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Tous les mêmes ?

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« Pouvez-vous me mettre en contact avec un de vos journalistes d’origine maghrébine ? » En substance, c’est la question qu’a posée, en janvier 2015, le journaliste noir américain Ta-Nehisi Coates (The Atlantic) à la rédaction de Libération. Nous sommes quelques jours après la tuerie de Charlie Hebdo et le quotidien français héberge les équipes de l’hebdo satirique. À Libé, le choix est vite fait : il n’y a qu’un seul journaliste d’origine maghrébine. Pigiste, en plus. Ta-Nehisi Coates n’en revient pas. Et voit même dans ce fait une des explications à la vague des « Je suis Charlie » et « Je ne suis pas Charlie ».

Depuis cet épisode, la rédac de Libé a embauché plusieurs journalistes issus des « minorités visibles », via une véritable politique volontariste, abandonnée depuis et qui continue de générer des débats houleux parmi les rédacteurs.

De tous les sujets qui touchent au fonctionnement des rédactions, la « diversité » est sûrement un des plus épineux, où – pour faire court – deux visions s’affrontent. D’un côté, les partisans d’une politique volontariste usant parfois jusqu’à la discrimination positive, voire les quotas, et de l’autre les tenants d’une approche moins interventionniste, mettant en garde contre une « racialisation » dans l’approche de la diversité.

Et chez Médor, à quoi ressemblons-nous ? À une rédaction trop homogène. L’équipe de pilotage (rédaction en chef) compte deux femmes et trois hommes, tous blancs, âgés de 32 à 52 ans, diplômés de l’enseignement supérieur et universitaire. Il y a deux Bruxellois, une Tournaisienne, un Verviétois et un Walhinois. Sur l’ensemble des 19 fondateurs, on ne compte qu’une demi-Camerounaise ! Parmi les auteurs de ce dernier numéro, on atteint la parité, avec huit femmes et huit hommes, même si ces derniers écrivent un peu plus. Un seul journaliste est issu de ce que l’on appelle une « minorité visible », l’auteur du Moment flamand.

Reconnaître explicitement cette homogénéité est un premier pas. En 2013, l’Association des journalistes professionnels dressait le portrait-robot du journaliste belge : Belge (94 %), Européen (100 %), originaire d’un milieu plutôt aisé, masculin (60 %). Et pointait quelques évolutions : la profession se féminise (même si la présence des femmes chute après 30 ans), les journalistes sont de plus en plus diplômés mais aussi plus précaires financièrement.

Si les études statistiques existent pour mesurer en partie la diversité de genre et d’origine socio-économique, les statistiques ethnoraciales ne sont pas permises chez nous. Mais on peut faire « l’hypothèse que nos rédactions sont majoritairement “blanches”, vu que les rapports de classe s’articulent à la dimension ethnoraciale », comme le soulignait en juillet dans les colonnes du Monde la chercheuse française Marion Dallibert, spécialisée dans les médias et l’accès à l’espace public des minorités et des mouvements sociaux.

En 2016, une enquête de la City University (Londres) indiquait que les médias journalistiques ne comptaient que 0,4 % de musulmans, 0,2 % de personnes noires. Soit plus de dix fois moins que le ratio de musulmans (5 %) et de Noirs (3 %) dans la popu­lation britannique. Les femmes, bien que plus présentes, demeuraient moins bien payées et bénéficiaient de moins de promotions. Selon Roy Greenslade, pilier du Guardian, la fermeture des bureaux locaux, dans des villes comme Manchester et Glasgow, a aussi déforcé la diversité géographique et sociale dans les rédactions, au profit de profils plus aisés issus du sud-est du pays. Il ne serait pas étonnant que la dynamique soit similaire en Belgique.

Comme le rappelait Johan Hufnagel, ancien directeur des éditions à Libé, « on s’est longtemps abrité derrière une difficulté : on ne trouve pas de journalistes noirs ou arabes. Et c’est vrai que dans les parcours classiques, qui sont ceux des écoles reconnues, il y en a très peu. » Si l’accès à l’enseignement, fortement inégalitaire, peut expliquer cette pénurie, cela ne nous épargne pas une sérieuse remise en question.

Alors, après ce constat, que fait Médor ? Nous avons décidé de nous doter d’outils concrets pour analyser notre degré de « représentativité » de la société que l’on prétend raconter. Nous avons déjà progressé sur la parité de genre. Et venons de lancer un chantier à long terme pour plancher sur la question.

Le défi est important. La diversité (mot flou et sujet à polémique) ne doit pas con­sister à faire écrire des Maghrébins sur Molenbeek, des handicapés sur le handicap, mais bien à collaborer avec des journalistes de tous horizons sur tous les sujets. Et veiller à la façon dont on traite l’info. À quoi sert-il d’interviewer autant de femmes que d’hommes dans un article, si les hommes y sont tous des experts et les femmes de simples témoins ?

Il s’agit d’être un trait d’union qui raconte mais aussi incarne tous les contours de notre société, et permet aux lecteurs de (re)connaître l’autre. Autant le dire : tout ou presque reste à faire.

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