Corps modernes
Depuis 2022, le photographe belge Laurent Poma prend des photos de nus, qu’il appelle les « corps modernes ». Des images souvent absentes de notre champ visuel, très normé. Il interroge son regard, et le nôtre, sur le corps et ses représentations.
Pourquoi montrer des corps ?
Parce qu’ils sont normés, mesurés, toisés, pesés. Le corps travaille, produit, se reproduit et s’use. Il est l’objet de toutes les attentions sanitaires mais aussi d’un tombereau d’injonctions esthétiques et morales. En fait, le corps est politique.
Comment a commencé ce projet ?
Avec une prise de vue d’une jeune femme brûlée qui voulait que je lui montre l’état de son corps. Mais le projet a réellement commencé en mai 2022. Ma compagne me parlait de mon rapport au corps et de ma capacité à le regarder et à le montrer. Au début, je me censurais pas mal. Le nu, c’est pas du tout mon truc. J’ai toujours eu très peur de tomber dans une forme d’érotisme trivial.
Est-ce que vous cherchez des profils particuliers ?
Non. Sur les 45 personnes que j’ai photographiées, je remarque juste que j’ai plus de mal à obtenir l’intérêt des hommes hétéros cisgenres. Les gens me contactent, on discute du sujet et de leur motivation. Les prises de vue sont assez courtes. Je parle beaucoup pendant que je photographie, je cherche un moment où la personne arriverait à oublier son corps. La sélection, elle, se fait toujours en commun. C’est un moment important où la personne fait face au regard de quelqu’un d’autre sur elle. Il faut que le modèle assume autant que moi les photos qui seront montrées.
Vous venez de la pratique documentaire. Où placeriez-vous ce projet ?
La photographie documentaire, c’est une manière de contribuer à la transformation du monde par le regard qu’on porte. Ici, je l’ai porté vers des corps qu’on ne montre pas habituellement. Les gens qui viennent poser pour moi n’ont souvent jamais été photographiés nus, mais ils comprennent pourquoi c’est important. Ils me confient le pouvoir de créer une image d’eux. Ce n’est pas rien !
Que disent ces photos de notre société contemporaine ?
Qu’elle est une monstrueuse machine à produire des normes. Ces corps disent peut-être qu’ils ont besoin d’exister au-delà de toutes ces cases. Mais que nous sommes rarement capables de les dépasser. Certains en font l’objet de revendications esthétiques, morales, sociétales, mais c’est loin d’être une généralité. Beaucoup subissent un corps qu’ils n’estiment pas validé par la société. La manière dont on les regarde, dont on les considère et dont on les montre en dit long sur nous.
Propos recueillis par Colin Delfosse