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Sous Maggie De Block, la Belgique ambitionnait d’être la « vallée de l’essai clinique ». Pour y parvenir, elle valide rapidement les demandes d’essais. En 2020, coronavirus oblige, le pays a encore accéléré la cadence. Il faut aller plus vite. Trop vite ? Le tout dans un système « faussé depuis des décennies ».
« La Belgique veut devenir une « clinical trial valley » » (la vallée des essais cliniques).
C’est Diane Kleinermans qui l’affirme en 2018, lors d’un colloque de la fédération des entreprises pharmaceutiques, Pharma.be. Cette conseillère du cabinet de Maggie De Block, ex-responsable des essais cliniques Pfizer, sait de quoi elle parle. Elle vient de terminer en 2017 un vaste chantier législatif : la transposition en droit national d’un règlement européen sur les essais cliniques.
Ce dernier harmonise les procédures et délais entre Etats. Il propose aussi un seul point contact aux sponsors d’essais cliniques.
Prévu pour 2016, ce règlement européen a pris du retard et sera applicable au plus tôt en décembre 2021. Mais la Belgique l’a donc déjà transposé.
Pourquoi un tel engouement ? Parce que notre pays est sur le podium des essais cliniques européen et « que le précédent gouvernement a voulu que la Belgique conserve son leadership en la matière » souligne Greet Musch de l’Agence belge du Médicament (AFMPS).
Conséquence, en 2021, c’est l’embarras du choix pour un essai mené en Belgique (mono-national) : le pays permet que les demandeurs d’essais cliniques empruntent à leur convenance l’ancienne procédure (la « belge ») ou la nouvelle (« l’européenne »)
Double procédure
Mais qu’apporte la nouvelle procédure européenne ? De la simplification et de l’indépendance assurent les législateurs européens.
Dans le cadre d’un essai multi-centrique (qui se déroulent dans plusieurs hôpitaux), le sponsor de l’essai n’a plus comme point contact qu’un seul comité éthique – un aréopage rassemblant par hôpital des médecins, spécialistes, infirmiers, juristes, patients.
Ce comité se charge de collecter une décision commune de tous les comités d’éthique, là où le sponsor devait auparavant demander lui-même le feu vert à chaque hôpital.
Par ailleurs et contrairement à l’ancien système, le comité d’éthique habilité à rendre l’avis ne peut en aucun cas être celui du ou des sites qui accueilleront l’essai clinique. Donc si l’essai se passe au CHU de Liège, le comité de Liège ne peut pas participer à l’avis.
Détail, le coût du dossier en phase 1 passe de 6000 euros à gratuit. Un cadeau qui correspond à un manque à gagner de plusieurs millions d’euros par an pour l’État belge.
Moins fragile
Le dispositif européen augmente l’indépendance de la décision, explique Diane Kleinermans. « On a fait ce choix pour rendre les comités d’éthique moins fragiles et moins sujets à pression. Avant, le sponsor pouvait choisir le comité d’éthique, celui qui serait le plus favorable à son étude. Ça c’est fini. »
Le cabinet De Block voulait simplifier encore un peu la procédure. « La proposition de loi initiale proposait qu’un seul "comité national" évalue ces études, se souvient Vincent Seutin (Ulg). Cela nous paraissait très inquiétant. Nous avons négocié le système finalement mis en place. »
Dans ce système, l’AFMPS soutient le comité d’éthique en réalisant également une évaluation de chacun de ces dossiers.
Quasi-bénévoles
Ce soutien sera le bienvenu, car c’est le quasi-bénévolat pour les comités d’éthique, pourtant une pièce centrale du dispositif. S’ils sont soutenus par des équipes administratives salariées, les membres du comité reçoivent, eux, un jeton de présence pour évaluer chaque semaine, ou quinzaine, de volumineux dossiers.
Dans la nouvelle réglementation, le comité d’éthique serait payé par le SPF Santé Publique. Combien ? Impossible à dire, le financement et les rémunérations sont encore en cours de discussion.
Avril 2021, les essais cliniques fonctionnent donc avec un cadre incomplet, et… quasi bénévole.
Sous pression
S’ils n’ont pas de rémunérations considérables pour leur travail d’évaluation des essais, les membres des comités d’éthique peuvent par ailleurs mener des missions pour les entreprises privées.
Ces cumuls de rôle sont très minoritaires, mais ils restent difficiles à tracer : la publication des déclarations d’intérêts varient en fonction des comités d’éthique.
Celui de la KUL publie des DOI (Declarations of Interests) très complètes sur son site. Celui de Liège, après un contact avec Médor, envisage de faire de même, tandis que le Grand Hôpital de Charleroi ne publie même pas la liste des membres de son comité d’éthique.
Ainsi, un membre du comité de l’UcL a touché près de 50 000 euros des entreprises pharmaceutiques sur ces trois dernières années. Il constitue une exception et Jean-Marie Maloteaux (président du Comité d’éthique et président du BAREC) assure que ce membre se déporte et sort de séance à chaque conflit d’intérêts.
Le Pr. Maloteaux précise aussi que tous les 15 jours, la déclaration de conflits d’intérêts doit être renouvelée.
Le plus rapide
C’est Chronos qui instaure l’ultime pression sur ces comités. Ils doivent rendre un avis dans un laps de temps court.
Les demandes d’admission d’essais cliniques trouvent ainsi une réponse entre 15 et 28 jours ouvrables, ce qui fait de nos instances décideuses « l’autorité la plus rapide d’Europe », explique Nathalie Lambot, experte en essais cliniques chez Pharma.be. Un délai tenable selon les comités d’éthique contactés pour cette enquête.
La nouvelle réglementation européenne propose pourtant des délais bien plus longs, soit 50 jours. Mais la Belgique n’entend pas baisser le rythme. Pour les essais en phase 1 avec un seul pays, la durée de 15 jours restera d’application.
Selon Pharma.be, « ces délais courts font partie d’un développement global d’un domaine d’excellence pour les essais cliniques de phase 1 en Belgique (…). C’est un des facteurs qui maintient la position attractive de la Belgique. » C’est en tout cas quatre fois plus rapide que les évaluations en France.
Coronaspeed
Le coronavirus est venu ajouter un peu plus de pression, le gouvernement imposant à l’AFMPS et au Comité d’éthique désigné de remettre leur décision au bout de 4 jours ouvrables pour un essai concernant le coronavirus ! Du jamais vu.
De mars 2020 à 2021, l’AFMPS a reçu 72 dossiers Covid-19 passant par la phase accélérée. Une moyenne d’un dossier par trois jours ouvrables.
Dans ce laps de temps, l’agence vérifie la base légale de la demande et le protocole, le comité d’éthique statue sur la méthodologie de l’essai, les bénéfices escomptés sur le plan thérapeutique, les risques et désagréments possibles, la pertinence de l’essai clinique, sa conception, sa récolte de données, les mesures de sécurité ou encore le caractère exhaustif de la brochure pour l’investigateur. En quatre jours. Sérieux ?
« On est à la limite »
Pour réussir à rendre les avis dans les délais impartis, l’AFMPS a fait de ces dossiers une priorité et les comités ont suivi tant bien que mal. « Mais on est à la limite, ajoute le Pr. Maloteaux. En 22 ans, je n’ai jamais connu une telle urgence ».
Il s’agit bien de délais « exceptionnels » comme le souligne Pharma.be, dans le cadre de l’urgence du covid. Mais ils deviennent intenables. Comment démasquer l’inutile dans ce flot de dossiers ?
Car tout n’est pas à prendre pour argent comptant dans ces essais. Comme le souligne le pharmacologue français Baptiste Roussel dans une thèse très détaillée, les entreprises pharmaceutiques développent aussi des études pour valider des progrès très faibles. Elles orientent les questions, les recherches, peuvent arrêter ou prolonger leurs études. Elles maîtrisent le « design » des essais, choisissent la méthodologie, les groupes cibles ou médicaments comparés.
Du côté de la fédération des entreprises pharmaceutiques, on préfère insister sur le fait que « le design des essais cliniques fait l’objet d’une évaluation par les autorités à plusieurs niveaux ». Au niveau national bien sûr, « mais également lors de l’évaluation de la demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament (…) Il y a donc une vérification très stricte et réglementée ».
De plus, les entreprises se montrent très disciplinées, à l’inverse des académiciens, pour publier le résultat de leurs recherches.
Des refus ? Quels refus ?
Mais le Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé, le KCE, est moins convaincu. En 2015, il constatait que « les essais conçus par l’industrie pharmaceutique comportent souvent des biais subtilement introduits dans la structure même des protocoles, de manière à ce que les résultats soient plus favorables au produit de la firme qui sponsorise l’essai (…) »
Le jugement est complexe et subtil. Comment un Comité d’éthique bénévole peut-il faire le tri dans ces positions ? Comment peut-il en si peu de temps dénicher l’essai clinique qui mobilisera de manière accessoire les services de santé des hôpitaux ? Et le refuser ?
C’est simple. Il ne le refuse pas.
Forcément non concluant
Le plus petit dénominateur commun pour valider un essai reste l’absence de risques, ou une balance risque/bénéfice positive, pour le patient testé. Et sur ce point, l’attention est maximale.
Les incidents graves liées à un essai clinique sont quasi inexistants. Mais ensuite ?
En Belgique, très peu de dossiers de demande d’essais cliniques sont refusés. Peut-être 5 % estime Jean-Marie Maloteaux. « Ils sont très bien préparés », assure le président du BAREC. Vraiment très très bien préparés même.
Sur les six dernières années et environ 3000 demandes, l’Agence du médicament a refusé… trois dossiers. Parmi ces 3000 demandes se retrouvent les 72 essais « Covid » jugés en quatre jours.
Avec le Covid, on a lancé des essais sans coordination. Avec 50, 60 patients. C’est forcément non concluant », estime un expert de la question.
Dans un éditorial critique sur le naufrage des essais cliniques, le Professeur français François Trémollières donnait une idée du rythme effrénée qu’a imposé la crise : « Ce qui prend habituellement des mois a été fait en 15 jours, souvent sept, et même en 48 heures. »
Système faussé
Conséquence : l’urgence débouche sur un gâchis et une confusion considérables, l’exemple le plus notable et récent étant les essais (mal)menés autour de l’hydroxychloroquine, substance sans intérêt pour lutter contre le Covid.
La revue indépendante « Prescrire » évoquait fin juin 2020 « plus de 1 000 essais (…) enregistrés, dont environ 40 % portaient sur moins de 100 patients. Des analystes parlent à ce sujet de "désordre", de "chaos", et d’"immenses ressources financières gaspillées". »
Parce qu’évidemment, les essais coûtent cher. Et si les essais les mieux menés sont les plus onéreux, « il est peu probable que les firmes conduisent, sans contrainte, des essais plus coûteux mais plus informatifs qui risquent de leur être défavorables », énonce en 2019 la revue Prescrire.
Et de conclure : « Le système est faussé depuis des décennies ».
Au final, des médicaments peu voire pas efficace débouchent sur le marché. Ou pire, ils sont retirés du commerce après le constat d’effets secondaires indésirables.
Conséquence d’essais négligés ? « Je ne pense pas que les médicaments soient mis trop vite sur le marché, avance le Pr Seutin, président du Comité d’éthique de l’Ulg. Il est logique qu’un pourcentage se révèle toxique après commercialisation parce que seulement environ 10 000 patients y ont été exposés auparavant. De ce fait, les effets indésirables très rares et graves peuvent être loupés. Il faudrait exposer 10 fois plus de patients avant la commercialisation pour éviter cela, mais on n’y gagnerait pas parce que le prix deviendrait dingue. »
Pourtant, d’autres se montrent plus pointilleux au moment d’accepter un essai. A titre de comparaison, le Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé, le KCE, finance des essais cliniques via le programme KCE Trials. L’objectif est de répondre aux études qui ont un intérêt public. « Nous avons une quarantaine d’experts pour une quinzaine de propositions par an, explique la responsable de ce programme, France Vrijens. Sur des sujets extrêmement variés. On effectue un gros travail sur la littérature scientifique pour voir si des études ont été réalisées ou sont en cours sur le sujet. On pose aussi la question de l’intérêt de la recherche dans un contexte belge. » Et surtout, ajoute France Vrijens, « a première question que nous nous posons est : y a-t-il un besoin ? ». Besoin pour la population, on s’entend.
Avec le soutien du Fonds pour le Journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles
Suite et fin de cette question ce vendredi 23 avril
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Directrice général de la DG PRE autorisation.
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Belgian Association of Research Ethics Committees – ben oui, tout est en anglais dans les essais cliniques…
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Le délai maximum à la fin duquel l’AFMPS doit émettre un avis est de 15 jours pour les essais cliniques mono-centriques de phase 1 et de 28 jours pour tous les autres essais cliniques.
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Pauline Jacquet, « Délais de mise en place des essais cliniques : impacts des évolutions réglementaires et mesures déployées pour renforcer la compétitivité de la France », Sciences pharmaceutiques, 2019.
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S’ils posent d’éventuelles questions, le CE gagnera 4 jours ouvrables de rab’…
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Baptiste Roussel, « La transparence des essais cliniques de médicaments et le règlement UE n°536/2014 », Sciences pharmaceutiques. 2018
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Neyt M, Christiaens T, Demotes J, Hulstaert F. Financer des essais cliniques axés sur la pratique avec des fonds publics – Synthèse. Health Services Research (HSR). Bruxelles : Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2015. KCE Reports 246Bs. D/2015/10 273/51.
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Le dernier cas connu au niveau mondial remonte à 2016 à Rennes (décès et séquelles graves pour des patients).
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« Le naufrage des "essais cliniques" ! Ou comment les méfaits d’un virus ont pu mettre à mal la rigueur et compromettre la réponse à l’urgence », Elsevier, juin 2020.
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