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Madame Martin

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David Evrard. CC BY-NC-ND.

Emma du Cayla-Martin est morte dans la solitude la plus complète. Elle était ma voisine.

Les secours sont entrés par le balcon. Ils ont trouvé son corps dans la cuisine. La porte d’entrée de l’appartement était barricadée par des chaises. J’aperçois ses chevilles et ses pantoufles. « Vu l’état du corps, le décès remonte à une dizaine de jours au moins. » Emma du Cayla-Martin avait 96 ans. Elle était ma voisine du dessus depuis douze ans.

Je l’avoue : j’ai l’ai souvent évitée dans l’immeuble. Elle avait la manie de m’interpeller en m’agrippant le bras de ses doigts crochus pour me postillonner au visage des mots presque incompréhensibles au sujet de la reine Astrid ou des « Noirs » qui occupaient autrefois mon appartement… Une épaisse perruque de cheveux châtains ondulés – copiée de la coiffure de Fabiola – couvrait son mince visage strié de rides. Son dentier ne tenait plus en place, ce qui rendait son élocution périlleuse : entre deux phrases, ses gencives laissaient s’échapper des restes de mie de pain imbibée de salive… Son audition défaillante la poussait à s’époumoner pour me parler.

Sa voix puissante, Madame Martin l’employait à une étrange manie. Il m’a fallu du temps pour comprendre que tous ces « nondedjeu ! » qui traversaient les murs de mon appartement émanaient de chez elle. J’ai longtemps cru qu’il s’agissait d’un homme qui engueulait son chien ou sa femme… Jusqu’au jour où j’ai collé mon oreille à la porte de ma voisine. Eh oui, c’était bien elle, cette petite dame presque centenaire, qui produisait ces grossièretés à longueur …

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