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Euro 2016 : de Lyon à Bruxelles, des stades diablement coûteux

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Éva Le Roi. CC BY-NC-ND.

L’Euro 2016 de football est sur le point d’envahir nos écrans. Les 24 équipes s’affronteront dans une génération de stades rénovés. Partout en France, les enceintes ont été refaites, souvent dans le cadre de partenariats publics-privés coûteux à long-terme pour les finances publiques. En Belgique, on a les yeux rivés vers les Diables, mais on a aussi déjà l’Euro 2020 dans un coin de la tête. Notre pays pourra-t-il lui aussi briller dans quatre ans en accueillant le match d’ouverture dans un stade flambant neuf ? Peut-être mais à quel coût ?

Plus que cinq fois dormir avant le début de l’Euro. Et trois jours supplémentaires à patienter avant de voir s’affronter les diables rouges et la Squadra Azzura dans le magnifique Stade des lumières de Lyon, rénové comme d’autres en vue de cet Euro 2016. L’Olympique lyonnais (OL) se targue d’avoir bâti son nouvel écrin de 60 000 places sans avoir eu recours aux financements publics. Enfin, si l’on excepte une coquette somme de 200 millions d’euros dédiée à l’amélioration des voies d’accès. Les autres stades (Nice, Lille, Marseille, Bordeaux), eux, ont été construits ou rénovés grâce à des partenariats publics-privés (PPP), dont les experts s’accordent à dire qu’ils s’avéreront très coûteux pour les collectivités sur le long-terme. D’autant plus que les clubs peinent à remplir ces enceintes géantes.

En 2013, un rapport parlementaire français lançait pourtant un avertissement aux collectivités locales. Celles-ci « ne doivent surtout pas décider de se doter d’équipements surdimensionnés dans l’atmosphère grisante d’un succès sportif », mais au contraire « procéder à des analyses de risques étayées », prévenaient les rapporteurs, après avoir analysé les dérapages observés dans plusieurs villes de France. Las ! la passion du football et les normes UEFA en évolution constante ont eu raison de ces avertissements.

TOUR DE PASSE-PASSE

En Belgique aussi, le financement des stades fait débat. La scintillante Ghelamco Arena de Gand, saluée par tous comme une réussite architecturale, ne fait plus l’unanimité lorsqu’on évoque les questions de gros sous. Un avocat, Walter Van Steenbrugge, vient même de saisir la Commission européenne – au nom des supporters du Club de Bruges – pour dénoncer l’octroi d’une aide publique illégale.

D’après l’avocat, l’entité créée pour réaliser le nouveau stade, la SCRL Artevelde Stadion a en effet bénéficié de soutiens directs ou indirects de différentes entités publiques. Elle a notamment perçu des prêts de la SA Buffalo, une filiale de la société publique de développement urbain de Gand (la Sogent). Des prêts qui ont été ensuite transformés en capital de la SCRL pour une valeur de 24 millions d’euros. Initialement présente au capital à hauteur de 42 %, la société publique gantoise est devenue actionnaire majoritaire, à près de 80 %. Le constructeur Ghelamco, au départ majoritaire (57 %) a quant à lui vu sa part ramenée à 11 %. Un joli tour de passe-passe permettant de faire porter le coût du stade par les pouvoirs publics. L’intercommunale gantoise de distribution de l’eau TMVW a elle aussi mis des billes dans l’opération.

Un tel financement aurait-il été accordé dans les mêmes conditions par un investisseur privé ? La Commission européenne devra trancher. Les montants octroyés dépassent en tout cas largement le plafond autorisé dans le cadre d’une décision de 2013, à la demande de la Flandre qui voulait soutenir la rénovation de tous ses stades sous certaines conditions. La Commission avait alors approuvé un régime limité de soutien à la construction de stades pour un montant total de 8 millions d’euros – tous clubs confondus.

À Gand, les différents soutiens publics s’élèvent au total à une cinquantaine de millions d’euros, estime Me Van Steenbrugge. S’il obtient gain de cause, une partie pourrait devoir être remboursée. Les contribuables gantois – et en particulier ceux qui n’aiment pas le foot – n’y trouveraient sans doute rien à redire. La Commission européenne, pour l’heure, ne fait aucun commentaire. Le bourgmestre de Gand, Daniel Termont (sp.a) maintient, lui, qu’il s’agit d’un investissement avisé, en rien une subvention illégale. Furax, il s’en prend personnellement à l’avocat.

“UN MARCHÉ JUTEUX”

À Bruxelles, les montants en jeu sont plus importants encore, comme le révèle une enquête à paraître dans la prochaine édition de Médor. Le futur « stade national », toujours en lice pour accueillir le match d’ouverture de l’Euro 2020, défraie régulièrement la chronique. Il fera encore l’objet ce dimanche soir d’une enquête critique de la VRT, dans le cadre de son émission Panorama. Me Van Steenbrugge, toujours au nom des supporters brugeois, a ici aussi saisi la Commission européenne.

Au coeur du dossier, le bail emphytéotique conclu entre la Ville de Bruxelles et le même Ghelamco, au terme de négociations ardues, qui ont coûté à la Ville un million d’euros rien qu’en frais d’avocats. Habile à se faire concéder les emplacements cotés, Ghelamco a réussi à obtenir, en contrepartie de la construction du stade, une emphytéose de 99 ans sur le parking C du Heysel pour un euro symbolique. Dans un siècle, la Ville devra reprendre les infrastructures au prix du marché (moins 20 %). Entre-temps, elle se sera acquittée d’un loyer de 4,1 millions d’euros par an pendant trente ans, en contrepartie duquel elle obtiendra 1 500 places assises, des espaces publicitaires et des espaces de bureaux. Elle aura aussi financé, main dans la main avec la Région bruxelloise, le parking souterrain adjacent - annoncé comme le plus grand du monde - à hauteur de 80 millions d’euros (soit la moitié de l’investissement).

La conseillère communale d’opposition Marie Nagy (Ecolo) dénonce le montage. « L’échevin des Sports Alain Courtois (MR) a affirmé que le nouveau stade ne coûterait pas un seul euro public. En réalité cette fausse promesse se traduit par un coût pour les contribuables de la Ville de Bruxelles d’au moins 120 millions d’euros sur 30 ans. Et les générations futures devront acheter le même stade après 99 ans. Ghelamco a remporté un marché juteux », affirme-t-elle à Médor.
« Les socialistes reconnaissent, en privé, qu’il s’agissait d’une fausse promesse mais ils se sont bien gardés de dénoncer leur partenaire. On peut reconnaître  que leur loyauté à l’accord de majorité a été respectée. Quant à leur loyauté vis-à-vis des habitants de la Ville, c’est autre chose ».

Interrogé par Médor, Alain Courtois défend la contribution annuelle controversée de 4,1 millions d’euros, qui, selon lui, n’est pas beaucoup plus élevée que ce que dépense actuellement la Ville pour entretenir le Stade Roi Baudouin – ce que conteste l’opposition. Elle permettra aussi à la Ville d’être partie prenante à l’exploitation du futur stade, dit-il. « On assume cette somme. On peut bien nous critiquer. On n’est pas dans la situation de Lyon où la Ville doit demander six mois à l’avance dix places pour aller au match, comme on l’a vu à l’inauguration. La Ville a dû demander à (Jean-Michel) Aulas (le président de l’Olympique lyonnais, ndlr) dix places. Dix places ! Pourtant, c’est elle qui s’est battue, qui a fait face aux nombreux recours. C’est la même chose ici. Qui est-ce qui se bat ? Qui est au premier front ? Qui est critiqué partout ? C’est nous ! Alors merde, on peut quand même avoir notre mot à dire dans le stade, sans qu’un privé nous mette dehors du jour au lendemain ».

Avec ses 1 500 places (plus 1 000 autres à 25 % du prix du marché), la Ville et ses échevins ne risquent en effet pas de manquer de sièges à distribuer. De Lyon à Bruxelles, les modes de financement et les méthodes ne suivent sans doute pas les mêmes logiques. Sous les projecteurs puissants du stade, les Diables rouges ne verront sans doute pas la différence. Pour les contribuables, c’est une autre histoire.

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