« Le fishstick est dans le four »

Episode 1/3

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Nina Cosco.

Cindy et Raphaël ont eu recours à la fécondation in vitro (FIV) pour avoir un bébé. Il leur reste aujourd’hui 4 embryons congelés, qu’ils n’utiliseront pas. Leur choix ? Les donner à d’autres parents qui n’arrivent pas à avoir d’enfant. L’altruisme, pour eux, vaut plus que le lien génétique.

2 août 2019. Cindy (37 ans) ne tient plus. Elle poste une photo de ses derniers tests de grossesse sur la page Facebook d’un groupe de femmes qui se soutiennent dans leur parcours de procréation médicalement assistée (PMA).

« Vous en pensez quoi ? »

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Cela fait à peine dix jours qu’un embryon a été placé dans son utérus. Mais Cindy ne peut s’empêcher d’enchaîner les tests pour voir si la grossesse a bien « pris ». Statistiquement, c’est pas gagné.

En Belgique, en 2018, sur 39 487 cycles de fécondation in vitro (FIV), donc autant de tentatives de féconder des embryons en laboratoire et de les replacer dans le ventre de la mère, on compte moins de 6 000 naissances.

Plusieurs essais sont souvent nécessaires pour tomber enceinte (70 % des transferts d’embryons ne débouchent pas sur une grossesse). Il faut donc pouvoir compter sur plus d’un embryon pour avoir un bébé.

Créer du stock

Pour cela, les ovaires de la femme (la mère ou une donneuse) sont stimulés par un traitement hormonal, de sorte qu’ils produisent plus d’ovocytes matures que de façon naturelle. Ceux-ci sont récoltés lors d’une ponction intra-vaginale.

Ensuite, les biologistes fécondent en laboratoire tous les ovocytes disponibles avec le sperme (du conjoint ou d’un donneur).

C’est une étape cruciale du parcours. Si aucun embryon ne se développe (ce qui arrive une fois sur cinq), il faut recommencer le processus et prélever de nouveaux ovocytes.

À l’inverse, quand la culture embryonnaire a bien fonctionné, les smileys sourient sur les forums PMA. Avoir 5, 6, 7 ou 8 embryons (« brybry », « coccinelles », « pois chiche » ou « warriors »), c’est déjà un pas énorme vers l’enfant tant espéré. 44 % des cycles donnent lieu à la congélation d’embryons surnuméraires.

Pour éviter de se retrouver avec des ribambelles de sextuplés, on transfère un seul embryon à la fois, éventuellement deux (voire trois) pour les patientes plus âgées ou ayant déjà vécu plusieurs échecs.

Les autres sont vitrifiés dans des cuves d’azote à -196 degrés. Ils seront décongelés au fur et à mesure des tentatives de transfert.

Combien y a-t-il d’embryons cryopréservés dans les cliniques belges ? Aucun comptage n’est réalisé.

Des milliers d’embryons

On sait, en revanche, que, dans le monde, un couple sur six rencontre des problèmes pour concevoir un enfant.

Et que la Belgique est l’un des pays où l’on a le plus recours à la procréation médicalement assistée (PMA). Plus de 4 % des bébés sont conçus avec l’aide de la science. C’est quatre fois plus qu’aux États-Unis !

Chaque année, des milliers d’embryons rejoignent donc les cuves d’azote des cliniques belges, dans l’attente d’un éventuel transfert.

Pour l’heure, Cindy en est à son premier essai et elle a du mal à croire à cet espoir qui s’affiche sous ses yeux.

« J’avais besoin d’avoir l’avis des filles (du forum). Est-ce que je suis la seule folle à voir deux barres ? »

Cela fait près de 20 ans qu’avec son mari, Raphaël, ils attendent ce moment.

Coup de foudre à Charleroi

Tout commence fin décembre 2000. Cindy a 18 ans, Raphaël 23. Et, c’est « comme dans les films romantiques ».

Cindy a encore toutes les dates en mémoire : « Au début de l’année 2001, on se met en ménage. Et en mai, j’arrête la pilule. »

Le jeune homme travaille comme saisonnier ; elle est encore à l’école. Ils se disent que « si la nature le veut », ils seront de jeunes parents, fauchés mais heureux.

Mais la nature ne se foule pas beaucoup. Malgré des années d’amour sans contraception, Cindy ne tombe pas enceinte.

Le couple finit enfin par consulter pour ses problèmes de fertilité.

Le spermogramme de Raphaël et le bilan hormonal de Cindy s’avèrent mauvais. Mais, moyennant des traitements médicamenteux, une FIV pourra être tentée avec leurs propres gamètes (sperme et ovocytes).

Un monde parallèle

Cindy rejoint le groupe Facebook « Soutien FIVette et PMA Belgique ». Il en existe des dizaines du même type en Belgique (sans compter les blogs, applis et cercles de fertilité, virtuels ou réels).

Les femmes y recherchent le réconfort, les infos et la solidarité qu’elles ne trouvent pas dans leur entourage. Des kilomètres d’espoir et de désespoir s’y écrivent chaque jour, sans que le reste du monde n’en entende jamais parler.

Pour comprendre le témoignage qui suit (et qui n’est pas de Cindy), il faut connaître le lexique des initiées :

  • FIV : fécondation in vitro
  • PDS : prise de sang
  • TEC : transfert d’embryon congelé
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Et s’il y en avait trop ?

À l’hôpital Érasme, à Bruxelles, le médecin leur tend un « questionnaire concernant la congélation des embryons surnuméraires ».

Le formulaire pose cette question qui ne leur avait jamais traversé l’esprit : que doit-on faire des éventuels embryons « en trop » ?

Un jour, Cindy et Raphaël pourraient en effet avoir encore une réserve d’embryons à leurs noms dans les congélateurs et être dans l’un des cas suivants :

  • le(s) enfant(s) espéré(s) sont là et ils n’en veulent plus d’autres ;
  • ils se sont séparés ;
  • ils ont épuisé les six possibilités de transferts d’embryons remboursés par la mutuelle, Cindy a atteint l’âge limite de 47 ans pour un transfert (elle a de la marge) ou ils ne veulent plus entendre parler de bébé-éprouvette.

Une loi de 2007 précise que le délai maximal pour la cryopréservation d’embryons est de cinq ans (sauf dérogation). Ensuite, il faut leur donner une « destination » :

  • les détruire ;
  • les rendre disponibles pour un projet de recherche ;
  • les confier à un programme de dons.

Mais le choix se fait donc avant le démarrage des FIV.

« On a chacun rempli notre formulaire de notre côté », explique Raphaël. « Et, sans se concerter, on est arrivés à la même décision. » À savoir : « donner anonymement les embryons à un autre couple pour solutionner leur problème de fertilité. »

« Quand on débarque dans la PMA, on est un petit peu gênés de la situation mais dès qu’on est dedans, on se rend vite compte qu’il n’y a pas que nous. On se dit : si on a la chance que ça fonctionne, pourquoi ne pas aider quelqu’un pour qu’il puisse avoir le même bonheur ? »

En théorie, cela signifie qu’après cinq ans, s’il leur reste des embryons, Cindy et Raphaël pourront être convoqués pour des tests médicaux. On vérifiera, par exemple, qu’ils ne sont pas porteurs de maladies génétiques. Rien n’oblige, en effet, à être parfaitement sain pour concevoir un enfant. Mais bien pour être donneur/euse (de sperme, d’ovocytes ou d’embryons).

Ils ne sauront jamais si un ou plusieurs de leurs embryons sont utilisés pour un autre projet parental (d’un couple ou d’une femme seule) et si une éventuelle grossesse aboutit.

Peut-être, quelque part, dans un autre foyer, un enfant très désiré portera leurs gènes et sera, biologiquement, le frère ou la sœur de l’enfant qu’ils souhaitent toujours voir arriver chez eux. Peut-être même qu’il lui ressemblera (et là, vous vous demandez si c’est pas un truc de fou par rapport au risque de consanguinité… Patience, on vous dira tout dans l’épisode 2) ?

Mais tout cela, Cindy et Raphaël n’y pensent pas. Ils ont le cœur sur la main et, pour l’heure, les cellules reproductives stimulées, manipulées, fécondées et refroidies par la science. Cela demande déjà beaucoup d’énergie.

La sortie du congélo

En 2019, Cindy démarre le traitement hormonal en vue du prélèvement de ses ovocytes. Un fiasco total. On change de traitement.

Nouvelle stimulation. Cette fois, l’enthousiasme ovarien est sans limite :

  • grâce à un prélèvement important d’ovocytes, 8 embryons sont fécondés in vitro avec la méthode ICSI (micro-injection intracytoplasmique). Il s’agit d’une invention belge qui a révolutionné la PMA et qui est aujourd’hui utilisée partout dans le monde. Elle consiste à introduire un spermatozoïde dans l’ovocyte plutôt que de laisser les spermatozoïdes trouver leur chemin seuls ;
  • 6 embryons congelés.
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40 jours plus tard, un embryon congelé (que Cindy appelle « le fishstick ») est sorti de sa vapeur glacée et introduit dans son utérus (« le four »).

Début août, les filles du forum pensent bien voir deux barres sur le test de grossesse de Cindy. Une prise de sang confirmera, ou non, la grossesse. L’attente lui semble interminable. Rendez-vous pour la suite, dans l’épisode 2.

Les questions de Médor : tous les mois une nouvelle enquête, en 3 épisodes. Les publications se font les mardi, jeudi et vendredi de la 3ème semaine, à 11h. Gardez les yeux ouverts.

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  1. Belgian Register for Assisted Procreation (Belrap)

  2. La Belgique accueille aussi des patientes étrangères, notamment des femmes françaises, seules ou homosexuelles, qui jusqu’il y a peu n’avaient pas accès à la PMA dans leur pays.

  3. European Society of Human Reproduction and Embryology (ESHRE).

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