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L’éternel suspect

Le mystère Farouk Ben Abbes

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Charlotte Pollet. CC BY-NC-ND.

Enquête sur un Belge insaisissable, au cœur des attentats du Caire et de Paris. Sa traque ratée raconte la difficile lutte contre un djihadisme mondialisé et sans frontières.

Un maillot de football en guise de chemise. C’est ainsi vêtu que Farouk Ben Abbes comparaît devant le tribunal correctionnel de Toulouse ce 21 mars 2016. Âgé de 30 ans, ce ressortissant belge écope de trois mois ferme et retourne à la case prison. Ben Abbes doit cette première condamnation à la violation de son assignation à résidence.

Cette mesure, qui restreint la liberté de mouvement et permet à la police de garder à l’œil un individu, a été décidée dans le cadre de l’état d’urgence, instauré en France après les plus graves attentats qui aient jamais frappé le pays : 130 morts, 351 blessés dans la nuit du 13 novembre 2015. Ben Abbes avait l’obligation de ne pas quitter Toulouse, où il réside avec sa compagne, mais a été repéré en dehors de la ville à trois reprises et interpellé le 17 mars.

Souvent inquiété par la justice, arrêté et auditionné par la police bruxelloise, incarcéré 11 mois en Égypte, plus d’un an en France, l’homme, ses convictions, son parcours étaient, jusqu’alors, bien méconnus de l’opinion. En revanche, police et justice, belges comme françaises, en savent long sur cette « vieille connaissance ».

Il fut mis en cause dans un attentat perpétré au Caire le 22 février 2009, visant un groupe de lycéens français et dans lequel Cécile Vannier, 17 ans, a perdu la vie. Ben Abbes fut encore inculpé et emprisonné en France pour un projet d’attentat contre le Bataclan, avant de bénéficier d’un non-lieu en 2012. Il est le dénominateur commun entre ces deux dossiers. Et des liens avérés existent entre ceux-ci et les massacres parisiens du 13 novembre : une même cible, la salle de spectacle parisienne, de mêmes protagonistes, activistes djihadistes dûment identifiés, de mêmes motivations.

Ce faisceau convergent fait dire aujourd’hui à l’avocat Olivier Morice, qui représente les parents de Cécile Vannier ainsi que 26 familles de victimes des massacres parisiens : « C’est un même réseau qui a frappé l’Égypte en 2009 et l’Europe ces derniers mois, Paris et Bruxelles. » Mais le 22 mars dernier, la condamnation de Ben Abbes relève de l’anecdote judiciaire. Car, au matin, la fureur terroriste se déchaîne à Bruxelles, ensanglantant l’aéroport et le métro, 32 morts. Exit, donc, Farouk Ben Abbes, qui retombe dans l’oubli.

Un Ucclois radicalisé

Il n’en reste pas moins que son parcours et ce qu’en savaient, de longue date, police et justice franco-belges mettent en lumière de complexes enquêtes antiterroristes, parfois parsemées de ratés, qui prennent aujourd’hui un relief glaçant.

Farouk Ben Abbes est né le 18 août 1985 à Uccle dans une famille d’origine tunisienne. Naturalisé Belge en 1989, il a deux sœurs cadettes et un frère aîné, Jihad. À ses 20 ans, il quitte le domicile familial bruxellois. Il racontera, plus tard, avoir alors découvert l’islam rigoriste seul, via Internet. Ses fréquentations, elles, dénotent une affinité avec les milieux radicaux. Il côtoie ainsi assidûment un dénommé Mahdi Maaroufi, un ami chez lequel il réside à Bruxelles, connu pour son engagement salafiste. Le nom de Ben Abbes va apparaître sur les écrans radars des enquêteurs de l’antiterrorisme à ses 21 ans. En mai 2006, une équipe commune d’enquête entre la France et la Belgique est mise en place concernant « l’existence d’une possible filière d’acheminement de volontaires désireux de combattre les forces coalisées en Irak. Cette filière trouvait son origine à Toulouse et transitait par la Belgique ».

Il s’agit là des prémices du dossier dit « Artigat », du nom de cette champêtre localité ariégeoise où réside, encore aujourd’hui, Olivier Corel. Arrivé en France depuis sa Syrie natale en 1973 et naturalisé dix ans plus tard, de son vrai nom Abdel Ilat Al-Dandachi, l’homme est désormais plus connu par son surnom, « l’Émir blanc ». Mentor d’un réseau salafiste, Corel aime disserter, enseigner sa conception de la philosophie coranique et sa mise en pratique. Au fil des années, il s’est livré à cet exercice intellectuel avec le ban et l’arrière-ban de ceux qui sont devenus des célébrités du djihadisme sanguinaire.

Le monde est petit, et plus encore celui des islamistes fanatisés. Ainsi, parmi eux Fabien Clain et son frère Jean-Michel, qui ont revendiqué les massacres du 13 novembre 2015 au nom de l’État islamique, l’assassin de militaires et d’enfants juifs, Mohamed Merah, ou encore son demi-frère par alliance, Sabri Essid. Celui-ci s’est illustré en mars 2015 dans une vidéo macabre où, au côté de son jeune fils, il exécute en Syrie un homme agenouillé, présenté comme un « agent du Mossad », les services secrets israéliens.

Côté belge, dix individus apparaissent dans l’enquête sur la « filière Artigat », dont Farouk Ben Abbes et Mahdi Maaroufi. Ainsi qu’ils le reconnaîtront tous les trois, c’est Maaroufi qui a présenté Farouk Ben Abbes à Fabien Clain. Le Français séjournait régulièrement en Belgique dès 2003 et avait été identifié par la Sécurité d’État comme membre d’un « groupe d’islamistes radicaux ». Plus tard, Clain s’installera un an dans la commune d’Anderlecht, rue Moretus. Maaroufi résidait au numéro 4 de cette même rue.

Le 16 février 2007, les policiers tambourinent à sa porte et effectuent une descente.

Ce jour-là, dès potron-minet, un coup de filet coordonné vise à arrêter les protagonistes du réseau de recrutement de djihadistes destinés au front irakien. Surprise : les enquêteurs tombent sur Farouk Ben Abbes, alors hébergé par Maaroufi. « Nous pouvons qualifier Maaroufi Mahdi comme étant un salafiste djihadiste. Cette personne, qui ne prendra pas part à des actions parce que trop peureuse (selon ses dires), les soutiendra à tout le moins, écrivent les enquêteurs bruxellois. Maaroufi Mahdi a reconnu qu’à une époque il soutenait les attentats où qu’ils soient commis, ainsi que le combat armé en terre occupée. » Les deux amis sont interpellés, interrogés, puis relâchés. Mais ils sont placés sous étroite surveillance et sur écoute.

AMBIANCE FAMILLE-JE-VOUS-HAIS

Un mois plus tard, le 20 mars 2007, trois agents de la police judiciaire fédérale de Bruxelles rédigent un rapport de synthèse. Six pages qui éclairent quant au profil de Ben Abbes. Il ressort des interceptions téléphoniques que Farouk entretient alors des relations complexes et surtout conflictuelles avec son père, Tahar. Professeur de religion musulmane dans l’enseignement primaire, le paternel semble peu apprécier les convictions salafistes et l’engagement radical de son fils. En témoigne une conversation houleuse écoutée par la police belge le 15 mars 2007 et ainsi résumée : Tahar « critique la façon dont Ben Abbes Farouk conçoit l’islam. Il lui fait un rappel des principes de l’islam et lui ordonne de revenir dormir à la maison sous peine de le dénoncer à la police. Son père, Ben Abbes Tahar, se fâche sur Farouk et dit : “J’irai dans toutes les mosquées de Bruxelles, comme ça tu n’iras plus, alors envoie-moi tes amis pour me couper le chemin. T’as entendu. Je dénoncerai, toi et tes amis barbus, là où vous priez,…” Ben Abbes Tahar ajoute qu’il n’a pas peur de représailles éventuelles ».

TOUT AVALER

Ambiance Famille-je-vous-hais. Nouvel échange père-fils deux heures plus tard, le ton continue de monter : « Ben Abbes Tahar ordonne une nouvelle fois à son fils Farouk de revenir à la maison immédiatement. Il lui signale qu’il va commettre l’irréparable et parle notamment “des amis” de son fils, dont “Mehdi”. En réponse à son fils, qui lui reproche sa vision de l’islam (NDLR : “de vendre sa foi”), Ben Abbes Tahar réplique en signalant que cela fait 25 ans qu’il n’est pas rentré en Tunisie à cause justement de sa religion », synthétisent les agents belges.

Deux jours plus tard, c’est une discussion entre Maaroufi et un de ses amis, Mahamed Sarr, qui alerte les grandes oreilles. Il y est « question du mariage de Farouk (NDLR : probablement le nommé Ben Abbes Farouk) avec “une sœur de 16 ans”, “de Belgique”, “qui a une croyance solide”. Maaroufi Mahdi explique “qu’elle a un âge propice”, “qu’il y a moyen de lui faire tout avaler” ». Le rapport mentionne encore que Ben Abbes « manifeste son souhait de suivre une formation en chimie afin de pouvoir faire des “enroulés chimiques” », qu’il a « obtenu deux numéros de téléphone saoudiens » via un dénommé Tarik Bakkali qui, lui, « a déjà fait l’objet d’une condamnation pour des faits liés au terrorisme ». Ben Abbes a enfin effectué un séjour en Arabie saoudite en 2006, où résident son oncle et sa tante, pour suivre des cours au sein de l’université islamique de Médine mais son inscription a été refusée par manque de place pour les étrangers. « Les arrestations effectuées à ce jour dans le présent dossier, tant en France qu’en Belgique, ont permis de mettre en évidence le volet saoudien de l’enquête » sur la filière djihadiste, précisent les enquêteurs. De cet ensemble d’éléments découlent des « conclusions » rédigées dans un inimitable style policier : « Les agissements du nommé Ben Abbes Farouk nous paraissent inquiétants dans le cadre des faits nous occupant. »

Farouk a certes déserté le domicile familial, mais il restera toujours en contact avec ses parents et sa fratrie. À l’été 2007, il décide de partir pour l’Égypte afin, dit-il, d’y apprendre l’arabe. Mahdi Maaroufi est du voyage. Et, au Caire, Ben Abbes retrouve ses amis les frères Clain.

Voyage « humanitaire » à Gaza

Tous trois confirmeront par la suite devant les enquêteurs français se côtoyer, resserrant leurs liens amicaux, partageant leur quotidien, leurs convictions et leurs repas. C’est au cours d’un de ces dîners, en décembre 2007, que le destin de Ben Abbes semble basculer : « Nous étions au restaurant le soir, avec mon frère, Farouk, Farid et Youssef. Nous mangions un kochari, racontera Jean-Michel Clain à la police en 2011. Alors qu’ils se partagent ce plat de riz, de pâtes et de lentilles brunes, la télévision diffuse un reportage sur Gaza : « Nous nous sommes mis à commenter l’actualité ; Farid et Farouk se sont mutuellement motivés pour aller aider les Palestiniens. Ils voulaient faire de l’humanitaire ». Ben Abbes rejoint en effet le territoire placé sous la coupe politique et militaire du Hamas en 2008.

AU BOUT DU TUNNEL

Cette étape, cruciale, fait l’objet de versions radicalement opposées. Ben Abbes reconnaîtra certes, plus tard, avoir fréquenté des chefs islamistes, mais niera toujours avec constance avoir reçu une formation militaire et s’être engagé dans un mouvement aux velléités terroristes.

Alors qu’il rentre clandestinement en Égypte via un tunnel depuis Gaza, il n’en est pas moins appréhendé le 3 avril 2009 par les services de sécurité. Incarcéré, il est accusé d’être impliqué dans l’attentat du Caire perpétré le 22 février 2009, dans lequel la jeune Française Cécile Vannier a perdu la vie. Cet attentat a été commandité et organisé depuis Gaza par l’Armée de l’Islam, un groupe qui revendique son affiliation à al-Qaïda. Là encore, Ben Abbes nie en avoir fait partie. Une Française d’origine albanaise, Dude Hoxha, est interpellée dans la même affaire, accusée d’avoir convoyé des fonds ayant servi à la préparation de l’attentat.

Alors que Ben Abbes est incarcéré au Caire, les policiers égyptiens alertent leurs confrères français, dès mai 2009, d’un projet d’attentat contre le Bataclan que le Belge leur aurait avoué vouloir perpétrer. Avec constance, Ben Abbes niera et affirmera « avoir dit oui à tout » sous la torture dont il dit avoir été victime de la part de policiers égyptiens. Motif, écrit la Direction centrale du renseignement intérieur, « selon [Ben Abbes], le choix s’est porté sur ce lieu en raison de manifestations de soutien et de collectes de fonds réalisées au profit de la communauté juive ». La famille Laloux, alors propriétaire de la salle, est de confession juive et des soirées y ont été organisées en soutien au Magav, la police aux frontières israéliennes. Les menaces sont suffisamment graves et précises pour que la justice française ouvre une enquête. Dès le 28 mai 2009, un « accord pour la création d’une équipe commune franco-belge » est conclu entre le procureur de la République française Jean-Claude Marin et le procureur fédéral bruxellois Johan Delmulle. Ce document de dix pages fixe en détail la coopération entre les deux pays concernant Ben Abbes. La juge belge Isabelle Panou suivra le dossier avec son confrère parisien Christophe Teissier. Tout est prévu : les échanges d’informations, la constitution d’équipes policières, jusqu’aux règles de port d’arme des agents français qui pourraient intervenir sur le territoire belge.

Après 11 mois de détention, les autorités égyptiennes décident, contre toute attente, en mars 2010, de libérer les suspects et d’expulser les étrangers, Hoxha vers la France, Ben Abbes vers la Belgique. À peine débarqué à l’aéroport de Zaventem, il est arrêté par la police dans le cadre du dossier franco-belge ouvert par la juge Panou. « Je vais essayer de vous raconter mon parcours depuis mon départ pour l’Égypte en juillet 2007 », déclare volontiers Ben Abbes au début d’une audition bien plate et qui n’apprendra rien aux enquêteurs. Libre, il reste toutefois placé sous étroite surveillance, comme Dude Hoxha l’est en France.

C’est alors qu’il tente de franchir la frontière, désireux de se rendre à Paris, que Farouk est interpellé mi-juillet 2010.

À ce point, la machine judiciaire va faire montre de sa complexité la plus absconse. Hoxha est mise en examen pour l’attentat du Caire. À ce jour, elle est la seule dans ce cas, libre, placée sous contrôle judiciaire. Ben Abbes, lui, ne sera jamais inquiété dans ce dossier. Il est en revanche mis en examen pour propagande djihadiste sur Internet. Il lui est reproché d’avoir pris une part active au forum Ansar Al-Haqq, prisé des islamistes radicaux, et d’y avoir relayé des revendications d’attentats perpétrés par al-Qaïda. Une autre juge lui reproche, elle, une tentative d’attentat sur le sol français, contre le Bataclan. Ben Abbes bénéficie d’un non-lieu en septembre 2012.

Journal de prison

Fabien Clain, lui, est alors incarcéré, condamné à cinq ans dans le cadre de la filière djihadiste franco-belge. Libéré en 2012, il restera en France jusqu’en mars 2015, soit deux mois après les attentats parisiens contre Charlie Hebdo et l’hypermarché cacher. Échappant aux policiers, il part alors pour la Syrie avec son frère, leurs femmes et enfants. C’est depuis ce sanctuaire de l’État islamique qu’il revendiquera les attentats de novembre 2015.

« Le Bataclan à Paris ? Quelle idée ! »

Les charges contre Ben Abbes semblent s’accumuler. En Égypte, il a été arrêté en possession d’une clé USB contenant des photos, vidéos et modes d’emploi détaillés afin de réaliser des explosifs, de la voiture piégée à la ceinture pour attentat-suicide. Une manipulation des policiers égyptiens qui voulaient le « faire plonger », affirme-t-il. En 2009, trois semaines après l’attentat du Caire, un mail avait été intercepté entre deux chefs d’al-Qaïda et versé au dossier d’instruction : « Pour ce qui est du frère belge qui aspire à l’érudition, la franchise n’est pas non plus pour me déplaire. Demande-lui mot pour mot : est-il prêt à commettre une opération martyre en France ? » Rien d’accablant pour Ben Abbes qui fait remarquer que son nom n’est pas cité et qu’il peut s’agir d’une tierce personne.

Lors de son incarcération au Caire, Hoxha a rédigé son « journal de prison ». En date du 20 janvier 2010, elle y relate une conversation houleuse avec une codétenue, Fatima : « Le Bataclan à Paris, non mais, franchement ! Quelle idée ! Que me répond-elle [Fatima], cette folle ? À votre avis ? Que c’est même pas une terre de djihad ? Que les gens là-bas n’ont rien à voir au conflit israélo-palestinien ? Non ! Elle me dit : “Tu crois que les frères vont viser n’importe quel endroit ? Sûrement que le patron est un juif qui finance l’armée israélienne et que ça ferait un trou dans les caisses”. » Plus loin, elle écrit : « Un jour que je lui dis que si c’est vraiment vrai que Farouk […] avait pour projet de faire exploser le Bataclan, à Paris, alors ils ont raison de le maintenir en prison, que je n’aime pas ces trucs-là. »

Curieusement, ce document, bien que versé aux dossiers d’instruction du Caire comme du projet d’attentat contre la salle de spectacle ne sera à aucun moment évoqué par les policiers ou les juges auprès de Ben Abbes. Celui-ci niera toujours avec constance toute implication.

Si Dude Hoxha maintient, encore aujourd’hui, ses accusations, ainsi que nous l’a confirmé son avocat Me Pascal Garbarini, Ben Abbes, lui, n’en démord pas : cette histoire d’attentat en France et contre le Bataclan a été inventée de toutes pièces par les policiers égyptiens pour, encore, le « faire plonger ».

Devant les enquêteurs belges puis français, il ajoute avoir été torturé durant sa détention au Caire et que tout ce qu’il a pu dire alors est sans valeur, extorqué sous la contrainte. Son avocat, Me William Bourdon, insiste également sur ce point.

Dans ce dossier rapidement clos par un non-lieu, un autre élément ne laisse pas d’étonner. Dès mai 2009, les policiers français établiront que « selon les premiers éléments parvenus à notre service, l’intéressé [Ben Abbes], une fois de retour en Europe, devait entrer en contact avec deux individus surnommés Abou Bilal et Abou Mohamed, afin de préparer un attentat terroriste devant avoir lieu en région parisienne ».

Cible juive

Or, deux enquêteurs de la police judiciaire fédérale à Bruxelles ont rédigé, le 9 octobre 2009, une note de six pages relative à Mahdi Maaroufi. On peut y lire : « Il ressort également que Ben Abbes Farouk avait reçu comme instruction de commettre un attentat sur une cible juive en France. Pour ce faire, il devait retrouver deux individus en Belgique, Abu Bilal et Abu Mohamed, chargés de participer avec lui à la commission de l’attentat. Lors de son interpellation, il était d’ailleurs en possession d’une carte mémoire contenant des fichiers sur la fabrication d’engins explosifs et de systèmes de mise à feu par téléphone ou avec retardateur. »

Suivent des « hypothèses de travail concernant “Abu Mohamed” ». « Nous relevons certaines coïncidences qui mettent en relation le pseudonyme ‘‘Abu Mohamed’’ et “Maaroufi Mahdi”. » Après avoir détaillé ces éléments, les policiers concluent : « Rappelons qu’à ce jour nous n’avons aucun renseignement concernant l’identité de “Abu Bilal’’ et “Abu Mohamed” chargés de participer à la commission de l’attentat sur une cible juive en France. Il ne peut être exclu que Maaroufi Mahdi puisse être en contact avec les précités, voire puisse être le Abu Mohamed dont il est question. » Cette piste capitale portant sur un complice de premier ordre apparaît donc comme précise et étayée, du moins pour les services belges. Car, en France, alors que ce document a bien été versé à l’instruction, les policiers ne l’exploiteront pas. Plus stupéfiant encore, le juge Christophe Teissier, dans son ordonnance de non-lieu rendue en faveur de Ben Abbes le 14 septembre 2012, écrit : « Les investigations menées tant en France qu’en Belgique, où Farouk Ben Abbes ne faisait l’objet d’aucune poursuite, n’ont quant à elles permis de confirmer ni l’existence des surnommés Abou Bilal et Abou Mohamed, susceptibles d’aider Farouk Ben Abbes ni la réalité d’un projet d’attentat sur le territoire national. » Cette affirmation, qui n’est pas plus motivée, est pour le moins étonnante. Car des « investigations menées » en Belgique ont bien mis au jour une piste quant à « l’existence » d’Abu Mohamed et l’hypothèse de son identité, le proche ami de Fabien Clain et de Ben Abbes : Mahdi Maaroufi.

Procédures fragmentées

Aujourd’hui, les procédures restent fragmentées. Une nouvelle coopération policière et judiciaire franco-belge a été mise en place, encore renforcée après les attentats de Bruxelles et les arrestations de Salah Abdeslam puis Mohamed Abrini. Contrairement à ce qui est dit en France, par des élus et des médias, souvent sur un ton insultant et méprisant, il ressort de ce qui précède que les services belges ont fait leur travail. L’intégralité de leurs enquêtes fouillées sur Ben Abbes a été transmise aux juges français.

À Paris, sous la pression des avocats des victimes et des révélations de la presse, la justice semble accélérer. Hoxha a été entendue par la juge en début mars. Elle devrait l’être de nouveau tout comme Ben Abbes. Fait rarissime, dans un courrier en date du 6 avril 2016, le directeur de cabinet du président de la République a fait savoir qu’il avait « demandé au ministre de la Justice de faire procéder à un examen attentif [du] dossier [du Caire] afin que soient communiqués [aux parents de Cécile Vannier] tous les renseignements et éclaircissements qu’ils sont en droit d’attendre ». La mansuétude s’arrête là. Alors que toutes les victimes des attentats de Paris ont été décorées de la Légion d’honneur à titre posthume, cette décoration est refusée à Cécile au motif que la demande aurait dû en être faite « un an après le décès ». La jeune Vannier a eu le tort d’être assassinée voilà sept ans. Comme le temps passe.

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