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Jean-Michel Javaux

Toujours du bon côté

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Kevin Kaingnaert. CC BY-NC-ND.

Ancien coprésident d’Écolo, bourgmestre d’Amay et président de Meusinvest, Jean-Michel Javaux a été l’une des personnalités politiques les plus populaires du Royaume. Il règne en maître dans sa commune depuis douze ans. Mais est-il pour autant devenu un « baron vert » sur une terre de sang rouge ? Rien n’est moins sûr !

À quelques pas de la gare, dressée au milieu d’un parc, la « Tour romane » d’Amay est un des plus beaux vestiges du Moyen-Âge encore présent en Wallonie. Construite au XIIe siècle, elle a été entièrement restaurée dans les années 80. Elle sert désormais de syndicat d’initiative pour la commune et abrite un petit estaminet dans son sous-sol, bien utile quand on veut mettre des bières au frais pour accueillir ses invités.

Même au beau milieu d’un parc, Jean-Michel Javaux sait recevoir… En ce bel après-midi de juillet, le bourgmestre d’Amay a convoqué la presse locale pour leur présenter sa liste au complet. Ils sont presque tous là, réunis autour de leur chef. Douze femmes et onze hommes en ordre de marche, bien décidés à poursuivre une aventure entamée il y a douze ans, qui a vu basculer un bastion historique du PS liégeois dans l’escarcelle d’Écolo, un parti presque donné pour mort trois ans auparavant.

La prise d’Amay

C’était le 8 octobre 2006, lors d’une soirée électorale mémorable pour toute la famille écologiste. Ce soir-là, alors que tous les journalistes ont les yeux braqués sur Schaerbeek où Isabelle Durant – coprésidente du parti Écolo avec Jean-Michel Javaux – vient de trahir l’accord préélectoral conclu avec les socialistes pour convoler en justes noces avec la Liste du bourgmestre Bernard Clerfayt, une autre bataille délicate se joue à Amay.

Pour la première fois en effet, le PS local perd sa majorité absolue. Emmenée par Javaux, la liste Écolo a bondi de 18 à 43 %. La transmission de l’écharpe mayorale entre Robert Collignon et son fils Christophe est fortement compromise. Le résultat des urnes est particulièrement tangent : 11 sièges pour le PS, 11 sièges pour Écolo et 1 pour le MR… Sa représentante, Martine Delvenne, devient la femme la plus courtisée de la commune ce soir-là !

Vers la célébrité

À Amay, les téléphones chauffent. Tout le monde craint une alliance PS-MR, qui ferait perdre à Écolo cette occasion historique de rafler le mayorat. Mais Jean-Michel Javaux est à Bruxelles pour épauler ses camarades. La volte-face d’Isabelle Durant à Schaerbeek a en effet donné lieu à des manœuvres de représailles de la part du PS, et Écolo est en train de valser dans l’opposition dans plusieurs communes clés.

Son absence n’aura finalement aucune conséquence fâcheuse. Quelques jours plus tard, Jean-Michel Javaux scelle une alliance qui fera de lui le premier bourgmestre Écolo d’Amay. Les deux coprésidents d’alors ont réussi un coup de maître chacun dans leur commune. Deux belles prouesses qui marquent le retour en grâce de la famille écologiste dans l’arène politique belge.

Totalement inconnu du grand public lorsqu’il accède à la coprésidence du parti en juillet 2003, Jean-Michel Javaux va petit à petit gravir les échelons de la célébrité, jusqu’à se hisser tout en haut du baromètre des personnalités les plus populaires du Royaume. Son sourire ravageur, sa sympathie, son air de gendre idéal, son discours pragmatique… Tout tranche, dans le style, avec l’image véhiculée par Écolo jusqu’alors, et qui a tant nui au parti à l’époque des majorités arc-en-ciel.

Fini le spectre des vols de nuit. Finis les débats sur l’avenir de la monarchie ou la polémique autour de Francorchamps… Avec Javaux à la barre, les verts redevien­nent un partenaire crédible aux yeux de l’électorat. De scrutin en scrutin, l’Amaytois va emmener son parti vers de nouveaux sommets. Les élections de 2009 marquent à ce jour un record jamais atteint depuis sa création : 22,88 % aux européennes, 18,54 % en Wallonie et 20,22 % à Bruxelles. Le cauchemar de 2003 n’est plus, alors, qu’un mauvais souvenir.

Dans sa commune, le nouveau capitaine marque aussi la rupture avec son prédécesseur. Après huit décennies d’hégémonie socialiste, Javaux s’engage à mettre les citoyens au cœur du projet politique. Dès 2007, les conseils communaux sont délocalisés plusieurs fois par an dans d’autres villages de l’entité, afin d’inciter davantage d’habitants à assister aux débats.

Le « bal du bourgmestre » élargit sa cible. Les bénéfices étaient autrefois reversés au Denier de l’enseignement communal. Dorénavant, c’est toutes les écoles de la commune, y compris celles du réseau libre, qui en bénéficieront, ce qui ne manque pas de faire bondir certains, parmi les plus farouches défenseurs du réseau officiel. « C’est un peu comme si le patron de Volvo roulait en Volkswagen ! », lui reproche-t-on.

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Kevin Kaingnaert. CC BY-NC-ND

« Sans projet »

Emmenée par Christophe Collignon, l’opposition tire à boulets rouges sur la nouvelle équipe. Le rapport de force est serré. Les socialistes peuvent encore espérer repren­dre pied à l’hôtel de ville dans six ans en fustigeant une majorité « peu ambitieuse », « sans projet » et « sans réelle volonté de faire du social ».

Il faut dire que la marge de manœuvre du nouveau bourgmestre est très limitée. Peu avant son départ, Robert Collignon a embarqué la commune dans un chantier pharaonique pour offrir à ses citoyens un nouveau stade de football. Le stade de la Gravière coûtera plus de 3 millions d’euros à la commune d’Amay. Avec 40 % de subsides, au lieu des 65 % que l’ancienne majorité escomptait, il grèvera durablement les finances communales et empêchera la nouvelle équipe de mettre en place des projets d’envergure.

La popularité de Jean-Michel Javaux sort pourtant renforcée de ce premier exercice du pouvoir au niveau local. Aux élections 2012, la liste Écolo remporte cette fois 54 % de suffrages. Et tout porte à croire qu’elle pourra à nouveau rempiler pour six ans après les élections d’octobre, où Javaux se représentera pour un troisième mandat. Tant pis pour les statuts d’Écolo, qui limitent à deux le nombre de mandats similaires successifs : en bon attrape-voix, Javaux a obtenu une dérogation de la part du parti. Comme beaucoup d’autres, d’ailleurs, chez les verts.

Côté opposition, Christophe Collignon a déménagé à Huy, ville dont il est devenu bourgmestre en 2016. Raphaël Torreborre, l’une des grandes figures du PS local, vient de changer de camp pour rejoindre la liste Écolo. L’opposition socialiste est désormais emmenée par un transfuge du MR, Marc Delizée. Pour lui, la sympathie du bourgmestre Écolo cache en réalité de nombreu­ses incohérences, à commencer par les principes énoncés par son propre parti en matière de cumul des mandats et de bonne gouvernance. « Tout son premier mandat, monsieur Javaux l’a cumulé avec celui de président de parti, explique ainsi Marc Delizée. Aujourd’hui, il cumule à nouveau son mandat de bourgmestre avec celui de président de Meusinvest. Les Écolos jouent les chevaliers blancs sur les intercommunales, mais monsieur Javaux doit quand même son deuxième mandat à Nethys ! Nous avons un bourgmestre très proche du monde des affaires. Et, malheureusement, cette proximité ne bénéficie pas vraiment à Amay. »

Avec ses maisons ouvrières et sa centrale nucléaire juste en face, Amay ne ressemble pas, de prime abord, à l’image que l’on pourrait se faire d’une commune Écolo. Si les hauteurs ont des allures de jolis villages campagnards, le centre fait davantage figure de cité périphérique sinistrée. Le genre d’endroit que l’emploi et le petit commerce ont définitivement déserté, et où plane la nostalgie d’un passé industriel révolu, quand le bassin liégeois était encore l’une des zones les plus prospères au monde.

Jean-Michel Javaux est né ici, un jour froid de novembre 1967. La maison natale est toujours debout. Elle abrite aujourd’hui une agence de titres-services. Passionné de foot depuis toujours, Javaux joue au niveau provincial dans différents clubs de la région. Dans les années 80, il est aussi animateur au Patro d’Ampsin. C’est là qu’un groupe d’amis se forme et commence à se réunir le soir autour de thèmes liés à la citoyenneté.

Montée en puissance

Très vite, l’idée de déposer une liste aux élections communales fait son chemin. Ne sachant pas trop comment faire, le groupe d’amis écrit à tous les partis politiques de la place. Le PSC et le PRL leur envoient leur programme sous enveloppe. Mais une personne leur répond personnellement en proposant de les rencontrer. Cette personne, c’est Jacky Morael. Une rencontre décisive dans la vie du futur bourgmestre d’Amay.

« À cette époque, la plupart d’entre nous avaient déjà des affinités avec Écolo, raconte Jean-Michel Javaux. Dans les années 90, Écolo était déjà un parti visionnaire. Un parti en pointe sur beaucoup de questions notamment celle de la finitude des ressour­ces. » En 1994, la première liste Écolo récolte deux sièges sur 23 aux élections communales à Amay. Mais Robert Collignon ne voit pas encore le danger venir.

Le premier mandat de bourgmestre de Jean-Michel Javaux coïncide avec sa montée en puissance sur la scène politique nationale. Après les élections fédérales de juin 2007, le pays plonge dans une crise institutionnelle de plusieurs mois. C’est la crise de l’Orange bleue. Jean-Michel Javaux est omniprésent dans les médias et participe à tous les débats télévisés aux côtés des trois autres présidents de parti : Elio Di Rupo, Joëlle Milquet et Didier Reynders.

Le public et les journalistes découvrent ce jeune coprésident resté dans l’ombre d’Isabelle Durant pendant ses premières années à la tête du parti. Son style fait mouche. Écolo s’envole dans les sondages, lesquels prédisent un véritable raz-de-marée vert aux scrutins régionaux de 2009, d’une ampleur bien plus grande encore que celui qui a déferlé dix ans plus tôt, après la crise de la dioxine.

« C’était clairement l’homme qu’il fallait à Écolo pour élargir notre assise électorale », pense Eric Biérin, ancien directeur de la communication du parti. Un homme posé et rassurant, capable d’aller séduire l’électeur sur des thématiques autres que l’éthique ou l’environnement. Grâce à lui, les verts redeviennent audibles sur tous les dossiers du moment. Même sur l’institutionnel, en pleine crise de l’Orange bleue, Écolo fait front avec les autres partis francophones. « Il incarne la fraîcheur, le renouveau et le pragmatisme », ajoute Nicolas Parent, son ancien attaché de presse. Javaux aurait permis à Écolo la symbiose entre deux voies. La rupture dans la continuité. Le changement tout en restant rassurant.

Dans la bouche de son ancien attaché de presse, Jean-Michel Javaux est même tout simplement « la personnalité la plus charismatique du pays ». Une personnalité caméléon, aussi à l’aise dans une buvette de foot qu’au Cercle de Wallonie.

S’il constitue bien un score record dans l’histoire d’Écolo, le raz-de-marée de 2009 n’aura pas l’ampleur prédite. Un an plus tard, les verts subissent un nouveau revers aux fédérales anticipées de 2010. La Belgique plonge à nouveau dans une longue crise institutionnelle et Jean-Michel Javaux s’épuise dans les interminables négociations qui s’ensuivent.

C’est à cette époque que paraissent quatre interviews, dans la presse, qui vont faire grincer des dents chez une partie des militants. Un peu trop confiant avec les journalistes, Jean-Michel Javaux se laisse aller en confidences sur sa vie privée. Le public découvre alors sa foi chrétienne, son amour de la Brabançonne et de la monarchie, le fait qu’il ait fumé du cannabis dans sa jeunesse, sa préférence pour les boxers par rapport aux caleçons… Ces sorties agacent la frange la plus laïcarde du parti. Elles contribueront à sa décision de quitter la présidence quelque temps plus tard.

En mars 2012, le duo Emily Hoyos et Olivier Deleuze est désigné par les militants pour lui succéder. Javaux se replie sur ses terres liégeoises et rempile pour un nouveau mandat de bourgmestre. En 2013, il est nommé président de Meusinvest. Une première pour un Écolo, dans ce type de structure.

A table avec Lampiris

Fondée au milieu des années 80 par André Cools, Meusinvest est un groupe d’investissement à capitaux publics qui aide les entreprises à se lancer ou à se développer. Plusieurs dizaines de millions d’euros passent chaque année par ses différentes structu­res. Des centaines de PME ont bénéficié de ses services, en région liégeoise, depuis sa création. « La structure s’est considérablement développée depuis mon époque », explique William Ancion (CDH), président de Meusinvest dans les années 90. Alors que l’ensemble des capitaux était encore public, il y a peu, le groupe s’est ouvert au secteur privé (Lampiris, Herstal S.A.) juste avant l’arrivée de Javaux au CA.

« C’est un excellent manager qui jouit de la confiance de tous ses partenaires, poursuit William Ancion. Il appartient à cette jeune génération qui a su s’extraire des structures partisanes pour faire carrière. Le pouvoir n’est clairement pas la première chose qui l’anime. Pour un vieux comme moi, c’est réconfortant ! »

Un couplet élogieux qui tranche avec les grincements de dents internes au parti Écolo. Imaginer un des leurs à table avec Lampiris (dont l’énergie verte a été rachetée par Total en 2016), c’est un peu l’incohérence de trop. Surtout lors de la reconduction de Jean-Michel Javaux à la présidence de Meusinvest, début 2018, permise grâce aux voix du groupe Nethys. Écolo doit même alors se fendre d’un communiqué assurant que Jean-Michel Javaux conservera toute son indépendance…

Mini-Macron

L’année dernière, La Libre Belgique révélait la participation active de Jean-Michel Javaux au sein d’un groupe de réflexion baptisé E-Change. Un groupe où l’on trouve des personnalités issues d’autres formations politiques, notamment du cdH et de DéFI, tout comme des membres de la société civile ou du monde économique.

L’idée d’un nouveau grand parti de centre est dans tous les esprits. Une sorte de troisième voie à la Macron, entre un MR trop à droite et un PS et Écolo repositionnés à gauche. Lui, comme les autres, nie pourtant farouchement toute idée de fonder un nouveau mouvement. « Je suis Écolo et je suis à la disposition de mon parti pour soutenir les listes en 2019 », confirme-t-il.

De l’avis de certains militants Écolos, le discours lisse de l’époque de Javaux a conduit le parti à brider ses ambitions de changer le système, en n’abordant jamais de front la question des inégalités ou de l’exploitation des ressources de la planète. « Pendant sa présidence, on a pu avoir l’impression que l’écologie politique avait abandonné son projet de transformation systémique au profit d’un accompagnement du système, visant seulement à en limiter les effets les plus néfastes sans pour autant en remettre en cause la logique profonde, explique ainsi Philippe Lamberts, eurodéputé Écolo. Je suis convaincu que tout cela nous a coûté en crédibilité auprès de celles et ceux qui aspirent à une société plus juste, plus durable et plus démocratique, c’est-à-dire le cœur de notre électorat. »

Une attitude qui a bénéficié notamment au PTB, estime son député fédéral Raoul Hedebouw. « Le concept de lutte des classes est totalement étranger à Jean-Michel Javaux. À force de vouloir faire du ni de gauche ni de droite, on fait surtout du “ni de gauche”. Il est très clairement responsable de la désertion d’une partie de l’électorat de gauche d’Écolo au profit du PTB. »

L’homme providentiel des années 2000 restera-t-il éternellement cantonné à Amay ? Et quelle place y a-t-il encore pour lui dans l’Écolo d’aujourd’hui ? Les cadres du parti ont beaucoup changé depuis son époque. La stratégie de communication s’est complètement métamorphosée.

Le duo Hoyos-Deleuze n’ayant pas convaincu, il est remplacé en 2015 par Zakia Khattabi et Patrick Dupriez, qui décident de marquer la rupture avec la stratégie précédente et qui repositionnent Écolo dans davantage de « radicalité ».

À l’intérieur du parti, il se murmure que Javaux désapprouve fortement ce choix. Certains vont même jusqu’à évoquer son prochain départ d’Écolo même si lui assure qu’il n’en est nullement question. « Chaque fois qu’on a voulu nous opposer, nous avons fait front commun pour défendre le parti », assure d’ailleurs Zakia Khattabi. E-Change n’a aucunement l’intention de se transformer en parti, assurent les différentes figu­res qui l’animent. Qui sait ce que l’avenir lui réserve…

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