« Certains chefs ne se contrôlaient plus. »

Témoignage d’une humiliation ordinaire qui marque à vie

Xavier Lecarré a 45 ans. Il a connu les mouvements de jeunesse de ses 7 à 22 ans, d’abord en tant qu’animé, puis en tant que chef louveteaux et chef pionniers. Il a souhaité raconter ce parcours constitué de moments formidables et d’humiliations systématiques.

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Colin Delfosse. CC BY-NC-ND

Vous démarrez à 7 ans avec les louveteaux.

Oui, mes parents m’ont inscrit à la Fédération catholique des scouts dans la région Mons-Borinage. J’y suis resté jusqu’à mes 16 ans, puis je suis parti dans une autre unité où j’ai été chef louveteaux pendant une année, puis Akéla pendant les trois années suivantes. Ma dernière année, je l’ai passée en tant que responsable des pionniers (16-18 ans) où j’ai retrouvé une génération de louveteaux que j’avais eus précédemment ainsi que des pionniers que je connaissais peu. C’était mon dernier camp avant de terminer mes études d’éducateur sportif et d’en faire mon métier jusqu’à aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous permet de parler de « violence psychologique » voire « physique » ?

Je vous raconte mon premier camp, à Rochehaut. Je ne l’oublierai jamais. J’ai 7 ans, je suis Mowgli (le plus jeune du groupe). Je le prends à cœur et en suis content. Malheureusement, cela devient l’enfer. Je me retrouve à être celui sur qui le groupe va prendre du plaisir à « se lâcher » (insultes à répétition, provocations permanentes, menaces…) sans aucune intervention des responsables. Surtout ne pas se plaindre et ne pas pleurer. Durant cette semaine de camp, c’était une après-midi, les chefs me prennent en rigolant, me plaquent à terre, me lient les mains et les pieds, me mettent une branche de sapin dans le slip, ils me bloquent dans la toilette extérieure avec une porte en bois verte, la ferment et ils tirent à la carabine à plomb dessus.

Comme si cela ne suffisait pas, à la fin du camp, lors de la journée des parents, ils m’ont immobilisé et m’ont écrit « prout » sur le front au marqueur indélébile. J’avais des problèmes d’aérophagie. Ils m’ont empêché d’effacer ce mot. Je pense me souvenir que mes parents l’ont effacé. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait avec les responsables. Au vu des photos prises durant cette journée, tout le monde s’amusait bien ! Pourtant, impossible de parler à mes parents de ce que j’avais vécu durant cette semaine horrible. Malgré ces humiliations, j’ai continué à me rendre les samedis après-midi aux réunions. Cependant, j’y allais avec une boule au ventre. J’étais tenu au silence de la part de ces chefs. C’était vicieux car ces derniers faisaient « bonne figure » devant les parents.

Arrivent les douze ans et la totémisation.

Oui. Le parcours continue, toujours dans la même unité, avec des hauts et des bas. J’ai connu de courts moments supers durant les camps, où l’on allait couper des perches dans les bois pour faire les constructions, où l’on se retrouvait à faire cuire les saucisses sous la pluie… Et puis arrive le totem, le nom d’animal que j’allais recevoir pour être « intégré » au sein de la troupe. De belles émotions en perspective. Un peu de peur aussi avec ce que nous racontaient les anciens. Un passage, des épreuves pour les totems… Cela m’attirait et j’étais curieux de découvrir toute cette nouvelle vie scoute. Malheureusement, je me suis vite rendu à l’évidence que cela allait être assez pénible et dur à vivre. Et pour cause, ces fameuses totémisations, qui se passent très bien dans certaines unités, dans une logique d’intégration positive, devenaient, chez nous, plutôt un moment de peur, d’angoisse, de stress pour le « nouveau ». Certains chefs ne se contrôlaient littéralement plus. Abus de pouvoir, arrogance, frustrations, comportements inappropriés, mise en danger du nouveau totemisé, épreuves à risque et évidemment à la fin… l’omerta ! Et ce silence qui continuait dans les familles et encore à l’heure actuelle car « ça doit rester au sein de la troupe » !

Comment expliquer que des enfants de 12 ans soient soumis à ces épreuves ?

C’était l’époque des chefs qui sortaient du service militaire. Les années qui ont suivi, le service militaire était supprimé, mais les baptêmes d’étudiants ont pris le relais. Certains ne faisaient plus la différence ! Durant les rassemblement, nous devions faire 20 pompes devant tout le monde pour un bouton de chemise de l’uniforme qui n’était pas fermé ou de la chemise pas rentrée dans le pantalon ou encore d’un foulard mal roulé… Et j’en passe !

Avec comme point d’orgue la totémisation ?

On m’a emmené dans le noir sur un parcours de nuit dans la forêt, les anciens étaient tous en blanc avec des cagoules, je les entendais au loin. Nous étions, nous, les nouveaux, assis en cercle sans bouger avec des gars qui nous tournaient autour. Lorsque j’ai entendu mon prénom, je me suis avancé et un gars en cagoule blanche m’a demandé de l’accompagner. Il était derrière moi et aiguisait une machette. Autour du feu, une série d’épreuves a démarré dont « la barre à feu » ! Je pensais que les anciens nous en parlaient pour nous faire peur. En fait, ils le font vraiment.

Ils font quoi ?

Des barres à mine sont dans le feu durant des heures, lorsque le futur totémisé arrive, on le déshabille, on le plaque torse nu, puis, un des chefs prend la barre brûlante avec deux gants de cuir et lui montre devant les yeux. Ensuite, il la porte à une vingtaine de centimètres au-dessus du dos du scout à terre, qui se débat car il a peur, et fait mine de le marquer. À ce moment, un autre ancien déverse un seau d’eau froide dessus. Effet de surprise. Une variante plus hard : une goutte de cire fondue et puis eau froide tout de suite.

Nos totems et qualificatifs choisis par ces mêmes personnes étaient censés mettre nos qualités en avant. C’était juste le contraire, ceux-ci étaient basés nos défauts, l’humiliation permanente ! On m’a dit que je serai ‘Ourseau muselé’.

Pourquoi ?

Réponse des chefs : « Ourseau, parce que tu pues et muselé parce que tu parles trop ». À 12 ans. Alors que tu es en plein changement hormonal. Et on te démolit. Merci les scouts.

Les épreuves sont terminées. L’ambiance est alors à la fraternité. Vous faites partie du groupe !

Pas vraiment. L’année d’après, camp à Carcassonne. Hike (randonnée) de 4 jours sous le cagnard. Mon CP (chef de patrouille) me fait porter un sac de 40 kg sur le dos avec la bouffe de toute la patrouille. Son sac était super léger. Vu que je n’avançais pas, il a commencé à me flageller avec des orties sur les mollets. Je lui aurai bien flanqué mon poing dans la figure mais on était au milieu de nulle part… Je ne veux plus entendre parler de ces gars-là !

À 14 ans, j’ai apporté un jour ma guitare pour animer les veillées et je me suis bizarrement senti protégé. J’étais le seul à jouer. Depuis ce jour-là, tout s’est un peu apaisé pour moi.

Lors de mon dernier camp scout, à 16 ans, j’étais CP, j’ai assisté à une scène complètement dingue. Un autre CP avait construit une croix avec deux bâtons et de la corde, il avait fait s’agenouiller un nouveau scout devant cette croix en lui liant les mains à la croix et lui fouettaient le dos avec un bouquet de branche dans lequel étaient cachées des orties. De ce que j’ai pu observer, aucun chef n’est intervenu ni même les cuistots.

Mais pourquoi n’avez-vous rien dit, tout ce temps ?

Je n’en ai pas parlé à mes parents. Je ne pouvais rien dire ! Silence ! J’avais 7 ans et puis 12 ans. À cet âge-là, on n’ose pas parler, de peur des représailles. On ne sait pas…

Et pourtant, vous continuez les scouts ?

À 16 ans, j’ai changé d’unité pour devenir animateur louveteaux dans une unité (toujours dans la région Mons-Borinage) qui me semblait plus tranquille, mixte avec un climat apaisant et des chefs devenus des amis. J’y suis devenu Akéla pendant 3 ans. L’ambiance y était bonne, des personnes investies et motivées faisaient partie du staff. Chouette équipe de parents ! Bonne ambiance, je respirais enfin !

Avec votre formation, la possibilité de mener autrement les animations s’est confirmée ?

Avec les formations d’animateur auprès de Vacances Vivantes, j’ai rencontré d’autres jeunes de mon âge qui avaient été scouts. Nous avons commencé à parler du déroulement des totémisations, de nos vies scoutes respectives… J’ai eu un déclic personnel ! Je me suis dit que tout cela était inadmissible, que l’on ne pouvait pas cautionner ces abus sous prétexte que « ça s’est toujours passé comme ça ». J’ai creusé la question auprès d’autres groupes d’amis et je me suis rendu compte que dans d’autres unités, cela se passait très bien. Cela semblait génial. Une vraie intégration, un surpassement de soi géré comme il faut avec un staff attentif, bienveillant, une vraie recherche du totem, des épreuves adaptées, qui n’humilient pas la personne, une cérémonie magnifique…

Votre histoire est ancienne. Les mouvements de jeunesse n’ont-ils pas changé depuis lors ?

Il y a un an et demi, j’en ai discuté avec les enfants de mes amis, la situation n’a pas beaucoup changé. Et moi, à 45 ans, ces histoires me poursuivent encore. Pour des raisons personnelles, j’ai décidé d’entamer il y a une dizaine d’année un parcours chez le psy. Je suis arrivé, par la force des choses, à faire ressortir ce qui était enfoui en moi et donc à faire ressurgir toute la colère que j’ai accumulée au cours de ces années ! J’ai toujours eu du mal à rentrer en relation avec mes supérieurs, avec l’autorité. Ceci explique sûrement cela. Avec le temps et la prise de conscience et grâce à mon parcours académique et professionnel, j’arrive à gérer cet aspect. Ces personnes ont voulu détruire qui j’étais. Et je ne suis pas le seul à avoir vécu ce genre de situation.

En toute sincérité et avec le recul des années, je me suis dit que porter plainte aurait pu m’aider davantage.

Vous voyez des pistes de solutions pour améliorer l’encadrement des scouts ?

On en revient toujours au même point. L’équipe éducative doit être formée, attentive et bienveillante. Que ce soit du bénévolat ou non. Les personnes doivent recevoir une formation obligatoire basée sur la pédagogie, la psychologie de l’enfant et la connaissance de l’humain. Cette équipe doit pouvoir déceler le moindre écart transgressif de la part de certains éléments du groupe et doit être capable de créer une atmosphère de confiance pour que les plus jeunes puissent trouver un espace de parole, sans crainte de subir des représailles des autres, qu’elles soient physiques, verbales ou psychologiques !

Pourquoi témoigner aujourd’hui ?

Pour parler de ces « systèmes » d’abus de pouvoir, d’irrespect de la personne, de violence psychologique voire parfois physique qui se déroulent au sein des camps et quelques fois durant l’année. Le problème est que ces systèmes sont souvent liés aux frustrations personnelles des chefs, ayant sous leurs responsabilités des enfants et jeunes adolescents. La puissance du groupe, l’appartenance à un clan joue aussi un rôle important lorsque celui-ci n’est pas géré de façon saine et bienveillante.

Il y a 8 ans, j’ai rouvert le chapitre avec ma mère. Je lui ai parlé de ce que j’ai subi aux scouts. Elle m’a pris dans ses bras et m’a dit que s’ils avaient su, ils m’auraient retiré de cette unité.

L’enquête se poursuit dans le Médor 31, à paraître début juin. Si cette thématique vous intéresse, pensez à vous abonner afin de recevoir l’exemplaire directement chez vous. C’est la meilleure manière de nous permettre de mener de telles enquêtes, en toute indépendance.

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