L’essai

Episode 1/3

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Planche 26 d’une édition allemande de Sulla fina anatomia degli organi centrali del sistema nervoso, Camillo Golgi’s, 1885

La Belgique est championne des essais cliniques, ces tests de médicaments sur des personnes volontaires. Depuis le coronavirus, ça n’arrête plus. Pour comprendre comment ces essais se passent, le mieux n’était-il pas de se faire engager comme cobaye ? Voici l’immersion la plus brève et minable de l’histoire du journalisme.

Lundi 14 septembre 2020.

Je suis couché sur un lit médical surélevé. De grandes feuilles absorbantes sont calée sous mon corps pour éviter de suinter sur le skaï noir rembourré. Et je sue. L’infirmière en est à sa troisième tentative de prise de sang.

Je regarde devant moi. Le plafond est percé d’une large verrière à la vitre bombée. Je vois les balcons de l’immeuble qui surplombe l’espace « test » de la société SGS, le « leader mondial de l’inspection, du contrôle, de l’analyse et de la certification ».

Au 2e étage, un drap brun et un short noir pendent sur un fil à linge. Puis la tête d’un petit garçon surgit. Nos regards se croisent. Ça doit être marrant pour lui de voir toutes ces personnes couchées, le bras tendu vers la prise de sang, le torse pointillé de pastilles blanches.

Pas le bingo

Quelques jours auparavant, je réponds favorablement à un des nombreux mails qu’envoie la société SGS à sa base de données de volontaires. Je dois me rendre à Anvers pour une batterie de tests afin de vérifier mon éligibilité à un essai clinique pour un vaccin contre le coronavirus.

L’Institut Pasteur (France) et la société Themis Bioscience (filiale de la société américaine Merck) recherchent en Belgique 90 personnes à répartir en trois cohortes. La première recevra une dose de vaccin, la deuxième deux doses et la troisième du placebo.

Ni le patient, ni le chercheur ne savent qui reçoit quoi, ce qui annihile tout biais d’influence comportementale. C’est un essai en « double aveugle », le nec plus ultra.

Le rôle de SGS est de trouver les volontaires et de les tester. Ma participation me rapportera 1250 euros. Et 0,3542 euro le kilomètre. Pas le bingo. Peut mieux faire.

Sur les deux premiers mois de l’année 2021, SGS a envoyé plus de 50 mails à sa base de données de volontaires. Les offres varient tant au niveau des maladies (la dengue, Alzheimer, HIV, diabète, maladies rénales chroniques, hépatite B,…) qu’au niveau du budget (de 1700 à 7500 euros en fonction de la mobilisation demandée).

La condition récurrente : avoir un Indice de Masse Corporelle (IMC) oscillant entre 18.0 et 29.9 kg/m², soit une « corpulence normale ».

Heure supp’

L’étude va durer 15 mois et implique 9 visites. Elle constitue une phase 1. On donne le traitement à des volontaires sains pour observer la tolérance aux doses, et déterminer une posologie optimale.

C’est dans ce contexte que je me présente à 17h20 au local du SGS, dans un quartier populaire anversois, à 15 minutes de la superbe gare d’Anvers-Central.

Un docteur m’explique l’étude pour laquelle je suis volontaire. Vaccin Coronavirus, étude de l’Institut Pasteur et de Themis Bioscience GmbH. Données récoltées par la société SGS.

« Soyez rassuré », me dit-il avant de me faire signer la dizaine de pages envoyées par mail, la « forte dose » a déjà été utilisée dans des amplitudes bien plus fortes. Je signe.

Puis viennent les tests. La troisième piqûre sera la bonne. L’infirmière est aussi soulagée que moi. Le boulot ne manque pas pour elle. Avant la prise de sang, elle avait déjà plongé de petites languettes dans l’échantillon d’urine, puis pris ma tension, ma température et mon taux d’alcoolémie.

L’infirmière est seule, engagée de 16 à 19 heures. Elle poursuit des études en gestion de stocks, si j’ai bien compris. On rit de devoir s’exprimer en anglais. Elle est nulle en français, moi déplorable en néerlandais.

Je quitte à 18h40. Le petit garçon va encore voir défiler quelques volontaires sur le lit. Quatre personnes attendent. L’infirmière n’aura pas terminé à 19h.

Bonus de 50 euros

Pourtant, il semblerait que chez SGS, on manque de volontaires. Depuis octobre 2020, la plupart des messages mentionnent en grand et gras :

On attrape des volontaires comme on vend des savons ?

Côté éthique, le consentement du volontaire doit être éclairé. Le volontaire doit être correctement informé. La rémunération ne doit pas être un incitant, mais aucun montant minimal ou maximal n’est imposé.

Un chèque cadeau pour amener quelqu’un, c’est proportionné ? SGS ne répondra pas à la question. Ou juste ceci : « Veuillez noter que notre politique interne ne nous permet pas de donner des informations pour une publication journalistique si nous ne sommes pas autorisés à relire l’article. » La transparence a ses limites.

30 ans à New York

Moi en tous cas, je leur glisse des mains.

Quelques jours après ma visite médicale, je reçois un appel d’Anvers. Je n’irai pas plus loin dans l’essai. Des anticorps au coronavirus se baladent dans mon sang. J’ai été un de ces cas asymptomatiques.

Ainsi se termine l’immersion la plus brève et minable de l’histoire du journalisme.

Mais le chemin de mes données n’est pas terminé. D’abord, il a fallu que SGS vérifie que je ne m’étais pas inscrit dans plusieurs essais cliniques en même temps.

Pour y parvenir, ils ont envoyé mon profil aux USA. Plus précisément au siège d’une énorme base de données, la Verified Clinical Trials, dans un bâtiment aux briques blanches le long de la verdoyante Franklin Avenue à New York. J’y suis – et pour trente ans !, enregistré sous un code d’identification unique.

Puis se pose la question de mes données médicales et administratives, récoltées pendant ces quelques heures à Anvers. Elles sont détenues par SGS.

Je leur demande à consulter l’ensemble de mes données en leur possession.

Pas de promo

Au bout de dix jours, je reçois un dossier via mail. Il est verrouillé et un code reçu par SMS me permet de l’ouvrir.

Même si aucune information contenue dans le dossier ne m’est étrangère, je suis époustouflé par la quantité de données.

Sur six fichiers (5 PDF et 1 Word) s’étalent mon identité administrative, mes tests sanguins, mon poids (ah autant ?), ma taille (je perds 2cm !), mon rythme cardiaque (trop lent), mes antécédents médicaux, ma consommation d’alcool, de café, de tabac, mon test urinaire, mes risques de santé.

Maintenant, quelque part aux USA et en Europe, on sait que je picole trop de vin rouge, que mon test urinaire annonce du diabète et que mon cœur bat trop lentement.

SGS aura déboursé 50 euros pour ces données, le prix de ma venue à Anvers. Pas certain que le placement fut le bon.

Pfizer, de son côté, a créé son propre site pour recruter des volontaires. A peine inscrit, j’étais appelé par son call center.

Les sociétés se battent pour obtenir de nouveaux volontaires. « Nous venons de valider qu’un recrutement par réseaux sociaux est acceptable, ponctue le professeur Jean-Marie Maloteaux, président de la fédé’des comités éthiques belges. Et ce, tant qu’il n’y a pas de dimension promotionnelle ».

Mais avant d’attirer le cobaye, les entreprises pharmaceutiques ont un autre obstacle à franchir : faire accepter l’essai clinique en Belgique. Spoiler de l’article deux à lire dès le 22 avril : aucune entreprise n’échoue à la tâche.

Avec le soutien du Fonds pour le Journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles

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