Pas d’amie comme toi
Traduction : Thomas Lecloux
Texte : Guinevere Claeys (De Standaard)
Illustrations (CC BY-NC-ND) : Koenraad Tinel
Publié le
Quand je l’ai rencontrée, elle avait 80 ans, moi 40. Nous avons tissé une amitié comme jamais je n’en avais connue.
Notre première conversation a été de nature plutôt triviale. Elle m’a servi un cabillaud-sauce moutarde à l’ancienne-pommes de terre, puis m’a regardée un instant dans les yeux. « Que ça te goûte, ma fille. » J’ai souri, touchée par ce mot affectueux, et l’ai remerciée. Et ajouté que ça avait l’air bien bon, mais elle était déjà repartie vers son arrière-cuisine.
C’était très bon, mais bien plus que ça. Un concentré de force vitale qui me venait à point nommé ; l’amarre que, sans le savoir, je cherchais tant. C’était le début de « nous ». Elle et moi. Toutes deux nées en avril. Elle quarante ans avant moi.
Ce qui nous a amenées à nous rencontrer, c’est notre rue. Cette rue étroite qui doucement s’élève depuis la place centrale jusqu’à la digue. Je venais de m’y installer, en provenance de la ville où j’avais été heureuse pendant vingt ans avant de ne plus l’être. Longtemps, j’avais cru que quitter n’était rien d’autre que recommencer. J’étais maintenant partie, mais n’avais encore rien recommencé. J’apprivoisais l’horizon et le vent sous son jour le plus rude, à la fin de novembre. J’étais encore loin de me sentir chez moi.
Elle habitait un peu plus loin, de l’autre côté de la rue, où elle tenait depuis cinquante ans un restaurant au rez-de-chaussée. Quinze petites tables dans un décor irréel. Tout le monde disait que le temps s’y était arrêté. Moi, je pensais que le temps y était bel et bien passé, mais sans altération aucune. C’était un endroit …