Quoi qu’il en coûte

Episode 3/3

Pour donner aux intercommunales et aux villes wallonnes de nouvelles possibilités pour stocker les boues d’égouts, la Sogepa et les autorités régionales étaient-elles prêtes à fermer les yeux sur un risque environnemental et sur la santé des travailleurs ?

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Combien d’argent public englouti dans un tel dossier de reconversion industrielle ? Pour tenter de sauver les papeteries de Virginal, la Région wallonne a dégagé 6,25 millions d’euros depuis les signaux d’alerte concordants sur la santé de l’entreprise allumés en 2016. Les quatre partis politiques habitués au pouvoir ont cautionné cette stratégie, confiée au « groupe Sogepa », tel que celui-ci se présente sur son site internet. Cette société publique est née dans les années 1980 pour coordonner l’aide à la sidérurgie, puis étendre son action à tous les dossiers économiques où l’État wallon croit utile d’intervenir dans le capital d’entreprises industrielles ou commerciales.


Depuis la faillite de Virginal Paper, en 2019, la Sogepa n’a guère communiqué à propos du processus de reprise, échaudée par les faux espoirs provenant de repreneurs du nord de l’Europe. À l’époque déjà, le front commun syndical avait vivement critiqué ce « manque de transparence ».

C’est pire aujourd’hui : les deux derniers rapports annuels de la Sogepa ne consacrent pas une ligne à la reconversion du site de Virginal. À lui seul, sa taille représente pourtant un sixième de l’effort d’assainissement de friches promis chaque année par le gouvernement régional. Tout au plus sait-on via des indiscrétions qu’il est question d’y installer un centre de traitement des boues. Mais aucune confirmation officielle à ce propos, ni info digne de ce nom.

Le patrimoine de valeur se trouvant dans l’usine est démonté en ce moment. Il s’agit d’une machine de quarante mètres de long déjà convoyée par camion en Ukraine. Et d’un équivalent plus petit exporté en Turquie. Zéro bénéfice pour les caisses publiques : elles ont été cédées pour un euro symbolique. Selon nos informations, le site débarrassé de ces engins devrait être vendu à une petite entreprise voisine, la sprl Godart, pour un prix de 1,8 millions d’euros.

« Vous imaginez le coup réussi par le repreneur ?, interroge un concurrent évincé. Il a déjà démoli en douce ce qui l’embarrassait pour exploiter un petit hangar où les boues d’égouts seront stockées, avant même sa désignation officielle. Il pourra parquer ses camions à l’intérieur d’autres entrepôts. Il essaiera sans doute d’exploiter les terres agricoles adjacentes. Et toute la pollution des sols, c’est pas son problème… »

Pollution non-chiffrée

Car oui, il y a ceci : la dépollution du site sera à assumer par la collectivité. Personne n’en parle. L’addition finale reste un mystère. Médor a retrouvé un courrier de l’administration wallonne en charge de l’assainissement des sols, daté du 10 février 2016. Il y est mentionné qu’un expert agréé a scruté les lieux et que « l’ampleur et la délimitation de la pollution n’ont pu être déterminées ». Ce courrier liste les dépassements des valeurs autorisées. Il n’y manque rien : hydrocarbures pétroliers, benzène, cuivre, plomb, zinc, etc. Et puis il y a l’amiante. Ces derniers mois, de la main-d’œuvre exploitée puis renvoyée fissa en Ukraine en a évacué une partie, localisé surtout dans le hangar principal, à l’entrée du site. « Ils ont balancé ça dans des camions immatriculés en Turquie, en Ukraine ou en Bulgarie », indique une source. « À l’incinérateur de Virginal, on a aussi vu des dépôts de déchets, ces dernières semaines », dit une autre source. Selon d’anciens cadres des papeteries, « les machines étaient bardées d’Eternit ». Et il en serait de même pour les joints des anciennes chaudières, les toits des hangars et « peut-être même le mortier de maçonnerie qui entourait certaines tuyauteries surchauffées à 160 degrés ».

L’actuelle ministre wallonne de l’Environnement Céline Tellier (Ecolo) se dit « extrêmement attentive à cette question de l’amiante ». Il est sans doute un peu tard pour s’en préoccuper.

Macron et Di Rupo

« Quoi qu’il en coûte ! » Pour le site en reconversion de Virginal, la Région wallonne semble avoir emprunté la maxime déjà célèbre du président français Emmanuel Macron, à propos de l’argent public déversé pour contrer les effets économiques du Covid-19.

Mais dans quel intérêt ? Le gouvernement du socialiste Elio Di Rupo aurait pu y développer une filière de traitement des boues de curage, impliquer des laboratoires universitaires, générer un foisonnement de start-up actives dans l’économie verte. À défaut d’autres explications, il faut s’en remettre aux seules informations disponibles. Nous les avons retrouvées dans les archives du permis d’environnement décroché par l’entreprise Godart, futur seul occupant de l’usine brabançonne :

« Les activités principales du demandeur n’étant pas localisées sur ce site, il n’y a aucun personnel directement affecté au présent établissement. (Il) sera principalement occupé par les camions (apport et sortie des matières) et par un peu de manipulation sur place. »

C’est beaucoup de laisser-aller pour d’aussi maigres perspectives.

Les questions de Médor : tous les mois une nouvelle enquête, en 3 épisodes. Les publications se font les mardi, jeudi et vendredi de la 3ème semaine, à 11h. Gardez les yeux ouverts.

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  1. Le PS, le MR, Ecolo et le cdH.

  2. 16 hectares, sur 100.

  3. Lire l’épisode 1 et notre article du 16 décembre dernier, qui a donné lieu à une descente de police.

  4. Le bureau d’études Siterem.

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