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Artistes à sec

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Fanny Monier. CC BY-NC-ND.

Lors d’années électorales comme 2019, les petites asbl artistiques, qui ne bénéficient pas d’une convention de subsides sur plusieurs années, naviguent dans le brouillard plus encore que d’habitude.

Fin 2018, les asbl artistiques rejouaient pour la énième fois le mythe de Sisyphe : chaque année, elles remplissent un copieux formulaire à destination de la Commission consultative des Arts plastiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Pour les petites structures, les montants à décrocher relèvent moins de l’aide que de la nécessité absolue. « Sans les 5 000 euros annuels que peut m’octroyer ce document, impensable pour ma modeste galerie bruxelloise de poursuivre ses ateliers », décoche la responsable bénévole d’un espace bruxellois.

Lorsque Médor la rencontre en décembre dernier, elle vient de mettre la dernière main à son dossier : ledit formulaire compte plus de 80 pages. S’y ajoute, à la demande du Service public francophone bruxellois (SPFB), un rapport d’activités 2018 qui pèse le double, chargé de photos et de pièces comptables. « Je fais peut-être du zèle en emballant autant mes demandes, confesse-t-elle, mais, comme je pense que mon association est un peu trop “underground” pour de l’argent public, j’ai peur que, sans cette esbroufe, on nous refuse les subsides. » L’exercice engendre du stress et, surtout, beaucoup de travail au regard de l’enjeu financier. « Je confectionne ce dossier sur mon temps libre. S’il fallait payer un employé pour le faire, avec les charges patronales, le coût de ses heures de travail dépasserait largement les 5 000 euros annuels octroyés et on perdrait de l’argent. »

Au vu de l’ampleur de ces tâches administratives, on imagine que le moindre ajout à la procédure représente un lourd caillou dans la barque. À ce titre, l’arrivée de nouvelles équipes à la barre à la suite des élections semble souvent synonyme de champs supplémentaires dans les formulaires, comme l’a observé Romain Voisin, coordinateur au Vecteur de Charleroi. Même si son asbl a la chance d’être « conventionnée » (elle signe tous les quatre ou cinq ans un accord avec la FWB, dégageant des subsides sur cette période), il doit rendre des comptes chaque saison. « Depuis l’arrivée, il y a bientôt trois ans, d’Alda Greoli à la culture, les dossiers se montrent plus prévisionnels. On doit y inclure des projets de budget, d’activités et d’objectifs concernant l’année à venir, des projections dont on devra dresser le bilan par la suite. » Autre obligation récente : la question du genre, qui impose de développer en quoi les activités artistiques de l’asbl traitent par exemple de l’égalité homme-femme. D’après Pol Mareschal, directeur en charge des relations intersectorielles à la FWB, ces nouveaux impératifs ne sont pas liés aux changements de postes découlant de l’alternance politique mais à des normes décidées en amont par le Parlement ou le gouvernement : « Chaque ministre applique davantage de règles édictées par ses prédécesseurs que de règles dont il a été à l’initiative. »

Des noisettes pour l’hiver

Une fois leur convention signée, les associations comme Le Vecteur n’ont en principe pas grand-chose à craindre durant les quatre ou cinq années à venir, que ces dernières soient électorales ou pas. En principe, seulement. Pol Mareschal concède : « Pour des raisons budgétaires, les nouveaux gouvernants pourraient décider, par décret, de revoir les subsides à la baisse. » Pas de panique : les structures conventionnées (qui représentent « l’écrasante majorité » selon la FWB) peuvent bénéficier du salutaire Fonds Écureuil, qui permet de recevoir dès le mois de janvier une énorme avance (85 % de la somme totale) sur les subsides de l’année. Au total, plus de 3,5 millions euros en 2019. Instituée par décret, cette solide réserve n’est pas tributaire des élections.

En revanche, pour les associations de plus petite taille, les périodes de scrutin s’avèrent doublement épineuses. « D’abord, elles rendent l’organisation de projets sur le long terme très compliquée, puisqu’on n’a aucune visibilité sur les nouvelles demandes qui vont apparaître », témoigne un chargé d’ateliers artistiques à destination des citoyens. « Ensuite, les administratifs nous disent que, lors des années électorales, les budgets sont réduits de moitié ! » Interrogée à ce sujet, la FWB dément, mais Pol Mareschal précise qu’« il est de tradition que les budgets facultatifs (les dépenses que l’exécutif inscrit de son plein gré, mais sans obligation d’utilisation, NDLR) voient leur utilisation limitée pour le ministre sortant, afin de laisser la possibilité à son successeur de prendre des initiatives dès son installation ». Reste à entretenir de bonnes relations avec les membres de la Commission consultative qui demeurent en poste, et à ne pas trop faire de vagues. Ce qui explique que la plupart des sources interrogées par Médor ont souhaité garder l’anonymat, histoire de ne pas risquer de perdre un subside et de sceller ainsi leur disparition.

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