Elle quitte son boulot. Agnès est mince, petite, menue. Longue robe bleue, queue de cheval. Le visage rond, l’iris marron. Les boucles d’oreille discrètes, deux étoiles scintillantes plantées dans les lobes. Elle y va. Encore une fois. Elle n’a jamais regretté une permanence. Elle monte dans le tram. Musique dans les oreilles. Ces trajets de trente minutes l’aident à quitter le quotidien. Une coupure. Dans son sac, de quoi l’occuper, en prévision de moments creux. Son ordi, et le dernier Ian McEwan, Machines like me.
La voilà arrivée au deuxième étage du bâtiment. Depuis 2016, elle franchit cette porte une fois par semaine. La première fois, elle était un peu stressée. Elle cherchait à s’investir dans le bénévolat. Elle avait vu une annonce dans le métro. S’était dit « pourquoi pas ? ». Pourquoi pas s’enfermer trois ou quatre heures dans cette pièce avec un bureau, deux chaises, une galerie de portraits punaisés au mur, un lit aux draps rouge frais et, au-dessus de ce lit, une carte du monde et un tableau bucolique, des fleurs de champs qui vous rappellent que la vie se poursuit dehors ? Pourquoi pas s’enfermer douze heures par mois pour palper la douleur de trop, le poids d’une nuit blanche ? Agnès va rejoindre les combattants fatigués. Elle ferme la porte, s’assied, pousse le bouton qui active la ligne. Une sonnerie. Elle décroche : « Centre de prévention du suicide, bonjour ».
– Bonjour, Madame.
– Bonjour.
– (Bref silence) Je pensais aller un peu mieux.
– Je me rends compte que c’est difficile.
– Roooh oui… (pleurs) En plus, il fait beau. Je me sens minable parce qu’il fait beau et moi je suis là… Je croyais en avoir fini avec tout ça. Puis il a suffi de ce petit truc. C’est pas la fin du monde, mais là je n’en peux plus. Je tiens le coup, je tiens le coup. Puis cette mauvaise nouvelle. J’aimerais que cela s’arrête.
– J’entends que vous souffrez, vous êtes à bout.
– Cela fait …