Le bois belge se taille en Asie

Episode 2/3

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Pia-Mélissa Laroche.

Au siècle dernier, la Belgique était une terre d’allumettes. On plantait massivement des peupliers pour satisfaire la demande des usines Union Match (voir épisode 1). Mais le briquet est arrivé. Et nos arbres ont fini par nourrir un commerce international de cartons de camemberts et de cagettes de fruits.

«  20 540€. 27 180€. 30 100€. Le lot n°1 est attribué à la société Sotex-Bois pour un montant de 33 778€ ». Deux petites minutes pour être vendus, ce n’est rien à côté des semaines de transport et des heures de transformation qui attendent ces 240 peupliers.

Ils ont poussé dans une forêt publique de la périphérie namuroise. Cela signifie qu’ils ne seront pas remplacés. «  Quand on coupe du peuplier dans une forêt publique, on ne le replante pas. Il y a un certain désamour de la région wallonne pour cette essence  », explique Eugène Bays, responsable veille à l’office économique wallon du bois (OEWB).

C’est la Ville de Namur qui organise la vente, dans une petite salle de réunion du centre. Peu de marchands de bois sont présents. La plupart envoient leur offre par e-mail à l’avance.

Seul un acheteur de la région a fait le déplacement. Les quelques arbres acquis aujourd’hui, il les enverra en Égypte. «  C’est triste, reconnaît-il, mais c’est moins cher de les envoyer là-bas que dans le sud de la France. Un conteneur dans un bateau, ça revient à 30-40€ du m3. Un camion jusque Bordeaux, c’est 60€ du m3. »

Adjugé, exporté

Le procédé est devenu quasi-systématique. Après la vente, place à l’abattage, au triage et au numérotage. «  Les arbres sont coupés à 11m70 pour mettre dans des conteneurs de 12 mètres de long  », précise Eugène Bays.

Après un contrôle de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA) pour vérifier que le bois n’est pas atteint par un insecte ou une maladie, direction le port d’Anvers en camion. Une équipe logistique charge les arbres sur de gigantesques cargos de 10 000, 15 000, voire 20 000 conteneurs.

Elle injecte un produit phytosanitaire sous forme de gaz pour traiter le bois avant un long voyage en mer qui durera plus d’un mois.

L’exportation du peuplier existait déjà à l’époque de la fabrique d’allumettes belge. Régine Roels travaillait au département des propriétés boisées de l’usine de Grammont, elle s’en rappelle bien : «  Les camions remplis d’arbres passaient sur une énorme balance. Les troncs qui faisaient plus d’1m40 de circonférence, on les mettait de côté. Ils étaient envoyés dans des pays comme Israël, l’Algérie ou le Maroc  ».

Mais dans les années 90, le commerce international par cargo explose. Les sociétés de transport maritime construisent des paquebots de plus en plus gros et proposent des prix de plus en plus concurrentiels. Résultat, l’envoi de marchandises vers la Chine ou l’Inde coûte de moins en moins cher.

Les exploitants forestiers belges ont commencé à se tourner vers le marché international pour écouler leurs stocks de bois. «  Ils se sont transformés en traders  », observe Eugène Bays. Par la suite, de nombreuses sociétés belges se sont spécialisées dans l’export de bois en Asie, comme ITS Wood, IWT, Execo, Cofabois, DPS Wood ou DCBB.

Aujourd’hui, ces marchands exportent toujours du peuplier en Afrique du Nord, mais dans des quantités limitées. Leur premier client, c’est l’Inde. Depuis 2014, elle achète plus de 40 000m3 de peuplier belge par an. Pourtant, le pays possède les plus vastes plantations de peuplier au monde avec la Chine et le Pakistan. L’Inde en consomme énormément pour la production d’allumettes et de contreplaqué.

Industrie de taille

Dans les environs de Shanghai, une usine de transformation de bois s’étend sur près d’1km2. Avec ses 44 trancheuses et ses 10 000 employés, elle fabrique des panneaux en contreplaqué.

Eugène Bays l’a visitée en 2001. Il a été marqué par ce qu’on y faisait des chutes de bois provenant du tranchage et du déroulage. Dans un grand atelier, des centaines d’ouvriers découpent et recollent les morceaux de bois à la main. Ils les assemblent pour former une feuille de 125 x 250cm, qu’ils amènent à la presse. Une machine écrase les feuilles recomposées et les transforme en panneaux. «  En Belgique, on élimine les chutes à la déchiqueteuse, parce que ça coûte trop cher en main d’œuvre ».

Les coûts en personnel, énergie et sécurité sont bien plus faibles en Asie. Le comble, c’est que la main d’œuvre devient de plus en plus chère en Chine. Le pays déplace donc sa production en Inde ou au Vietnam.

«  Le phénomène de mondialisation est bien réel. Dès qu’on peut trouver une solution meilleur marché, on ferme l’usine et on en ouvre une autre ailleurs  », reconnaît Eugène Bays. Au grand malheur des scieurs belges, que nous rencontrerons dans le prochain épisode de cette série.

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