l y a environ 20 ans, des douleurs de plus en plus fréquentes ont commencé à me faire souffrir au niveau lombaire. De consultations en diagnostics, j’ai traversé IRM et ordonnances pour arriver à du Contramal puis du 300mg de tramadol. Tous les jours. Pour plus de facilité, on me prescrit la formulation 200mg à libération prolongée. Je suis totalement libéré de mes douleurs. Je ressens même un réel bien-être tant physique que psychologique. Je suis dans une forme éblouissante, stimulé productif et créatif professionnellement. Je me sens comme euphorique. Sur un nuage, plus réactif, plus vif, inépuisable. Je commence alors à ressentir comme une ivresse agréable, sans équivalent, sans rapport avec ce que l’on peut ressentir lorsqu’on boit un bon verre de vin. Je me sens même comme un surhomme, quelqu’un d’invincible. Je deviens une autre personne mais je n’en ai pas vraiment conscience à l’époque. C’est avec le recul que je le vois ainsi.Un jour pourtant, un événement inquiétant se produit : je suis occupé à cuisiner et en manipulant un caquelon d’huile brûlante, je trempe mon pouce dans l’huile par inadvertance. Je ne m’en rends pas compte immédiatement. A part une légère sensation de picotement, je n’ai pas conscience de m’être brûlé. Et pourtant, tout mon pouce est atteint et la plaie est vilaine. Je passe mon doigt sous l’eau froide comme on recommande de le faire lors d’une brûlure banale mais ma peau part en lambeaux et la chair est à vif. Et j’ai à peine mal. En fait, je suis brûlé au 3ème degré. Mon pouce guéri, je commence à m’interroger à propos de ce médicament. N’est-ce pas dangereux ? Mais en même temps, je me sens tellement bien que je n’ai qu’une envie : en prendre toujours plus. Je sens bien que quelque chose cloche mais le médicament est tout-puissant. Je ne le sais pas encore mais je suis accro. Je ne le prends plus uniquement pour ne plus avoir mal mais juste pour me sentir bien. Je ne savais même plus si mes douleurs étaient guéries ou non, j’étais comme anesthésié et ma plus grande crainte était que mes douleurs reviennent tant je me sentais bien. Je me sentais de plus en plus agité mais tellement « bien dans ma peau ». C’est pourtant à ce moment-là que d’autres problèmes ont commencé à apparaître : constipation et troubles du sommeil. J’avais l’impression de dormir éveillé, de ne plus jamais avoir de répit : je somnolais mais mon esprit restait éveillé. A la longue je devenais de plus en plus fatigué en journée et pour compenser, je me surdosais en contramal retard. J’en prenais de plus en plus. Un jour, me trouvant à court, je m’aperçois que mon médecin est en vacances. J’ai rapidement commencé à m’inquiéter et au cours de la journée je me suis senti de plus en plus mal : un peu les symptômes d’une très forte grippe mais en pire, accompagnés de douleurs musculaires, raideur des membres, angoisse, sentiment d’étouffement, raideur du cou et des mâchoires avec les dents qui grincent, tremblements, sueurs froides, hallucinations, peur de mourir, irritabilité et surtout le besoin irrépressible de reprendre un cachet. J’aurais été capable d’en prendre plusieurs d’un coup comme quand on boit une bière cul-sec l’été quand on a très soif. Je pleurais, criais, me frappais le visage. Par le biais de ’récup’d’amis et d’ordonnance doublées je me suis retrouvé avec presque 7 boîtes de Contramal. Junky total, je suis arrivé à un point où je prenais jusqu’à une dizaine par période de 24h. Par contre mes insomnies ne s’arrangeaient pas. Il m’arrivait de rester 3 ou 4 nuits sans dormir ou presque jusqu’à ce que je sois tellement fatigué que je dorme enfin une nuit de 6 à 7 heures un peu plus profondément. Mais cela n’avait aucune importance : la première chose que je faisais au réveil était de reprendre une pilule et tout redevenait facile, agréable. J’étais bien un peu incommodé par une terrible constipation, mais je considérais que c’était devenu le prix à payer pour être bien. Entretemps nous avions décidé de déménager pour me rapprocher de mon lieu de travail et avons donc dû changer de médecin de famille. Je suis retourné chez celui qui me soignait quand je vivais chez mes parents. J’avais demandé à notre ancien docteur de lui transmettre nos DMG. Un beau jour, j’ai commencé à souffrir de douleurs abdominales basses que même le contramal ne pouvaient apaiser. J’ai donc consulté et me suis fait diriger vers le centre de radiologie pour imagerie radio côlon à blanc et échographie du foie. Et la ce fut pire qu’une douche froide. Rien au côlon par contre j’étais atteint d’une stéatose avancée du foie aggravée par granulomatose d’origine médicamenteuse probable (je ne consomme pas d’alcool). Mon généraliste a immédiatement fait le lien avec le contramal. Il n’y est pas allé par quatre chemins et m’a annoncé que la stéatose était le dernier stade avant la cirrhose médicamenteuse et la granulomatose était la voie royale vers le cancer du foie. Il m’a donné une petite tape amicale sur l’abdomen, côté foie et m’a dit : « tu sais ce qu’il te reste à faire ». J’ai immédiatement arrêté le contramal et j’ai vécu l’enfer. Pendant une semaine d’abord : les symptômes de sevrage physique étant similaires à ceux que j’avais éprouvé la première fois, lorsque je m’étais retrouvé à court, mais cette fois-ci, c’était puissance 10. Nous voici trois ans plus tard, à l’heure d’aujourd’hui et tout va pour le mieux. Mon foie a retrouvé sa taille normale et plus jamais je ne prendrai de contramal. Depuis, mon médecin a testé un nouveau soutien pour mes douleurs lombaires. Il s’agit de prégabaline, un neuroleptique qui joue également sur l’anxiété et faisant d’une pierre deux coups en me libérant des antidépresseurs et des anxiolytiques. Chose intéressante, la prégabaline ne présente pas comme le tramadol les effets secondaires qui sont l’accoutumance et la dépendance tant physique que psychique. En guise de conclusion, je peux témoigner du fait que le tramadol présente tous les aspects d’une drogue dure.