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Du pastis dans le calice

Bien barré, Lancelot’s Hangover (« La gueule de bois de Lancelot », en français) est un jeu vidéo d’aventure à 99 % made in plat pays. Développé en solitaire par un Montois qui en a fait son travail à temps plein, il dépeint un Moyen Âge à la sexualité libérée où il faut, malgré la cuite du héros, retrouver le Graal, prétexte idéal à une épopée « montypythonesque ».

On le sait, les Belges ne font rien comme les autres. Quand ils ont le culot d’être indépendants, c’est encore pire. Normalement, dans les jeux vidéo, la quête débute par une séquence d’introduction où l’on incorpore pas à pas les possibilités de notre avatar. Lancelot’s Hangover s’en tamponne, nous parachute d’emblée face à des énigmes incompréhensibles. Plein d’amertume, on découvre ses enluminures médiévales. « J’ai choisi cette esthétique car c’était facile à dessiner », sourit Jean-Baptiste De Clerfayt, le créateur, un ancien journaliste. Au turbin depuis 2013, il s’occupe de tout, du scénario à l’animation. « Sauf la musique, achetée à un Américain qui compose des thèmes médiévaux agrémentés de bruitages d’anciennes consoles de jeu. »

Ce parcours de cavalier seul était impensable il y a quelques années. Internet a rendu le défi accessible aux amateurs. « J’ai naïvement commencé par chercher sur Google », raconte De Clerfayt, qui y déniche une mine de conseils. Des cours, des conférences qui expliquent comment créer de bons casse-tête… « Il y a presque trop de ressources. » La toile de fond s’impose vite : « La quête du Saint-Graal, c’est la meilleure histoire possible : la Table ronde court après sans se poser de questions. » Réceptacle à alcool, le calice divin justifie tous les délires. Donc, « goûtons voir si le vin est bon », comme le scande la chanson.

De type point and click, le jeu se dirige uniquement à la souris. On visite une série de tableaux fixes, clique là où l’on veut se déplacer. Peu sexy, à contretemps des productions actuelles où l’action est balisée, le genre date des années 1990, une période bénie pour Jean-Baptiste De Clerfayt qui « ne jouait qu’à ça ». « Quand j’ai vu, il y a quatre ans, qu’un grand créateur de l’époque levait des millions pour un projet de jeu qui réhabilite ce style à l’ancienne, j’ai voulu me lancer aussi. » L’humour constitue un ingrédient incontournable de nombreux point and click. Ainsi, Lancelot visite, sur les conseils de Dieu, un bar gay pour y chercher le Graal, croise un berger qui prend ses feuilles de cannabis géantes pour des moutons et des ménestrels de la « French nouvelle vague ». OK, le pinard est bon.

Louis IX le sexy et le diacre zoophile

En nous forçant à dénicher de la logique au sein de l’absurde, la pratique du jeu vidéo façonne ici une perception neuve qui démystifie le sacré. À travers ses personnages, l’œuvre inclut des éléments historiques pour mieux les détourner. Saint François d’Assise aime fricoter avec les écureuils de la forêt de Brocéliande. Il dorlote un petit christ, sur sa croix, qui s’égosille : « Je ne suis plus un bébé, j’ai 33 ans. » Lancelot’s Hangover joue-t-il la provoc ? « Pour moi, il s’agit plus de tendresse », répond le développeur montois, qui a mis en page le journal Dimanche, hebdomadaire de l’Église catholique. D’éducation catho sans être croyant, il voit « quelque chose d’épique dans l’imagerie religieuse » qui le fascine. Oui, enfin, il y a un diacre zoophile, quand même.

Un peu plus loin, Jean-Jacques le Gendarme, beau-parleur en armure, défie le joueur. Point d’ordalie ici. Il faut affronter ce fier défenseur du roi « Louis IX le sexy » en joute verbale. Sur fond de chauvinisme grotesque (« Respecte-nous, enfoiré de roast-beef, les Français ont inventé le ménage à trois »), il faut ruser pour discréditer l’adversaire. Les dialogues surréalistes transpirent l’autodérision « à la belge » : tout le monde en prend pour son grade. On pense aux duels d’insultes d’Escape from Monkey Island, auxquels De Clerfayt a rejoué avant de se lancer dans le développement. « Petit, j’étais le seul de mon entourage à être fan de ces jeux d’aventure. Maintenant, avec les forums en ligne, je rencontre d’autres aficionados. » Il s’est même rendu au AdventureX, à Londres, le salon dédié au genre.

Là-bas, l’indépendant a annoncé sa campagne de financement participatif. Un procédé courant dans l’industrie. Même les grands studios, comme Larian, basé à Gand, l’utilisent pour accroître la renommée des projets. En quatre mois de promotion à temps plein, il récolte 10 000 $ des joueurs, ravis que l’on dépoussière leur genre fétiche. Face aux grosses productions, calibrées au millimètre, cela a du sens, pour le public, de soutenir des titres authentiques et rétro. Certains investissent jusqu’à 700 $. Sans couvrir entièrement les coûts, ce Kickstarter permet de prendre la température avant de continuer l’autofinancement. « C’est aussi une façon d’être proche des gens, poursuit De Clerfayt. Ils testent des versions intermédiaires, commentent mes avancées et sont ravis d’y contribuer. » D’ici à la sortie en octobre, il reste à équilibrer la difficulté des énigmes. À Médor, après plusieurs heures à se gratter la tête, on a réussi à pénétrer le château des vierges effarouchées (ce n’est pas sale). On cherche encore comment convaincre saint François d’Assise de se dévêtir pour lui dérober sa toge. On a surtout peur de ce que pourrait être la solution.

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