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Kazakhgate : des manoeuvres pour saboter la commission d’enquête

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Pieter Fannes. CC BY.

Le “black PR”, vous connaissez ? Cette technique de relations publiques consiste à faire circuler des informations, fausses si nécessaire, avec l’objectif de dénigrer ou de déstabiliser. Avec le kazakhgate, la Belgique devient le terrain de ce genre de manœuvres. Objectif : déstabiliser la commission d’enquête parlementaire. 

“Ablya… qui ?” En juin dernier, Dirk Van der Maelen (SP.A) ne semblait pas connaître l’oligarque kazakh Mukhtar Ablyazov. Tout président de la commission d’enquête sur le kazakhgate qu’il soit, M. Van der Maelen n’avait jamais entendu ce nom. Difficile de lui en faire le reproche : presque jamais auparavant la presse belge n’avait évoqué le sort de ce banquier ambitieux, exilé en Europe pour échapper aux poursuites judiciaires engagées contre lui au Kazakhstan.
Depuis plusieurs mois, pourtant, un rumeur circule dans certains coins reculés du web : Mukhtar Ablyazov aurait pris langue avec M. Van der Maelen, voire avec d’autres députés de la commission d’enquête, pour leur livrer des informations sur le fameux trio kazakh au cœur de l’enquête parlementaire. 

LA PRÉTENDUE “CONNEXION BELGE”

La rumeur est apparue en juillet sur Oligarchs Insider, un nouveau site anglophone prétendant “servir de plateforme à ceux qui en ont assez de l’opulence (des oligarques), qui veulent partager leur propre expérience ou même faire fuiter une information”
En juillet, ce site est le premier à faire état d’une prétendue “connexion belge” de M. Ablyazov. D’après l’article, le banquier serait en contact avec Georges Gilkinet, le député Ecolo qui s’est montré très actif dans la commission kazakhgate. “Il y a une suspicion forte que M. Gilkinet fasse partie du réseau de relations publiques d’Ablyazov”, osait ce site. Interrogé, M. Gilkinet affirmait cet été n’avoir aucune idée de qui était Mukhtar Ablyazov.  
Fin septembre, Oligarchs Insider en a remis une couche en affirmant que Dirk Van der Maelen avait effectué de nombreux voyages à Paris, où M. Ablyazov réside, pour le convaincre de témoigner devant la commission d’enquête. Le président de la commission aurait “conclu un accord ferme avec Ablyazov – à savoir qu’en échange de sa coopération, il recevra de l’aide dans sa demande de nationalité belge.” Et le site d’ajouter : “Apparemment, Ablyazov témoignera devant la commission en novembre.”M. Van der Maelen dément fermement ces allégations.
La rumeur s’est ensuite répandue, sur un mode légèrement différent, sur Open Source Investigations (OSI). Ce pseudo site d’information (voir notre enquête dans Médor #7) mène depuis le printemps dernier une campagne visant à disculper le trio kazakh. Au fil des nombreux articles, lourdement promus sur Facebook, OSI tente d’accréditer une thèse : le “kazakhgate” n’existe pas. Et il n’hésite pas à s’en prendre à Dirk Van der Maelen et à Georges Gilkinet, qui ont fait l’objet d’articles dénigrants. 

CAMPAGNE DE DÉNIGREMENT

Cette campagne de dénigrement se retrouve également en français dans les billets du blog de Jérémy Dudouet, hébergé par Médiapart. Le 12 septembre dernier, l’auteur relayait l’information relative à M. Ablyazov, en affirmant que ce dernier serait entendu le 15 en commission. Il n’en a rien été.
La rumeur ne s’est pas cantonnée à quelques sites internet anonymes ou à des blogeurs inconnus au bataillon. Elle a également été diffusée par des sources auprès de journalistes qui suivent les travaux de la commission d’enquête.
C’est ainsi qu’un baroudeur du renseignement, proche du lobbyiste controversé Eric Van de Weghe, proche du trio kazakh, nous a répété, à partir du mois de mai dernier, que M. Van der Maelen avait rencontré à plusieurs reprises l’oligarque kazakh en exil. “Il existe même une photo de la rencontre, et je l’aurai”, nous a-t-il affirmé. Nous ne verrons jamais ce prétendu document. En août, il nous assurait que “selon une source à la Sûreté de l’État, Dirk Van der Maelen a rencontré trois fois Ablyazov”.

La rumeur s’est même frayé un chemin dans la très sérieuse lettre française du renseignement Intelligence Online, qui, en août dernier, rapportait que M. Ablyazov avait rencontré à Paris plusieurs membres de la commission d’enquête belge dans le cadre d’un lobbying anti-Chodiev. A la rédaction d’Intelligence Online, on admet que, dans les dossiers kazakhs, chaque camp utilise des légions de consultants chargés de distiller rumeurs et fausses informations et qu’il est parfois difficile de s’y retrouver.

UNE MODE VENUE DE L’EST

M. Ablyazov, que nous avons joint, nie farouchement. “Je n’ai jamais rencontré personne (de la commission d’enquête), et je n’ai jamais été approché”. Son clan se dit habitué à ce genre de manœuvres : le “black PR” est une pratique très répandue dans l’ancien espace soviétique, et les articles dénigrants à l’encontre de M. Ablyazov sont légion. 
Dirk Van der Maelen, lui, est passablement énervé par ces rumeurs. “Mais ce que vous découvrez ne me suprend absolument pas”, nous dit-il. “Cela confirme ce que la commission a appris de sources très fiables. A savoir que des professionnels sont
recrutés pour saboter la représentation et les travaux de la commission à coups de fake news et d’opérations de black PR”.
Il nous revient en effet que la Sûreté de l’Etat a averti les commissaires de tentatives de déstabilisation en cours.
Ces tentatives sont-elles efficaces ? Difficile de le dire. Parmi les membres de la commission d’enquête, pas grand monde n’y prête attention. Mais les statistiques d’engagement des articles montre qu’ils sont promus et commentés sur les réseaux sociaux, parfois davantage que des articles de la presse reconnue. 
Au final, ils ajoutent une couche de brouillard à une affaire déjà passablement complexe. La commission d’enquête, qui peine à boucler ses travaux avec la démission de deux experts, s’en serait bien passé.

HACKING

Par ailleurs, parmi certains acteurs proches du kazakhgate, l’espionnage bat son plein. Le député Georges Gilkinet et le journaliste du Soir Alain Lallemand ont fait l’objet de nouvelles tentatives de hacking. Une précédente tentative visant le député, en mai, est toujours en cours d’investigation à la Federal Computer Crime Unit (FCCU).

L’avocat de Patokh Chodiev a lui aussi été victime d’un hacking cet été. “A l’évidence, il est question d’une malveillance vis-à-vis de la défense de M. Chodiev”, nous a-t-il expliqué fin août. “Quant à en déterminer l’origine, je ne souhaite pas m’avancer dans des hypothèses incertaines, à tout le moins en l’état”.
Les manœuvres tordues ciblant Mukhtar Ablyazov, et plus généralement les oligarques kazakhs en exil, se sont frayées récemment un chemin dans les colonnes du Financial Times. “Pour un pays de 18 millions d’habitants, dont l’économie fait la moitié de celle de l’Irlande, le Kazakhstan a fourni une contribution disproportionnée à l’industrie du renseignement”, ironisait le journaliste Tom Burgis. Un détective, cité dans l’article affirmait carrément qu’“à un certain moment, littéralement chaque personne que je connais à Londres travaillait sur le Kazakhstan”. Il semble qu’à Bruxelles, ce “nid d’espions”, le business kazakh du renseignement tourne aussi à plein régime. 

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