Ça balance pas mal à Virginal

Episode 2/3

En attendant de reprendre les papeteries de Virginal, la sprl Godart poursuit son business sur son site d’exploitation actuel. Elle nettoie les égouts et stocke les boues de curage dans des bacs à l’air libre. Ceux-ci sont cachés par un talus. Parce que la société travaille sans permis.

Décembre 2021. Il pleut sur l’ouest du Brabant wallon, là où pointe déjà la province du Hainaut. Ici, c’est le village de Virginal-Samme. Plus loin sur le canal reliant Charleroi à Bruxelles, ce sera Clabecq et Tubize. Des terres d’âpreté, délaissées par l’industrie lourde. Le ciel gris se mêle à la ligne d’horizon et les champs gorgés d’eau. Autour, à plusieurs centaines de mètres à la ronde, on aperçoit ou bien des campagnes, ou alors la haute cheminée blanche et noire de l’ancienne papèterie de Virginal, une entité absorbée par Ittre à la fusion des communes.

Il y a dix ans, l’ « usine » donnait à manger à 450 familles du coin. C’était le plus gros employeur de la province, avant la firme pharmaceutique GSK. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Juste des vitres cassées et un énorme site à l’abandon depuis la faillite finale de Virginal Paper, annoncée le 6 mai 2019.

Le principal signe de vie économique, désormais, ce sont les camions de la société Godart sur la N280. Ils sont d’un bleu dominant comme la couleur politique du père Godart, ancien agriculteur, grand propriétaire terrien et ami personnel de plusieurs cadors du MR.

Il faut croire que le fiston Serge, né à la ferme, avait anticipé le crépuscule des agriculteurs comme la fin du papier. Lui, il aime les sous-sols et le bruit des camions. Avec sa compagne flamande, il a fondé en 2009 une petite entreprise prometteuse sur un segment de marché où on ne se bat pas : le curage d’égouts, le nettoyage ou l’inspection des conduites, le traitement des « curures » (boues et déchets).

On ne peut pas dire que le business flambe, mais Serge Godart et Marijke Dekeghel naviguent sur des flotteurs. Leur chiffre d’affaires annuel tourne autour des 2 millions d’euros et le volume d’emploi officiel est de quelque 40 équivalents temps plein. Leurs relations des deux côtés de la frontière linguistique ont permis de décrocher des contrats auprès de villes, d’intercommunales et même de firmes privées comme GSK ou Baxter. Les gérants de la sprl Godart ont même réussi à se rendre crédibles auprès de l’extrêmement politisée Sogepa, la société wallonne chargée de trouver un repreneur pour le site des papèteries.

Le maïeur est un ami

La Sogepa aurait pu se concentrer sur des investisseurs balourds. Non, très vite, en 2019, la PME des Godart a tenu le bon bout malgré ses importantes dettes à plus d’un an. « Nous sommes en contact avec la Sogepa depuis deux ans », racontait en décembre dernier Serge Godart. Les mauvaises langues font croire qu’il n’y a pas eu de véritable mise en concurrence. Il faut dire que la petite société ittroise comptait de précieux soutiens au sein de la task force créée pour désigner le repreneur : le bourgmestre socialiste d’Ittre Christian Fayt, un ami de la famille, ainsi qu’un de ses clients importants, l’intercommunale brabançonne InBW, contrôlée par le MR et le PS.

Le couple Godart-Dekeghel aurait pu recevoir les clés des anciennes papeteries dès le 15 décembre dernier. Mais une descente de police a gelé l’opération scabreuse de démontage des deux géantes machines à papier, ralentie par les craintes de présence d’amiante et les difficultés techniques : personne au pays ne voulait toucher à « ça » et il a fallu embaucher de la main-d’œuvre de l’est ultra low-cost pour démonter ces équipements, qui seront bradés en Ukraine et en Turquie… avec l’aide d’un sous-traitant polonais (lire le 1er épisode ainsi que notre article du 16 décembre). Les avantages de la mondialisation et de la mécanique infernale de compression des coûts salariaux…

Les camions bleus tournent

Entre la dinde farcie et les feux d’artifice du Nouvel An, Serge Godart et sa co-gérante sont en vacances. Mais les camions bleus continuent à tourner comme ils le font depuis des années. Le 29 décembre, par exemple, un camion rejoint le « site de stockage temporaire » de la firme, comme celle-ci l’indique sur son blog. Au n°92 de la rue Charles Catala, à Ittre, quasi en face d’un ancien bâtiment industriel aux briques rouges, le chauffeur klaxonne à l’entrée du site. Les allers et venues sont permanents, mais toujours la double porte mécanique se referme.

Là, ce sont les congés de fin d’année, le rythme est plus lent. Le camion doit donc patienter un peu. Il contourne un imposant entrepôt, s’approche d’un talus remblayé il y a quelques années pour créer une barrière naturelle. Puis, en marche-arrière, l’engin s’approche de bacs de décantation creusés dans le sol, d’une contenance de vingt tonnes environ. L’avant du camion s’élève et la cargaison de boues et déchets se déverse assez vite dans l’un des bacs.

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« Il y en a un pour les fosses septiques, un autre est réservé aux boues pour lesquelles la présence d’hydrocarbures paraît plus probable. Vous imaginez les crasses qui retournent vers les égouts ? », s’offusque un ancien membre du personnel. Le camion passe alors au car wash, puis il retourne au turbin, laissant la place au suivant.

Pas conforme au décret

Pour ce type d’activités comportant des risques évidents de pollution, il faut disposer d’un permis environnemental de classe deux, comme le stipule un décret wallon du 11 mars 1999. Une telle autorisation permet le stockage de boues de curage. « Tout le monde sait que les gens continuent à balancer leurs fonds de peinture dans les égouts, que des firmes manquent encore de civisme, raconte notre source, et puis il y a ce problème des cuves à mazout peu étanches. » Selon nos divers recoupements, la sprl Godart ne s’est jamais conformée au décret wallon. Le seul permis dont elle dispose date de 2004, renouvelé en 2014. Dans les archives de la commune d’Ittre, il porte la référence 2014/DE/19. Il s’agit d’un « petit » permis, dit de classe 3. Il a été sollicité comme si l’activité visée par Godart était celle d’une simple « entreprise de vidange industrielle ».

Le bourgmestre Christian Fayt confirme cet état de fait. Est-ce illégal ? Y a-t-il eu des reproches formulés par la police de l’environnement ? Interrogé au début de janvier par Médor, le maïeur estime qu’il faut poser la question directement « à Monsieur Godart ».

En mai 2021, l’administration wallonne alertée par un fonctionnaire habitant dans la région d’Ittre a débarqué sur ce site d’exploitation des Godart. Diverses autres irrégularités auraient été constatées, appuyées par des repérages aériens. Aujourd’hui, ni le sommet de l’administration de l’Environnement ni la ministre écologiste Céline Tellier en charge de cette matière ne veulent préjuger la suite de la procédure. « C’est une question de séparation des pouvoirs, dit-on dans l’entourage de la ministre régionale. Nous sommes dans l’obligation de respecter le secret de l’information tant que l’enquête est en cours afin de ne pas compromettre une éventuelle condamnation. »

La ministre attend

D’accord. Mais au cours de l’été 2021, l’administration wallonne s’est montrée conciliante quand Serge Godart a sollicité un « vrai » permis d’environnement - de classe 2 - pour ce qui ressemble au déplacement prochain de ses activités vers le site en reconversion des papèteries. Une sorte de régularisation en douce ? Au nom d’une société TVR dont le nom n’existait pas au Moniteur belge, Godart a introduit son dossier le 16 juillet 2021 à la commune d’Ittre. Celle-ci a fait suivre la demande au fonctionnaire technique du SPW en charge de ce type de procédure. Tout l’argumentaire du demandeur est passé comme une lettre à la poste. Estimant que le nouveau centre de traitement des boues ne comportait pas de réel risque de pollution des sols, l’administration a considéré, le 2 septembre 2021, qu’ « une étude d’incidences sur l’environnement n’était pas nécessaire ». Au vu du passif du demandeur, n’aurait-ce pas été utile ? Fallait-il aller vite et éviter de contrarier les plans de la Sogepa et du gouvernement wallon ?

Le 24 décembre 2021, moins de dix jours après les perquisitions du 17, le bourgmestre d’Ittre a sans doute voulu rassurer l’entrepreneur Godart et ses partenaires intercommunaux : la veille de la Noël, il a validé formellement la demande de permis d’environnement sur l’ex-site de Virginal Paper. À aucun moment, depuis l’été 2021, le bourgmestre d’Ittre n’a informé son conseil communal de ce dossier, considéré comme le plus important de ses six ans de mandature.

Ce jeudi 20 janvier 2022, Serge Godart est finalement convoqué pour une audition. L’administration wallonne a fixé cette obligation le jeudi 30 décembre dernier, dans la foulée des remous médiatiques et judiciaires. «  Il est vrai qu’un agent du Département de la Police et des Contrôles (DPC) du SPW a visité le site d’exploitation de la rue Charles Catala dans le courant du mois de mai 2021. Aucune suite n’a été donnée à cette visite jusqu’à un courrier de convocation, daté du 30 décembre 2021, confirme la sprl Godart, via une société de conseils et d’accompagnement en procédures environnementales. En ce qui nous concerne, nous préparons un dossier d’éléments tendant à démontrer qu’aucune infraction environnementale n’a été commise.  »

Le courrier de cette société de conseils ajoute ceci : «  De l’aveu même de l’agent traitant, que j’ai eu l’occasion d’avoir personnellement en ligne il y a quelques jours, la situation telle qu’il l’a constatée en mai 2021 ne nécessitait aucune urgence particulière, raison pour laquelle la convocation à l’audition ne s’est formalisée que le 30 décembre.  » Ben tiens, si c’est le conseiller qui le pense et l’agent qui le dit…

Les questions de Médor : tous les mois une nouvelle enquête, en 3 épisodes. Les publications se font les mardi, jeudi et vendredi de la 3ème semaine, à 11h. Gardez les yeux ouverts.

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  1. 1,7 million d’euros, selon les comptes annuels approuvés en mars 2021.

  2. Situé dans un bâtiment fermé, cette fois, reposant sur une dalle étanche et se trouvant dans une zone du site à risque d’inondation.

  3. Alors que le formulaire de demande reconnaissait en page 34, annexe 1/01, qu’un risque existait. Mais que « la demande de permis d’environnement (était) relative à un début d’exploitation ».

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