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Le belge le plus riche s’exile en Suisse

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Lucie Castel. CC BY-NC-SA.

Homme fort d’AB Inbev, le multimilliardaire belge Alexandre Van Damme s’est domicilié cet été en Suisse, ont appris Médor et De Tijd. Comme des documents officiels le recensent, il a quitté la commune de Saint-Gilles et s’est installé à titre principal dans le Vaud, canton suisse très prisé par les milliardaires. Raison invoquée ? L’insécurité en Belgique. L’allégement fiscal serait en prime.

Génie de la politique d’acquisition chez AB InBev (dont il possède de manière indirecte au moins 2,5 % des actions), maître des coulisses du Royal Sporting Club d’Anderlecht (on le présente volontiers comme le futur président), actionnaire entre autres de Jacobs Douwe Egberts, Kraft Heinz et Burger King, Alexandre Van Damme pèserait entre 3 et 8 milliards d’euros. Le montant de sa fortune est proche, voire supérieur à celle d’Albert Frère (estimée à 4,6 milliards de dollars par le magazine américain Forbes).

Le départ de Belgique et la domiciliation en Suisse d’Alexandre Van Damme sont confirmés par plusieurs sources (actes de sociétés, cadastre et administrations locales belge et suisse). Mi-mai 2016, des documents officiels d’AB InBev localisaient encore l’homme fort du houblon à Bruxelles. Mais selon une source, sa décision de partir était déjà prise. Fin août, des médias suisses et Sudpresse mentionnaient une acquisition immobilière du milliardaire. Cette nouvelle propriété, en Suisse, couvre 21 000 m2 dont 780 consacrés à l’habitation. Ses voisins sont le golf de Bonmont et des hectares de forêt, propriété de la localité de Chéserex. L’administration locale a indiqué à Médor et De Tijd que M. Van Damme y était désormais résident à titre principal.

En quittant leur adresse bruxelloise, le milliardaire et son épouse ont aussi largué les amarres de trois structures immobilières ou de conseil financier basées à leur ex-domicile. Il s’agit de Tiger Real Estate, de l’Immobilière des Quatre-Bras et de B-Holding.

Deux hypothèses sont avancées pour cette domiciliation en Suisse. L’une est la crainte d’une… agression. Le départ d’Alexandre Van Damme serait lié à « la peur d’enlèvement », selon nos sources, « ou autres événements dangereux en Belgique ». En 1983, l’enlèvement de Freddy Heineken, boss de la bière éponyme (il s’en sortit contre rançon), aurait marqué Alexandre Van Damme. Enfant (et petit-enfant) de brasseurs fortunés (Piedbœuf, créateur de la Jupiler), il serait paniqué à l’idée d’être kidnappé, ce qui expliquerait entre autres sa phobie des médias. Même dans l’intimité, il se montre extrêmement discret sur ses activités ou celles de ses proches. Obsédé par l’anonymat, Alexandre Van Damme était jusqu’à il y a peu le Daft Punk de l’économie belge : voix très écoutée, visage inconnu. La diffusion de son portrait par Frédéric Deborsu dans une émission de la RTBF ainsi que le climat de peur régnant sur Bruxelles depuis les attentats du 22 mars de Bruxelles auraient eu raison de son attachement à la Belgique. Enfin pas tout à fait. Grimpant dans son jet privé « comme nous prenons le métro » (dixit une source), il revient régulièrement travailler dans ses locaux à Saint-Gilles.

La deuxième hypothèse serait la motivation fiscale. Le canton de Vaud a été choisi par Alexandre Van Damme comme il le fut auparavant par l’homme d’affaires Ingvar Kamprad (IKEA), le champion de F1 Michael Schumacher, le chanteur Phil Collins ou le couple Fanny et Nick Rodwell, les gestionnaires d’un autre symbole de la Belgique (Tintin). Ce canton de Suisse romande applique le forfait fiscal ou l’impôt sur la dépense, soit un système « qui permet aux contribuables résidant en Suisse de payer un impôt calculé sur la base de leurs dépenses ainsi que du coût de la vie en lieu et place des impôts ordinaires sur le revenu et la fortune ». Seuls les ressortissants étrangers ont accès à ce forfait. Ils ne peuvent pas mener en Suisse d’activité lucrative. Comme l’explique Anton van Zantbeek, associé au bureau d’avocats Rivus (cabinet présent en Belgique et en Suisse), « cela signifie concrètement un impôt minimal d’environ 150 000 francs suisses (137 000 euros). Ce système est seulement intéressant pour les super-riches. »

Pour donner une idée de cet intérêt, Attac Suisse a tenté une projection de l’impôt sur la fortune d’Ingvar Kamprad, avançant « qu’il paie un forfait fiscal de 200 000 francs annuels depuis 1976. Sur la base d’une estimation minimale de ses revenus, c’est 500 millions de francs qu’il devrait payer, soit 2 500 fois plus ».

Concernant Alexandre Van Damme, la holding familiale luxembourgeoise EPS a payé à ses 200 actionnaires 1,66 milliard de dividendes l’année dernière. Dont 300 millions reviendraient à Alexandre Van Damme selon nos calculs. Or, la moyenne des forfaits fiscaux dans le Vaud avoisine les 143 000 francs suisses (131 000 euros). Une très faible somme au regard des dividendes d’Alexandre Van Damme. Si ce dernier souhaitait toucher en tant que personne physique ces montants astronomiques, la perte se chiffrerait alors du côté de l’État belge en dizaines de millions d’euros. En effet, le fisc belge prélève un impôt de 27 % sur les dividendes de sociétés luxembourgeoises.

Fin 2014, 5 382 « très riches » ont profité de l’impôt forfaitaire suisse. Un sur quatre était installé dans le canton de Vaud. Impossible de savoir avec certitude si Alexandre Van Damme bénéficiera de ce forfait. « Information confidentielle », précise-t-on du côté de la commune de Chéserex (Nyon).

Autre avantage pour Alexandre Van Damme, à la suite de son déménagement : il lui permettra, le cas échéant, d’éviter de lourds droits de succession en Belgique. « Vous pouvez, en Suisse, passer un pacte successoral, détaille Anton van Zantbeek. Soit un accord liant vos héritiers à propos de votre succession. Cela évite toute dispute entre eux. Tout est distribué selon ce qui est prévu dans ce contrat après votre décès. En Belgique, par contre, vous ne pouvez pas passer ce type d’accord sur un héritage. »

Parmi les autres arguments avancés par l’avocat : la stabilité fiscale en Suisse (peu de changements de législation, contrairement à la situation en Belgique) et des dépenses publiques sous contrôle. Ces arguments très financiers ont-ils achevé de convaincre le fébrile Alexandre Van Damme de s’exiler en Suisse ? Contacté via son bras droit, Maximilien de Limbourg, Alexandre Van Damme n’a pas souhaité commenter ces informations.

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