La science sous pilule
Dans mon travail d’observation des lobbies européens, la science est un argument récurrent des industriels pour tenir le politique à distance, convaincre les fonctionnaires européens qu’ils partagent leur vision technique du monde, loin du « populisme ». Sauf que… les industriels ne défendent pas la science mais leurs produits.
À lire les arguments des lobbyistes de l’industrie, on en oublierait presque que la science n’est pas une religion révélée mais une méthode commune d’exploration du réel. En utilisant son prestige pour défendre leurs intérêts commerciaux mais en refusant de se soumettre à ses principes, les entreprises la discréditent aux yeux du public. Défendre la science est difficile quand les bénéfices et les coûts de l’innovation technique sont mal partagés, au risque de faire oublier que la connaissance peut et doit être un bien commun. Mais s’il n’est plus possible de s’accorder sur des faits, sur une énonciation au moins temporaire du vrai, comment faire société ?
J’ai voulu rencontrer une spécialiste de l’influence d’une industrie emblématique, l’industrie pharmaceutique. Anne Chailleu est présidente du Formindep, association française de médecins et citoyens pour une formation médicale indépendante.
Martin Pigeon L’industrie pharmaceutique met en avant ses frais de recherche, emploie des milliers de chercheurs, parle beaucoup de son expertise. Peut-on pour autant parler de science ?
Anne Chailleu La science repose notamment sur la reproductibilité et la réfutabilité. Or ces valeurs entrent en conflit avec une logique d’investissement industriel où l’on doit garder le contrôle du résultat de l’investissement pour en tirer un bénéfice. D’où des protocoles d’études cliniques optimisés non pour répondre de la façon la plus rigoureuse à une question d’intérêt scientifique, mais pour produire le résultat le plus positif possible, au soutien d’un intérêt commercial. Et si le résultat est malgré tout négatif, l’étude sera dans la majorité des …