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Un chirurgien belge à Mossoul

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« Vous voyez Games of Thrones ? C’était ça tous les jours. Pas joli : bombes, snipers, mines. C’est pas ce qu’on veut pour l’Humanité. » Voici l’histoire d’un jeune médecin belge projeté au milieu de l’une des pires batailles urbaines depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le ciel de Mossoul a revêtu ses habits de combat. Les traits blancs des avions de chasse déchirent le nuancier de gris qui couvre l’horizon habituellement si bleu. Les forces irakiennes, avec l’appui de la coalition internationale dont fait partie la Belgique, ont lancé l’assaut sur la vieille ville, dernier bastion du groupe État islamique (EI) dans la seconde plus grande ville d’Irak. Entrelacs de ruelles étroites et sinueuses qui obligent les soldats irakiens à attaquer à pied.

Mais un autre combat se déroule à quelques kilomètres de là, en bordure de la ville, dans le centre médical d’une base coalisée. A la tête de l’unité, Maxime (nom d’emprunt), chirurgien belge, porte un bermuda, une lampe frontale et une barbe de trois jours. Première année d’exercice, première mission à l’étranger. Sur la table d’opération, une journaliste suisse venue couvrir l’épilogue de la bataille de Mossoul. Elle s’appelait Véronique Robert. Ils sont quatre, avec le journaliste reporter d’images Stephan Villeneuve, le correspondant du Figaro, Samuel Forey, et leur guide, le journaliste kurde Bakhtiyar Haddad, lorsque l’explosion d’une mine plantée par l’EI met brutalement fin à leur épopée. Nous sommes le 19 juin 2017.

Comme un patient sur dix, Bakhtiyar a succombé à ses blessures dans l’ambulance avant même d’arriver jusqu’à l’hôpital de la coalition. Samuel n’est que légèrement blessé au visage. Véronique et Stephan, eux, sont dans un état critique et ont besoin de sang. Immédiatement, plusieurs soldats américains accourent pour faire don du leur.

Les minutes durent des heures. Le thermomètre atteint des températures insupportables.

Après avoir opéré la journaliste franco-suisse en urgence, Maxime prend la décision de les évacuer par hélicoptère vers un hôpital mieux équipé, à soixante kilomètres plus au sud - un type de transport pourtant réservé aux forces armées. Les pales soulèvent un vent chaud et sec qui fouette les visages de l’assemblée. Le personnel médical ose l’espoir. Malheureusement, Véronique Robert et Stephan Villeneuve, comme Bakhtiyar Haddad avant eux, ne survivront pas. «  Parfois c’est dur psychologiquement, confie le chirurgien belge. On fait notre maximum, mais on se demande si on a vraiment servi à quelque chose.  »

280 PATIENTS DÉFILENT SOUS LEURS MAINS EXPERTES

En parallèle des F-16 dans le ciel, des forces spéciales sur le front et des instructeurs dans les académies militaires, la Défense belge avait décidé d’engager une équipe chirurgicale près du front de Mossoul (Special Operations Surgical Team, SOST). Une escouade mobile qui comprend généralement cinq membres d’équipe : un chirurgien, deux infirmiers, un anesthésiste et un technicien de salle d’opération, à qui se joint un membre des forces spéciales formé comme infirmier. Entouré de médecins locaux et internationaux, ils ont un but : stabiliser leurs patients au plus près de la ligne de front, en les opérant s’il le faut (Damage Control Surgery), avant de les transférer vers un centre médical plus adapté.

Maxime décrit son séjour comme «  reclus sur un bateau  », où sa seule fenêtre vers le monde extérieur est une connexion internet hasardeuse.

Sous tente ou dans une maison réquisitionnée, ils sont de garde 24h/24, sept jours sur sept. Les journées sont interminables et les nuits, bercées par le staccato des bombes. Entraîné aux États-Unis et par l’OTAN, il est ce que l’on appelle un chirurgien spécialisation traumatologue. «  Boucher  », résume-t-il avec un sourire triste. Il tient à mettre en avant le travail d’équipe : « Pour opérer un ventre, deux mains ne suffisent pas. Il en faut quatre, voire six.  » Au plus fort de la bataille, 280 patients défilent sous leurs mains expertes en mois d’un mois.

Mais les moyens limités dont ils disposent les forcent à faire des choix : il leur faut à plusieurs reprises refuser des patients. Sont admis en priorité les soldats de la coalition et les forces irakiennes, ensuite les résidents blessés dans les combats s’ils en ont la capacité. Moins d’une semaine après avoir pris en charge les quatre journalistes, Maxime et son équipe sont une nouvelle fois amenés à secourir des civils.

Alors que Mossoul, au bord de la libération, fête l’Aïd el-Fitr, la fin du Ramadan, des jihadistes se font exploser au milieu des célébrations. Un bébé de moins de six mois est admis en urgence sans ses parents. Il est blessé au niveau du coup et du thorax ; le ventre a été protégé des éclats par son pampers trop large. Le chirurgien belge improvise alors des drains thoraciques avec des sondes gastriques, plus étroites, et donc plus adaptées à la taille d’un enfant en bas âge. Soulagement. Ils respirent.

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