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Lors des élections fédérales de 2014, des cheminots de la SNCB ont été payés pour distribuer des tracts de Didier Reynders, l’actuel commissaire européen à la protection de l’Etat de droit.
Mardi 20 mai 2014. Nous sommes au sous-sol du 56, rue de France à Bruxelles, près de la gare du Midi, où se trouve le siège social de la SNCB. Une BMW série 5 bleu foncé est en stand-by. C’est la limousine de Jean-Claude Fontinoy, président du Conseil d’administration de la SNCB. Tiens, le coffre est rempli de matériel de propagande à l’effigie du vice-Premier ministre Didier Reynders. Une veste blanche, une casquette, des T-shirts et des boites de tracts électoraux.
Le dimanche qui suit, Didier Reynders se présente une sixième fois d’affilée à la Chambre des représentants. Le libéral sera réélu sans aucun suspense : le candidat du Mouvement Réformateur (MR) figure en tête de liste. Il va devenir le ministre à la durée de vie la plus longue de l’après-guerre.
À l’époque, Jean-Claude Fontinoy sert Didier Reynders comme c’est le cas depuis ses débuts ministériels en 1999. Il est « expert » immobilier au cabinet des Affaires étrangères, en plus de son mandat à la SNCB et dans d’autres sociétés publiques financières. À cinq jours du scrutin du 25 mai 2014, Jean-Claude Fontinoy est pressé, concentré. « Didier » doit gagner. Il le fait savoir à quelques hommes, venus en renfort de la province de Namur. Des cheminots employés par la SNCB.
Quand les renforts arrivent à Bruxelles, Didier Reynders est là. En image, dans le coffre de la BMW, plié en centaines de flyers.
Voici ce que raconte l’un des cheminots :
« Le responsable de campagne du Mouvement Réformateur nous a donné un T-Shirt, il y avait une zone hachurée sur une carte à parcourir à pied et les lundi et mardi 19 et 20 mai, on a distribué la propagande électorale de Didier Reynders dans les rues de Bruxelles. Nous, les cheminots engagés pour faire tourner des trains, nous avons roulé pour le MR. Et c’était comme ça à chaque élection. »
Écrit noir sur blanc
La distribution des tracts est également mentionnée, à ces dates-là, dans les carnets de bord du chauffeur de Jean-Claude Fontinoy. Le président de la SNCB était donc l’aide de campagne officieux de Didier Reynders. Jusqu’à son départ à la Commission européenne, en novembre 2019, le ministre libéral a maintenu ce compagnonnage, malgré les soupçons de corruption, les conflits d’intérêts et l’ombre permanente du délit d’initié (faits qui sont consignés dans un livre publié ce mercredi 7 avril, « Le Clan Reynders » , NDLR).
Quelques jours après le quadrillage préélectoral de Bruxelles, au printemps 2014, J.-C. Fontinoy croise son petit personnel de la SNCB et il évoque les tracts. Il avait déjà donné les mêmes consignes lors des communales de 2012, pour lesquelles le Liégeois D. Reynders s’était auto-parachuté à Uccle.
- « Tu savais que c’est interdit, hein ! ? », dit J.-C. Fontinoy.
- « Oui et j’ai pris des photos de votre voiture, remplie de tracts et de de casquettes, d’anoraks à l’effigie du candidat Reynders », répond un distributeur, qui se dit sans doute que ces preuves pourront lui servir un jour.
- « Donne-moi ça ! ! », s’écrie J.-C. Fontinoy.
Ces clichés n’avaient jamais circulé avant aujourd’hui. Même chose pour les carnets de bord qui détaillent les petites affaires du président de la SNCB. Ils recensent méticuleusement les missions officielles, les voyages à l’étranger, les nombreux rendez-vous de J.-C. Fontinoy avec le ministre D. Reynders, qui fut aussi président de parti. On y trouve de nombreux crochets par la Régie des bâtiments, des rendez-vous discrets avec d’importants acteurs de la scène politique comme Bart De Wever ou Elio Di Rupo, des apartés avec les chefs d’entreprise les plus influents du Royaume.
Enveloppes d’argent
Et puis il y a la pêche aux enveloppes. Illustration : à trois reprises au moins, le 27 août 2010, le 23 août 2011 et le 25 juin 2012, juste avant et juste après la transaction pénale favorable à trois affairistes kazakhs, dont Patokh Chodiev, les deux chauffeurs particuliers de Jean-Claude Fontinoy sont allés chercher des enveloppes au cabinet d’avocats Tossens. Jean-François Tossens était à l’époque l’un des membres de l’équipe validée par l’Elysée pour tenter d’influencer le cours de la Justice belge dans l’affaire du Kazakhgate. Jean-Claude Fontinoy a toujours affirmé n’avoir rien à voir avec ce dossier.
Ce rituel des enveloppes avait commencé en 2007. À l’époque, le cabinet Tossens venait d’être désigné à la tête d’un trio d’avocats chargés de la liquidation de la SA Berlaymont, dont la mission consistait à désamianter le siège emblématique de la Commission européenne. Un contrat juteux pour le cabinet bruxellois. Des enveloppes dont certaines auraient contenu de l’argent cash ont été convoyées une demi-douzaine de fois en deux ans par les chauffeurs de Jean-Claude Fontinoy.
Avant ces nouvelles révélations, deux enquêtes pénales le concernaient déjà. L’une pour des soupçons d’enrichissement personnel. L’autre pour des faits de corruption présumée, impliquant aussi l’homme d’affaires Aldo Vastapane.