, Sebastian n’est plus retourné dans les bois.

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