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Déchets radioactifs enfuis illégalement à La Louvière ?

Affaire Duferco (suite et pas fin)

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La Petite Frappe. CC BY-SA.

Le sidérurgiste Duferco aurait souillé les sols wallons et les pouvoirs publics accepteraient de financer la dépollution. En cause, surtout : la gestion très particulière d’un incident radioactif, en septembre 2011, à La Louvière. Nouveaux tracas judiciaires en vue pour « le sauveur de l’acier wallon », venu en Belgique pour pomper des subsides ?

Le groupe italien Duferco, éphémère « sauveur de l’acier wallon », est suspecté d’avoir lui-même pollué les sols qu’il est en passe de réhabiliter pour le compte de l’Etat. Les accusations émanent d’anciens cadres de la firme. Elles visent essentiellement la manière selon laquelle la direction de Duferco a géré un incident radioactif sérieux, sur le site de production de La Louvière, en septembre 2011. Des déchets nuisibles pour l’environnement, voire toxiques pour la santé, auraient été enfouis en catimini afin de réduire leur coût de traitement.  Une enquête judiciaire a été ouverte au parquet de Mons, suite à des accusations datant du printemps 2017. Elles figurent dans des PV d’audition dont Médor a pu prendre connaissance.

FAIRE VITE, AVANT LES CONTRÔLES

Le jeudi 15 septembre 2011, l’usine Duferco La Louvière est perturbée par un incident rare. Pour une raison qui reste inconnue, du césium 137 comparable aux isotopes détectés lors de la catastrophe de Tchernobyl, le 26 avril 1986 en Ukraine, se glisse, fond et se transforme en poussières radioactives dans le four électrique du département « Produits Longs ». Le souci est classé au niveau 1 sur l’échelle de gravité établie par l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN). Il va mettre en quarantaine une partie des installations louviéroises durant un mois. 
Selon les chiffres officiels, la poisse radioactive aurait généré 130 tonnes de poussières à traiter. Pour un coût prohibitif. « J’ose le dire, il y a eu de nombreuses manœuvres anormales. On a enseveli des poussières avec des grues, avant le décompte des dégâts, afin de minimiser l’ardoise », clame l’ex-délégué syndical FGTB Mustafa Ekinçi, membre à l’époque du Comité d’hygiène et de sécurité de la firme italienne. Il l’a dit à la police judiciaire il y a bientôt un an et placé des croix sur des plans de l’usine, aux endroits visés. Il a indiqué les noms des grutiers qui étaient aux commandes des engins enfouisseurs. Les faits sont apparus suffisamment graves et précis au parquet de Mons pour qu’il entame des vérifications.

RETOUR BELGIQUE !

L’actuel patron de Duferco Wallonie, filiale reconvertie dans la réhabilitation des sols, Olivier Waleffe, repousse ces accusations d’un haussement d’épaules. L’avocate Michèle Hirsch, conseil du big boss italien Antonio Gozzi dans l’affaire Duferco/Congo, indique qu’elle n’est au courant de rien. « Tout a été géré sous le contrôle des organismes privés ou publics concernés. Ce sont des insinuations fantaisistes », déclare Olivier Waleffe à Médor.
Très vite, des travailleurs ont passé les tests ad hoc et les avis ont été rassurants sur le plan sanitaire. L’Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies (l’ONDRAF) ne se mouille pas trop sur les aspects liés à la santé. « Nous n’intervenons que pour la partie relative à la gestion des déchets, commente sa porte-parole Evelyn Hooft. Le problème chez Duferco, ça a été le volume très important de poussières faiblement radioactives. La firme vient de recevoir l’autorisation de concevoir une machine spécifique pour réduire au maximum les quantités à traiter. Il faudra bien sûr tester ce dispositif. On en est là… » Des déchets douteux restent actuellement stockés dans un hangar protégé des regards, le long du canal historique du Centre. Six ans après l’accident.
« Au cœur du site de La Louvière, il existe bien ce qu’on appelle la poubelle, souffle un ex-ouvrier de Duferco. C’est là qu’on a toujours liquidé nos crasses. » Un ancien syndicaliste critique aussi l’attitude de la direction lorsqu’il a été décidé de stopper définitivement le haut-fourneau de Carsid (Marcinelle/Charleroi), à la même époque : « Je m’y suis opposé mais la direction voulait simplement concasser des débris, nuisibles pour l’environnement, et les revendre à La Louvière. C’était n’importe quoi. »

PAS DE CHÔMAGE TECHNIQUE

Le jour de l’incident radioactif de septembre 2011, celui-ci n’a pas été immédiatement détecté. Un camion chargé de poussières a quitté l’usine louviéroise sans faire sonner le portique de sécurité. Responsable à l’époque de ces opérations de logistique chez Duferco, Alexandre Nikolajev refuse de confirmer et réserve ses explications à la police. C’est en France que la radioactivité a été constatée. Une firme spécialisée dans le traitement de tels rebuts industriels (non toxiques) a renvoyé la cargaison à l’expéditeur ; la société privée Controlatom est venue confirmer la radioactivité ; et c’est après un certain délai, donc, que le four a été mis à l’arrêt. « C’est durant ce laps de temps qu’il a été décidé d’enfouir en vitesse ce qui pouvait l’être », dénonce l’ex-délégué syndical Ekinçi, en poste dans la zone du four électrique concerné par la panne. Lui et le chef de la sécurité de l’époque, Massimo Pioggia, affirment que la période de chômage technique a été zappée avec l’accord des travailleurs : « Le personnel a été incité à fonctionner comme si de rien n’était. Suite aux plaintes émises par quelques-uns, le travail dans des conditions difficiles a été payé via le régime des heures supplémentaires. »

SCANDALES À RÉPÉTITION

Duferco a fermé son usine de La Louvière en mars 2013. Dans la douleur et la polémique. Quelque 380 emplois ont été perdus et, ici encore, Médor peut affirmer que la justice hennuyère enquête sur les circonstances précises de cette cinglante clôture d’activité : de graves dénonciations visent des leaders syndicaux qui auraient baissé pavillon en échange d’avantages personnels. Pour rappel, la réputation de la firme italienne, accourue en Belgique il y a vingt ans pour reprendre et… fermer Clabecq, puis faire de même à Charleroi et à La Louvière, a déjà été écornée par une entourloupe aux subsides et un vrai scandale de corruption. Primo, la Commission européenne considère que 211 millions d’aides publiques wallonnes n’auraient jamais dû être accordés - via une société offshore basée sur l’île anglo-normande de Guernesey - au spécialiste italien du commerce d’acier. Duferco a interjeté appel contre cette décision datant de 2016. Bref, la Région wallonne n’est pas prête de revoir ses millions. Secundo, la direction de Duferco Belgique a été inculpée il y a bientôt trois ans pour des faits présumés de corruption en Afrique. Via l’ex-ministre de l’Economie Serge Kubla, Duferco aurait soudoyé des ministres ou officiels de la République démocratique du Congo. Ceci afin de pénétrer le marché congolais.
Et un, et deux, et trois… Accablé par la justice, le sauveur de l’acier a gâché sa sortie. Quoique : une seule activité reste assumée par le « groupe » italien en Belgique. Il s’agit précisément de l’assainissement des sols industriels et de leur reconversion en logements vendus aux pouvoirs publics. Se faire de l’argent sur des terrains idéalement situés en cœur de ville, tel était peut-être l’espoir secret de ces sacrés Italiens.

POUSSIÈRES D’OR

Pour son recentrage industriel sur l’assainissement des sols, Duferco a de quoi faire : la firme italienne contrôle des dizaines d’hectares de terrains, acquis pour rien, qu’elle aurait contribué à polluer – comme les Usines Gustave Boël et les Hollandais de Hoogovens avant elle. Ces terrains pourraient valoir une fortune dans un avenir pas si éloigné. À Tubize, au début 2018, 200 premiers logements seront construits et revendus aux autorités locales sur les terres dépolluées des Forges de Clabecq. Fixé cette fois à… Luxembourg, l’ersatz de branche belge du groupe Duferco s’occupe de tout – de la dépollution à la construction – avec l’aide d’un allié historique, la Sogepa, société publique wallonne, qui détient 49 % de Duferco Wallonie. Bienveillante jusqu’au bout, la Région wallonne.

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